L’école de la nuit (2)

La Grande Chaloupe

29 juillet 2014, par Jean-Baptiste Kiya

« Le tunnel…, reprend Toilianti. Pour mon anniversaire, je m’offre un tunnel. Aujourd’hui, j’ai 17 ans.
- Tu es folle ! Qu’est-ce qu’on va faire avec un tunnel ?, fait Sigismond.
- Le traverser », ajoute Toilianti.
Les trois dalons se regardent en silence. Ils se connaissent bien, ils sont dans la même filière au lycée du Port, ils habitent tous trois à La Possession, ils prennent le bus ensemble. Toilianti a prétexté cette histoire d’anniversaire à la Chaloupe pour pouvoir retourner à La Possession, à pieds, en passant par le tunnel. C’était ça son anniversaire. Ça avait tout l’air d’un caprice de fille. Sigismond se tourne vers Lukas, et d’une voix grave et protectrice lui demande :
« Toi, tu as envie d’y aller ? »
Lukas regarde ailleurs. Il esquisse un sourire pour dire :
« Bon anniversaire Toilianti. »
Il avance d’un pas.
« O.k., pas de panique ! On ne va pas passer la nuit ici ! Tu as une lampe torche, Toila ?
- Bien sûr.
- Donne, je passe en premier », fait l’ado, l’air vainqueur.
La jeune fille sort une lampe de son sac.
« C’est celle que je t’ai apportée hier ? »
Dix-sept heures trente, Toila a promis d’être rentrée avant 21 heures. Ça leur laisse 3 heures et demi de marche, largement suffisant. Dans son sac, la fille a une bouteille d’eau, des biscuits, et 3 parts de gâteaux d’anniversaire qu’elle a fait elle-même et qu’elle compte manger à mi parcours, sous la montagne, à la lueur des bougies.
« Bon, vous venez ?, lance Sigismond en se retournant. Moi je n’ai peur de rien, ce n’est pas comme Lukas qui craint les fantômes. » Il se met à rire en montrant les dents.

Les trois compagnons pénètrent dans le tunnel, la lumière du jour les éclaire en arrière. Ils marchent en direction de leur ombre qui grandit à mesure qu’ils s’éloignent de l’entrée, et qui finit par se fondre dans le noir du tunnel. Se retournant de temps à autre, à mesure de leur progression, le trou de lumière se rétrécit jusqu’à ne devenir qu’un point, en forme d’œil. À un coude, le point lumineux disparu, disparaît avec lui le seul lien avec le monde extérieur. Avec le monde vivant : il ne reste que trois éléments : le froid, la pierre, l’obscurité. Devant, le noir infini ; derrière, le noir immense. Partout des ténèbres plus opaques que l’encre, aussi dures que la roche. Sigismond tient fermement la torche, comme pour se raccrocher à quelque chose. Il frissonne et comme craignant que les autres ne s’aperçoivent du tremblement du faisceau, il s’arrête, éclaire ses camarades, comme par jeu, mais pour se sentir moins seul.

« Regarde, Lukas, il va s’évanouir ! », lance-t-il à Toilianti. Il tente un rire. Le timbre grave de sa propre voix l’impressionne. C’est comme si, dans cette grotte, elle appartenait à quelqu’un d’autre.
L’autre le regarde sans rien dire, il est encore plus effrayant, avec ses grands yeux de hibou. « Allez, reprend le grand, venez, il n’y a rien à craindre… » C’est comme s’il parlait pour lui.
Les autres voient la stature athlétique de Sigismond qui s’avance dans le noir, un peu tassé, comme s’il allait affronter un monstre. De son côté, pour se donner une contenance, Toilianti discute un peu derrière avec Lukas. Elle culpabilise d’avoir entraîner ses deux amis dans un tel endroit. Vers l’inconnu.

(Suite au numéro de mardi)

Jean-Charles Angrand


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