L’école de la nuit (4)

La Grande Chaloupe

12 août 2014, par Jean-Baptiste Kiya

« On nous suit ?, fait Toilianti.
- Je crois.
- Attendez. Ce n’est pas ça. Écoutez ! »
Et Lukas dérange du pied quelques roches. « Et là », il marche alors en traînant les pieds.
« Vous avez entendu ?
- Oui.
- C’est un effet sonore : le bruit de nos pas se répercute derrière nous.
- Ça fout carrément les jetons, dit Toilianti.
- Bravo pour ton initiative !, tranche son grand compagnon. Ça ne nous suffisait pas d’être aveugles - ou quasiment, il va falloir encore qu’on devienne sourds ! »
Toilianti lui jette un regard froid. Ils reprennent la marche, un peu plus las, mais résignés. Parfois leurs pas chancellent sur les cailloux qui se sont détachés des parois et qui ont roulé sur la voie. Parfois les rails disparaissent sous un amas de pierre. Toilianti et Lukas se tiennent l’un l’autre. Sigismond seul devant peste.
« Tout est friable ici. Je n’aimerais pas qu’il y ait un tremblement de terre maintenant »
Soudain les deux amis voient en ombre chinoise leur grand camarade faire un saut de telle façon qu’il lâche la lampe qui vient heurter la paroi, et roule. Par chance, elle ne s’est pas éteinte.
« Qu’est-ce qu’il y a, Sigsmond ?, crie Toilianti.
- LÀ ! LÀ !..., ÇA A BOUGÉ ! IL Y A QUELQUE CHOSE !
Lukas se saisit de la lampe, l’endroit désigné par son camarade. Il n’y a que de la roche, le faisceau scrute les parois en haut, sur les côtés. Rien. Par terre, une flaque vide, d’une eau transparente.
« Qu’est-ce qui s’est passé, Sigismond ?, crie Toilianti.
- Je ne sais pas, il y a quelque chose qui était là. Qui est passé, comme ça, près de moi… Je ne sais pas ce que c’était… »
Lukas scrute. Il passe le faisceau au-dessus de la flaque, et dit : « Le reflet… C’est un reflet sur l’eau sur la roche. Comme ça. Tu as eu peur d’un reflet…
- MAIS NON !... Je vous jure, c’était flippant !
- Donne la lampe torche à Lukas !
- Eh, j’aimerais vous voir, vous, vous êtes toujours derrière ! Avec tout ce fénoir, tout paraît bizarre. Ce n’est pas de ma faute ! De toute façon, je garde la lampe, on y va ! »
Il prend la torche des mains de Lukas. La colère a précipité le débit de sa voix, ça ressemble à de la panique.
« Eh, si le cheval d’Alexandre était effrayé par sa propre ombre, c’est qu’il était balaise ! »
Ils reprennent leur progression. Moins vite, comme si toute ombre dissimulait un piège. Valait mieux prendre ses précautions. Il n’y a plus que trois respirations. Ils sont aux aguets. De temps à autre, Lukas et Toilianti entendent le grand marmonner.
Ils avancent peut-être ainsi durant vingt minutes, ou dix.
« Qu’il est long, ce p… de tunnel ! », dit, à l’avant poste, Sigismond. Puis : « Vous ne trouvez pas que ça manque d’air ?
- C’est ton imagination. »
Pourtant, ils se sont arrêtés, ils sentent qu’il y a quelque chose de nouveau, ils écoutent, il semble qu’il y ait un bruit. Non, c’est juste leur respiration qui se précipite. Curieux, ils n’ont pas fait d’effort. « Tu as raison. » Il fait presque frais et pourtant ils ont des bouffées de chaleur. Lukas se met à tousser. Sigismond, qui a des sueurs froides, demande de l’eau à Toila qui sort la bouteille.
« Eh, ne bois pas toute l’eau ! Pense aux autres !
- Désolé », rectifie le grand, d’un ton peu convaincu. « J’avais si soif. »
Puis il se passe de l’eau sur le visage sous le regard désapprobateur de Toila. Lukas continue de tousser, il se mouche ; pourtant il s’est un peu avancé et se penche devant.
« Là… Regardez ! »
Les autres s’approchent. Sigismond a brandi la torche, le faisceau parcourt une masse sombre, compacte. C’est en effet un important amas de rochers qui obstrue le passage. Ça fait comme un mur.

Jean-Charles Angrand

(Suite au numéro de mardi)


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