Pour une histoire palikur (Wahano Seyno) -1-

10 août 2017, par Jean-Baptiste Kiya

Ciel de traîne (Hawkri ka barew) de Jean-Baptiste Kiya - nom palikur : AREHWA (à paraître prochainement).

L’indigence des documents sur laquelle on bute dès lors qu’on se penche sur l’histoire des Palikur est symptomatique. Cette absence des Amérindiens du discours historique en France et en Occident, malgré des contacts constants, rapprochés, vieux de plus de quatre siècles constitue un miroir profond de la pensée française.

Le 26 juillet 2007, devant un parterre d’étudiants sénégalais, dans un lieu hautement symbolique qui est celui de la transmission du savoir : l’université de la capitale, le Président de la République française, N. Sarkozy, s’exprimait ainsi :

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.

Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.

Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble écrit d’avance.

Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir… Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin ».

L’allocution faisait un constat accablant sur l’homme européen. De l’Occident, l’Afrique était invisible. Elle l’est restée aux yeux des anciens Colons et de l’Occident. Les autres continents des ex-colonies ne sont pas en reste, Asie et Amérique.

Le discours balise une des étapes de cette guerre mémorielle que Jean Ziegler met en lumière dans La Haine de l’Occident que se livrent le Nord et le Sud. Reflet du mépris encore vivace de celui-ci envers celui-là.

Tout porte à croire que les Amérindiens français, à l’instar des Africains de M. Sarkozy, ne sont pas encore « entrés dans l’Histoire », qu’ils sont une part de cette large humanité diminuée, amputée de tout rôle historique. Mais encore une fois : de quelle histoire s’agit-il ?

Bernard Montabo, historien guyanais, aurait dû, à défaut d’autre chose, expliquer cette disparition.

Son Grand Livre de l’Histoire de la Guyane ne consacre que les 30 premières pages, qui en comprend 600, à évoquer l’histoire des Amérindiens, premiers habitants des plateaux, installés depuis plus de 100 000 ans avant la présence occidentale. L’ouvrage est de trois ans antérieur à l’allocation du Président. Serait-ce reconnaître que nous ne savons rien d’eux ? De toute évidence, le propos va au-delà. Non seulement, l’auteur ne s’étend pas sur les raisons de ce trou mémoriel, ni des silences qu’il induit : a contrario, il semble les adopter. Il écrit : « Immuable, quotidiennement recommencé, le rythme de la vie amérindienne n’a apparemment guère changé au fil des siècles ». C’est-à-dire à peu de chose près ce que disait le Président français. Immuable : sans histoires, les peuplades amérindiennes de même n’appartiendraient pas à l’Histoire… Nègres et Indiens, jadis, étaient conjointement comptabilisés comme biens meubles. On sait que les objets n’ont guère d’histoire, qu’ils n’ont pas d’âme. « Il n’est d’histoire que blanche », affirmait Gobineau dont les écrits ne firent que disculper les génocides qui ne tardèrent pas à s’étendre. Selon une évidence, les Amérindiens auraient vécu en dehors ou en marge, dans une sorte de limbes qui échapperait à toute classification historique. Façon de se débarrasser du sujet. Dédain et oubli.

Pourtant cette Mémoire, les Amérindiens, les Africains aussi, mais plus largement les « Peuples du Sud » nous demandent de la découvrir. Il sera ensuite nécessaire de l’intégrer au discours historique. Un chantier que l’Occident ne semble guère disposé à ouvrir. Au-delà de la ponctualité d’un discours présidentiel, tant que ne sera pas préalablement remis en cause le regard que les autorités présentes et passées portent sur les peuples et la civilisation amérindienne, tant que personne ne remettra en cause les attendus historiques officiels, le discours que l’on pourra tenir sur le sud demeurera disjoint de l’histoire : ce sont plutôt ces discours, ceux de Sarkozy ou de Montabo qui resteront en dehors de l’histoire, car anachroniques. Le discours « historique » de Sarkozy était en fait anti-historique. Un proverbe africain a très bien pointé cet impérialisme de la culture et de la mémoire qui, de part l’illusion qu’il entretient d’une prétendue auto-suffisance, en devient insupportable, même depuis l’Occident ; il dit : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasses continueront à glorifier le chasseur ».

Hans Koning écrit dans sa Conquête des Amériques : « Commençons à écrire et étudier une histoire qui soit à la fois celle des vainqueurs et celles des victimes. Montrons davantage de respect à l’égard des nombreux morts. Les auteurs d’une telle histoire se devront d’être très précis et de s’armer afin de se défendre contre ceux qui ne sont pas prêts à abandonner le confort de l’arrogance raciale et du mépris. » Car si les Amériques sont à reconquérir, cela ne pourra se faire qu’avec l’aide des Amérindiens eux-mêmes.

Une anecdote éclairante. C’était en juin 2010, je me trouvais à la médiathèque de Kourou, parcourant des ouvrages sur le bagne, en quête de quelques informations sur la déportation annamite.

À quelques pas devant moi, se trouvait assis un vieux lecteur qui me tournait le dos.

Je lisais un article quand une chose singulière attira mon attention. Je levai les yeux : la tête du vieux monsieur était secouée de soubresauts. Il était en train de rire. Il rigolait silencieusement. Il se fendait littéralement la poire. Je jetais un œil par-dessus son épaule pour découvrir ce qui le faisait rire. Je n’en crus pas mes yeux : les pages de l’ouvrage qu’il avait entre les mains étaient couvertes de cartes. Ce gars-là rigolait devant un manuel de géographie… Je l’ai pris pour un fou.

Avec le recul, je comprends ma méprise : je pressens la raison pour laquelle il riait tant. Je reconnais n’avoir pas su qu’il pouvait y avoir tant de plaisanteries dans les lignes labyrinthiques des mappemondes.

Dans mon souvenir, ce vieil homme avait le teint cuivré. Les cartes qu’il parcourait étaient d’anciennes représentations du sous-continent.

(À suivre…)

Jean-Baptiste Kiya


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