C’en est trope !

Radioscopie du dysfonctionnement

4 février 2016, par Jean-Baptiste Kiya

Justice française, la Grande escroquerie par Corinne Morel, éditions Bookelis.

Il était sans doute plus facile pour cette femme-là d’avoir une belle-fille, plutôt que d’un fils, surtout à l’issue de leur divorce pour faute – n’avait-elle pas abandonné un premier enfant d’un ‘lit précédent’ ?-, comme il était plus facile pour la justice de pencher vers le plus grand nombre plutôt que vers le vrai, quand bien même il fallait faire écrire une carte postale bien ourlée à un enfant de deux ans. Le JAF, adepte - comme souvent, c’est une mentalité - du copier-coller, ajoutait quelques bévues. On n’était pas bien regardant, ni bien loin de la farce froide à la Brueghel.

À La Réunion, les tribunaux expédient votre jugement en A.R. À Mayotte, l’avocat envoie son jugement de divorce en courrier normal, sans prendre la peine d’y joindre la notification. Novice, vous ignorez tout des modalités de recours ; quant à faire trop confiance à la justice de votre pays, c’est votre tort. Cela s’apprend à ses dépens.

Barsamian le souligne dans son livre « Pour l’amour de mes filles » : intentionnellement, certains jugements sont envoyés au seuil des vacances de juillet, alors que les cabinets d’avocats sont désertés. Eux au moins profitent de leurs congés pour s’échapper… Dans les villes de province, il vous est plus difficile d’obtenir des conseils. Deux mois pour que le délai de l’appel soit forclos. Une chose jugée est une chose débarrassée, croit-on.

Si Corinne Morel insiste sur la non-responsabilité des juges vis-à-vis des institutions et des justiciables, sur l’absence de surveillance et de retour en matière de déontologie, Bernard Barsamian, lui, met davantage l’accent sur la responsabilité des avocats ainsi que sur leur impunité. En fait, les deux se complètent.

Un juge est quasiment dans l’impossibilité de donner tort à un précédent, ce qui équivaudrait à désavouer un pair et mettrait en péril un État qui, comme Dieu, ne peut pas se tromper. Façon de se prémunir d’éventuelles réparations - y aurait-il des victimes collatérales-, ce serait un gouffre financier que de pouvoir exiger des dommages et intérêts de la part de l’État sur la chose mal jugée… Engager la responsabilité des juges équivaudrait à engager la responsabilité de l’État. Or, l’État n’est responsable de rien et les juges pas davantage. Il est assez comique de remarquer à ce titre dans quelles circonvolutions un magistrat se lance dès lors qu’il ose revenir sur les écritures d’un prédécesseur, et avec quelles précautions rhétoriques il le fait si tenté qu’il s’y risque.

Des avocats bien planqués dans leur île.

Un cabinet d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de Cassation vous indique qu’en absence de notification, le jugement est susceptible d’un appel devant le tribunal supérieur dans un délai de deux ans à compter de son prononcé. Vous avez reçu un jugement délivré sans A.R., sans notification, daté du 14/06/2007. Le délai de forclusion, par conséquent, court jusqu’à juin 2009.

Une avocate du barreau de Mayotte accuse réception de votre demande d’appel, le 11 septembre 2007. Elle encaisse votre chèque, convocation à audience, et fait traîner l’affaire. Devant votre demande d’informations, elle vous recommande de vous retourner contre votre premier avocat (député) : « Votre mail à mon confrère du 18 juillet 2007 marquait clairement votre désapprobation vis-à-vis de cette décision. La responsabilité professionnelle de mon confrère me paraît par conséquent susceptible d’être engagée. Je vous suggère par conséquent (…) de lui demander d’effectuer une déclaration de sinistre auprès de la Compagnie d’Assurances ».

Vous répondez qu’en lieu de réparations, vous souhaiteriez non de l’argent, mais la vérité. Mais elle vous apprend également qu’un certificat de non appel a été délivré le 7/02/2008, où vous découvrez qu’ « aucun acte d’appel contre le jugement précité » n’a été inscrit au registre. Or il appert que le délai de l’appel, n’ayant pas été notifié (ce que vous pouvez démontrer), était bien loin d’être forclos.

À une question portant sur ce point précis, votre nouvelle avocate devient muette, et vos demandes de retour de dossier ne seront pas honorées (contrairement à votre ancien avocat qui vous avait retourné le dossier en y ôtant toutes les copies des pièces d’identité qui accompagnaient les attestations).

En définitive, ce sont trois avocats du barreau, pourtant étroit, de Mayotte qui ont fait preuve de corruption. Deux parmi ces trois ont siégé ou siègent encore dans des assemblées politiques nationales. L’un fut bâtonnier.

À la faveur de l’isolement de « l’île aux parfums », comme à la faveur du turn-over obligés des fonctionnaires, les défenseurs savent qu’ils ont peu de risque d’être poursuivis : pour engager la responsabilité d’un des leurs, autant faut-il faire appel à un avocat issu d’un autre barreau, frais de déplacement afférents. D’ailleurs, rares sont les avocats qui se montrent disposés à poursuivre l’un des leurs.

Alors « la justice française, une grande escroquerie » ? Oui, mais il convient de cumuler à la fois les remarques de Mme Corinne Morel, et celles de M. Bernard Barsamian pour ce faire une idée plus juste de la façon dont procède la justice française.

Jean-Baptiste Kiya


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