L’école de la nuit (5)

La Grande Chaloupe

19 août 2014, par Jean-Baptiste Kiya

« Totoche, il va falloir rebrousser chemin ! », remarque Sigismond avec une pointe de plaisir.
« Attendez…, dit Lukas. Il y a un bruit…
- Un effet sonore, probablement.
- Du tout. »
Le garçon entreprend l’escalade à tâtons de l’éboulis. En haut, il lève l’index qu’il a préalablement mis dans sa bouche. « Oui, c’est ça ! Il y a un courant d’air là haut. Il suffit de passer par-dessus en escaladant.
- Je vais encore salir mes Nike !
- Arrête de faire manière, Sigismond, l’interrompt Toila.
- Bon, j’éclaire ; je passe derrière vous », dit le grand.

Ils grimpent prudemment sur les blocs de pierre instables, certains en équilibre se décrochent dans un grondement de tonnerre, qui s’approfondit derrière eux le long du tunnel.
« Un peu plus et je me la prenais, celle-là ! »
De l’autre côté de l’air circule. Il fait plus frais, c’est tout aussi noir. Le long bruit se précise, c’est une note aiguë, une sorte de mélodie triste. Ça ressemble à un gémissement.
« C’est quoi ?, demande le grand en regardant Lukas.
- Je ne sais pas.
- Si on ne sait pas ce que c’est, il vaut mieux faire demi-tour…
- On continue, dit Toilianti.
- Ce n’est pas toi qui commandes ici ! Et puis de toute façon, c’est ma lampe.
- Oui, Sigismond, mais c’est moi qui l’ai apportée.
- EH, CE N’EST PAS MOI QUI AI DÉCIDÉ D’ENTRER DANS CE TROU !
- OUI, MAIS TU AS ACCEPTÉ LIBREMENT D’Y ENTRER. JE TE L’AI PROPOSÉ, ET TU AS ACCEPTÉ !
- Est-ce que j’avais le choix ?
- Tu es grand, non ? »

Toilianti est une gentille fille, mais quand on la cherche on la trouve.
- TU AS DE CES IDÉES DE FILLE ! Et puis, comme c’est comme ça, moi je repars avec ma lampe !, fait le grand.
- Attendez, on est des amis, oui ou non ? », intervient Lukas.
Toilianti et Sigismond acquiescent.
« Alors, l’amitié ne doit pas se terminer ici. On est tous solidaires. On vote : Qui veut continuer, qui veut retourner, on lève la main. Et après on fait ce que la majorité décide, o.k. ? On continue à avancer : ceux qui sont pour lèvent la main…
- Rebrousser chemin, c’est s’avouer vaincu, fait Toilianti. On a fait l’essentiel, non ? »
Il y a deux mains de levées.
« Bon, eh bien, puisque vous voulez continuer, passez devant, vous avez l’air pressé, cède Sigismond, moi je suis avec la lampe.
- Ça ne va pas être simple… »

Ils ne font pas d’autres commentaires pour ne pas faire d’histoires. Devant eux le bruit comme un feulement, quelque chose d’animal, d’inconnu, un appel de l’obscur. Le groupe se met prudemment à redescendre l’éboulis. On se met en marche, soudé, pas à pas dans l’obscurité, les sens tournés vers le bruit qui se dédouble. Car ce sont deux bruits maintenant : un sifflement continu entrecoupé d’un autre en dessous, une note plus grave, plus basse – variable, elle aussi.
Ils ont ralenti leur progression, fixée par le bruit, ils avancent le long de la paroi de droite, prenant appui sur elle.
« Le bruit, c’est là… C’est par là… », murmure Lukas.
La lampe semble faiblir, son faisceau sonde hasardeusement le noir. Ils progressent à l’aveuglette.
« Attendez, c’est au-dessus. LÀ ! »

Jean-Charles Angrand

(Suite au numéro de mardi)


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus