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par le Dr Raymond Vergès

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« Sérieusement de gauche et d’une gauche sérieuse » ?...

mardi 5 avril 2011

C’est sous ce label en forme de pirouette qu’est annoncé, par un de ses rédacteurs, le projet socialiste « pour redresser la France », qui doit être rendu public aujourd’hui à Paris par la direction du PS, avant d’être mis en débat puis adopté par une convention nationale le 28 mai. Si l’on en croit les premiers éléments fournis par la presse nationale, ce projet devrait s’articuler en trois volets, dont le second me paraît particulièrement important, sous un intitulé pour l’instant
très général : « face au sentiment de déclassement et d’absence d’avenir, construire une société juste et une société du respect et du lien social ».

Nous jugerons sur pièces, mais disons-le clairement : « redresser la France », c’est d’abord et d’urgence « redresser l’École républicaine ».

C’est redonner de l’air au système éducatif au bord de l’asphyxie ; c’est recruter, former et respecter des personnels hautement qualifiés ; c’est rouvrir à tous les enfants les portes des écoles, des collèges, des lycées, de l’Université ; c’est en finir avec les « socles communs » et programmes a minima qui privent les générations les plus fragiles d’ambition, d’aide, de moyens, d’accompagnement pédagogique, et les condamnent insidieusement à la médiocrité et à l’échec ; c’est reprendre la marche en avant vers la qualification de 80% des classes d’âge au niveau IV (bac général, technologique ou professionnel) et d’au moins 50% aux niveaux III (BTS, DUT) et II (licence générale et professionnelle).

Chacun doit bien se persuader qu’il ne s’agit nullement d’une utopie, mais d’une exigence incontournable pour que notre société permette aux jeunes générations de courir leur chance dans la compétition économique du XXIème siècle, où seule, absolument seule, l’élévation du niveau de qualification permettra aux individus de demeurer des citoyens libres de leurs choix, plutôt que d’être broyés dans la spirale de l’échec, du chômage, de l’assistanat, des petits boulots, qui porte en germe le naufrage de tout le système actuel.

Ce n’est donc pas de démagogie, mais de lucidité et de volontarisme qu’a besoin notre population. Certains, parmi les porteurs du projet, disent en être conscients, comme Arnaud Montebourg qui déclarait au "Monde" du 2 avril : « tout programme qui serait une mise sous respiration artificielle du système économique actuel, moribond, nous fera passer pour les infirmiers de la mondialisation et non pas pour les bâtisseurs d’un autre monde, d’une nouvelle France ».
On ne saurait mieux dire, et c’est sur ces bases que chacun, bien au-delà du Parti socialiste, et en tout premier lieu au sein de la communauté éducative, jugera de la crédibilité du projet.

Car en attendant, notre ci-devant ministre Luc Chatel continue, rue de Grenelle, d’appliquer la stratégie de la terre brûlée décidée par Sarkozy et l’UMP. Les conséquences catastrophiques en sont dénoncées partout en France, et encore plus à La Réunion, où elles frappent un système éducatif très jeune et par conséquent très fragile : suppression de 162 postes d’enseignants à la rentrée prochaine, disparition de 19 postes de conseillers pédagogiques, baisse des moyens consacrés à la prise en charge de la difficulté scolaire (remise en cause des ZEP et des RASED, reflux de la
préscolarisation des enfants de moins de trois ans, généralisation de l’expérience « CLAIR », suppressions des réseaux ambition-réussite), sorties sans qualification à l’issue de la scolarité obligatoire, réformes désastreuses appliquées en seconde et étendues aux classes de première à la prochaine rentrée, atteinte à la qualité du baccalauréat technologique (*), démantèlement du service public d’Information et d’Orientations, formation des nouveaux recrutés sacrifiée….

Comble du cynisme : pour tromper le public et détourner son attention du sens réel de la politique qu’il conduit, le ministre alimente une intense campagne de désinformation en accumulant une succession d’annonces creuses sur de faux problèmes, dans le seul but d’enfumer l’opinion publique. Ainsi, il n’est guère de semaines où son profil avenant d’ancien cadre de "L’Oréal" ne vienne nous vendre quelque nouvelle crème à embobiner le bon peuple : loi sur l’absentéisme (loi du 28.09.3010), suppression des allocations (circulaire du 31.01.2011), projet d’apprentissage de l’anglais en maternelle, remise en question de la semaine de quatre jours, modification de l’évaluation des enseignants (la double notation remplacée par un entretien avec le chef d’établissement), projet d’organiser un stage de langue pour chaque élève (mais sans le moindre financement du ministère). Le dernier gadget, livré la semaine passée, concernait la souffrance des élèves harcelés à l’école ou au collège, qui concernerait 10% de la population scolaire. On a pu voir le chevalier blanc venir nous présenter sa statistique maison comme la découverte sociologique du siècle, en nous jurant, le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges, qu’aucun de ses prédécesseurs (surtout de gauche, bien sûr) n’avait rien fait pour résoudre cette question, et qu’il allait, lui, d’urgence… attendre les propositions de spécialistes mondiaux dans ce domaine !... Et pendant que Luc Chatel nous vend sa vaseline, Chatel Luc fait disparaître les surveillants des lycées et collèges, supprime par milliers les postes d’enseignants et de CPE, se débarrasse de la gestion des TOS sur les régions et les départements, ferme des centaines de classes du primaire, bref organise délibérément l’aggravation d’une situation dont il prétend dénoncer le caractère scandaleux !...

Voilà comment le pouvoir sarkoziste gère l’institution éducative. C’est dire qu’il est plus que temps, dans la perspective des présidentielles de l’an prochain, de renverser la tendance, d’organiser la mobilisation la plus massive, de regrouper les propositions, de faire prévaloir des choix alternatifs qui puissent être mis en oeuvre dès la rentrée 2012.
Plus que les batailles d’éléphants ou les valses-hésitations entre l’UMP et le Front National, cet enjeu constitue une clé du scrutin : ni au plan national, ni à La Réunion, la jeunesse n’acceptera d’être passée aux profits et pertes de la mondialisation.

Un mot sur l’élection à la Présidence du Conseil Général.

Il y a ceux qui parlent d’unité, et il y a ceux qui la réalisent dans les faits. Ce n’est certes jamais facile. Bravo donc à ceux qui, sans rien renier de leurs choix politiques, ont mené à bien cette ambitieuse tâche. Que Nassimah Dindar sache quel plaisir est le nôtre, de saluer en elle et de féliciter chaleureusement la femme, la militante et l’élue, qui a su adresser aux Réunionnais le message de dignité et d’espoir qu’ils avaient besoin d’entendre.

Raymond Mollard

(*) Voir sur ce point l’article publié dans "le Quotidien" d’hier : « Valorisation de la voie technologique en première : une réforme faite dans la précipitation » (p. 11).


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