Maurice

Le petit garçon qui voulait attraper le vent (10)

12 août 2016, par Jean-Baptiste Kiya

Ce faisant, ils empruntèrent un lacis de chemins plus tordus les uns que les autres. Un dédale qui montait pour les péchés véniels, et redescendait pour les péchés capitaux. À un coude, Tourniquet se mit à aboyer. Firmin se tourna dans la direction et découvrit un oiseau criard qui trempait sa mouillette dans un œuf décapité. Il dut retenir son chien.

« Le Concupiscent », commenta Titivillus avant de repartir.

Plus loin, deux pieds dépassaient d’une grosse coquille d’escargot se trémoussaient en tous sens. « Ne vous inquiétez pas, fit le petit démon. Il est coincé, il s’en plaint - inutile de vouloir l’aider en le tirant par les pieds, vous ne feriez que l’enfoncer davantage. Il n’aime rien moins que sa prison qu’il ne peut supporter … »

Firmin s’arrêta sur le spectacle : « C’est quel vice ?

- L’Égoïsme… »

Le petit groupe emprunta ensuite un pont qui tanguait dangereusement au-dessus d’un lac noir. À chaque pas, il menaçait de basculer. Il fallait tenir ferme la rambarde de lianes tressées.

« C’est quoi ça, en bas ?, fit, suspicieux, Firmin qui tenait son chien sous son bras.

- Le lac d’excréments, rigola Titivillus, le centre de l’Enfer, mais sentez-moi ça ! (Il s’y penchait) Les Viciés et les Vicieux y tombent.

- Et vous ?

- Ce n’est que pour les humains ! Mais, vous n’y êtes pas tombés… C’est mauvais signe… Suivez-moi. Comme là-haut, dois-je vous préciser, le centre ici est partout, et la circonférence nulle part. »

En remontant une colline pelée, sans aucune végétation, ils rencontrèrent des créatures sans jambes, ni bras qui rampaient à l’aide de leur langue. « Des Bavards. Attention à ne pas marcher sur leur langue, ça colle. Ils avancent avec… Ils sont très ‘langus’, n’est-ce pas ?, rigola le démon. Je m’en sers pour coller mes timbres. »

Il fallut ensuite s’écarter devant un Serpent enroulé sur lui-même qui se mordait la queue. « Il s’avale complètement, commenta Titivillus, pour ensuite, dégoûté, se vomir, et ainsi de suite ».

« Un Égoïste, encore ?

- Tu es un peu moins crétin que je ne croyais. »

Sur le chemin, ils croisèrent un groupe d’obèses sous un arbre mort qui se vomissaient dessus.

« Des Gourmands, c’est ça ? »

Titivillus acquiesça.

« Et qu’est-ce qu’ils mangent ?

- Leur vomi. »

Il y avait encore un constipé assis sur des toilettes rutilantes qui se gavait de pièces d’or. « L’Avarice, Messieurs, la belle Avarice qui tournoie autour de la possession. Le verbe Avoir par excellence, essayant de dévorer le verbe Être… Et n’y parvenant pas… Laissez tomber. »

Un monstre hideux, au milieu d’un carrefour de culs-de-sac, les accueillit en se montrant du doigt, il retint l’attention de Firmin. Il souriait, montrant ses chicots. « Pouah, un Vantard ! Ne le regardez pas ! » Dès qu’on le regardait en effet, il montrait sa joie, dès qu’on ne le regardait plus, il se mettait à pleurer…

D’autres êtres malheureux plus loin, à la tête gonflée se jetaient par terre. Quand leur crâne éclatait, ça faisait le bruit d’une petite détonation, comme quand on fait éclater un sac en papier. « L’Horor Vacui, Messieurs, l’horreur du vide. Ils se détestent eux-mêmes, c’est pour ça qu’ils essaient de se suicider, mais ça ne marche pas, leur tête se regonfle aussitôt… Regardez comme ils ont l’air crétin, lança Titivillus. Leur bêtise est tout à fait fascinante. Je rigole, je rigole… ». Il ne rigolait pas.

Dans le fond d’une cavité, un être marchait solitaire, avec peine. Sa tête blanche était de plus en plus énorme, du fait que des mouettes et autres oiseaux la couvraient entièrement pour la becqueter. La créature se mettait brusquement à s’envoler, porté par les volatiles qui se le disputaient, et retombait, sitôt que les oiseaux le lâchaient et aussitôt ils se reposaient sur sa tête pour le picorer encore.

« C’est quoi, ce truc ?, demanda Firmin.

(Suite au numéro de mardi…)

Jean-Baptiste Kiya

Aux mannes de Jérôme Bosch.


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