Bal tragique à Matignon. Trois morts

26 octobre 2010

Ça s’est passé un jeudi 15 octobre à l’Hôtel Matignon.
C’était annoncé comme un pince-fesse amical, organisé en toute simplicité par François Fillon, en l’honneur de quelques élus régionaux de La Réunion et de leur chef d’équipe. Ça a dégénéré en massacre à la tronçonneuse, et l’enquête doit désormais s’attacher à établir la chronologie des faits, l’identité des victimes, la responsabilité des complices, et les mobiles de ce drame, qui ne peut laisser personne indifférent.

Certes, la sauterie, qui gonflait d’un orgueil juvénile les cœurs des élus concernés, avait été annoncée puis reportée un si grand nombre de fois qu’on aurait dû se douter qu’il y avait un lézard quelque part. Le prix des petits fours peut-être, ou la tendance à la hausse du Moët et Chandon ?... Mais qui aurait pu croire que les flonflons annoncés déboucheraient sur un tel champ de ruines ?

Un fait est établi, que nous n’avions hélas que trop oublié : le Premier ministre en question avait, dès sa prise de fonction, déclaré la France en état de faillite financière, et qu’en conséquence, son action politique consisterait prioritairement en la recherche obstinée d’économies de tous ordres : tondre les futurs retraités par exemple, ou rembourser moins les médicaments, ou encore supprimer des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires tout en bloquant pour plusieurs années le salaire de ceux qui restent. Bref, se payer sur la bête en ne refusant aucun instrument, pourvu qu’il soit contondant. Mais le rusé équarrisseur s’était bien gardé d’annoncer la couleur quant aux coups de rabot qu’il réservait à l’Outre-mer en général et à La Réunion en particulier.

Notez que certains indices auraient pu nous alerter. Comme la nomination au Médétom, fait sans précédent, d’une Ultramarine de choc (pour rendre la pilule moins dure à avaler ?...). Ou l’entrée au bureau politique de l’UMP d’un Rastignac tamponnais (avec la promesse plus ou moins vague de succéder un jour à la précédente ?...). Toujours est-il qu’en contrepartie de ces faveurs, le couple diabolique s’est attelé à une tâche relevant tout à la fois du travail d’Hercule et de l’acte contre nature : inverser le courant historique des flux financiers nationaux, en puisant dans la poche de l’Outre-mer pour renflouer la trésorerie défaillante du gouvernement.
Ils n’y sont pas allés avec le dos de la cuiller...
D’où la dénonciation des « niches fiscales ». D’où le couperet sur le photovoltaïque. D’où l’abandon de GERRI, que Sarkozy lui-même avait porté au pinacle lors de son voyage à La Réunion. D’où la baisse (2,71%) des crédits du Médétom au Budget 2011.
D’où, surtout, la décision inouïe entre toutes, prise par celui-là même qui aurait dû s’en faire le plus zélé défenseur, de tirer un trait sur le Protocole de Matignon signé en 2007 par son prédécesseur, qui garantissait à La Réunion une enveloppe avoisinant les 3 milliards d’euros au titre des grands chantiers programmés. Le contribuable réunionnais sait désormais ce qu’il en coûte d’avoir un compatriote à la Direction nationale de l’UMP, et s’il ne lui reste que les yeux pour pleurer, du moins peut-il s’en servir pour compter les cadavres :

Un, la MCUR, renvoyée au fénoir, et avec elle la mémoire vivante de plus de trois siècles de luttes, de conquêtes sociales et d’affirmation identitaire (il faudra désormais montrer patte jaune à ses nouveaux gardiens pour entrer dans le panthéon historique où ils ont remis aux fers l’histoire de La Réunion).

Deux, le tram-train dynamité, et avec lui toute volonté d’organiser nos déplacements et notre économie autour d’une infrastructure moderne, rapide et non polluante. On connaissait la haine atavique de la Droite réunionnaise pour le chemin de fer, ses cheminots et ses usagers, et certains se souviennent du fin slogan que Jean-Paul Virapoullé fit applaudir jadis aux foules sudistes : « avec Marchais, ou march’ à pied, avec Giscard, ou roul’ en car ! ». Didier Robert a simplement complété ce 15 octobre : « avec Fillon ou l’é kouyon ! ».

Trois, la liaison Saint-Denis-Possession partie en fumée sous la forme d’une usine à gaz pharaonique d’un coût minimal d’un milliard sept cents millions (soit 141 millions 666.666 euros, ou le prix de 4 lycées, par kilomètre !), à financer non plus paritairement entre l’État et la Région, mais essentiellement par cette dernière, donc par le cochon de payant réunionnais. Quand on songe aux hausses de coûts à prévoir d’ici 2020 (date de livraison annoncée), on est pris d’un sérieux vertige. Il faut dire que la bête conçue par nos Hercules sera digne de ses ancêtres mythologiques : Cerbère avait trois têtes, l’Hydre de Lerne neuf, et c’est sur six voies de large que leur monstre routier déploiera ses anneaux au cœur des houles.

Bref, la totale. On aurait pu s’attendre que, comme beaucoup de tueurs en série, le Premier ministre fasse profil bas, voire cherche un début de rédemption en alléguant les difficultés du temps. N’y pensez même pas. Il a cyniquement choisi de conclure par la flèche qui tue. En gratifiant, pince-sans-rire comme jamais, notre Rastignac péi d’un : « Vous êtes un négociateur redoutable ».
Redoutable pour qui, les 870.000 Réunionnais n’avaient plus vraiment envie de l’entendre…

Raymond Mollard


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