Noël en janvier (3)

17 janvier 2014

’Noël en Janvier est un conte de Noël décalé, plein d’humour et d’amour, sur la relation entre un papa et son enfant porteur de handicap, face aux menues incompréhensions de la société, avec une réflexion sur l’argent. Et bien sûr une fin merveilleuse, comme tout bon conte de Noël’.

Il y a un film terrible, étrange et beau : « Cube » qui parle de ça. L’action, toute à huis clos, se déroule à l’intérieur de cubes emboîtés à la manière d’un Rubik cube, labyrinthe de pièces superposées aux mouvements menaçants, desquels les personnages doivent s’extraire. Le seul à pouvoir trouver l’issue, pour renouer avec la lumière, le seul à être sauvé de la malédiction de la machine est un autiste. L’homme de Platon, le Christ de l’avenir, d’un monde qui se perd, ne saurait être qu’autiste, car lui seul ne mêle dans son action aucun intérêt de type narcissique. Il est quelque part l’essentiel humain.
À travers ce film, Jean-Jacques retrouve cette notion difficile qu’il sent, à propos de lui et de sa fille : celle de la beauté du handicap.

Du fait que longtemps, le langage ne servait pas à sa fille pour communiquer, sa maman mahoraise pensait qu’elle était possédée par l’esprit d’une très jeune enfant noyée qui n’avait pas atteint l’âge de la parole. C’était parce qu’elle était habitée par le djinn d’un nourrisson englouti qu’elle se trouvait empêchée de grandir à travers la parole, empêtrée. Les cérémonies de patrosi ont pour fonction, de faire naître par le rituel de la transe le nom de ce djinn dans le but de le soulager et de l’éloigner. Jean-Jacques ignore si son épouse a trouvé ce nom passeur, ils se sont séparés avant, tout comme l’immense majorité des parents d’enfants porteurs de handicap.

Au 2ème trimestre de sa moyenne section, la professeur évoquait l’attitude de la petite, elle soulignait : « dans sa relation avec les autres, elle est parfois déstabilisante », et ajoutait : « Il faut aller la chercher dans son monde ». Parce que son monde à elle, c’est celui des fées et des lutins. Il est insaisissable. Elle habite un Oz sans tourment, un Oz immédiat.
Jean-Jacques sait d’expérience que les Esprits échappent aux grilles d’évaluation des tests aux intitulés savants et rébarbatifs qui ont été soumis à son enfant : psychométrique, orthophoniste, psychomotricité, et que ceux-ci n’ont décelé aucun Esprit.
Mais ces démarches l’ont amené à pénétrer dans une drôle de forêt dans laquelle il est aisé de se perdre : la forêt des acronymes : CRIA, TED, CAMPS, CMPP, PAI, MDPH, AEEH, et dans cette drôle de forêt aux noms de labyrinthes, les petits cailloux, ce sont les pas de sa fille de laquelle il tient la main.

Les enfants autistes, ce sont des mères froides, déclarait Dolto, elle-même maman du gras et de l’éternel bébé Carlos ; l’homosexualité masculine, ce sont des mères castratrices, tranchait-on. Un rendez-vous fut pris chez un psychiatre pour enfants au Chaudron. Jean-Jacques est encore avec son épouse. À l’heure du rendez-vous, ils sonnent. Hagiophone. Les parents d’Anne-Sofia ont du mal à savoir quel est le bouton qui ouvre la grille, ce n’était pas indiqué. Ils re-sonnent, ils se font mal recevoir par le spécialiste. En salle d’attente, ils discutent, et concluent qu’il n’est pas question de laisser leur enfant entre les mains d’un psychiatre qui ne contrôle pas ses nerfs. Ils repartent. Dans la voiture, appel du spécialiste qui s’excuse tout en tentant de culpabiliser les parents. « Ça suffit, raccroche », tranche Jean-Jacques en direction de sa femme qui l’interroge du regard.

Dès les premières gardes de nounou, la petite se tenait éloignée de l’autre enfant. À l’école, elle refusait que certains de ses camarades la touchent, y compris pour se mettre en rang, elle réagissait par des cris. Quand sa demi-sœur est arrivée pour les vacances, elle lui tournait le dos, absorbée par ses jeux…
Jean-Jacques vient la chercher à l’école, pour une séance avancée d’orthophonie, il la voit tourner en rond seule autour d’un pilier de la cour de récré, pendant que les autres enfants par grappes s’amusent. Il pense aux manèges qu’il évite, parce que ça n’en finit pas. Elle ne veut plus descendre, elle ne voudrait pas que ça s’arrête. Elle tournerait tout le temps, petite étoile gravitant dans sa galaxie. Quand il était temps de partir, elle réagissait de manière excessive, au point d’en devenir dangereuse. À présent, elle gère un peu mieux la frustration. Petite, il la faisait tournoyer, elle riait aux éclats, c’était des jeux sans fin où il avait la désagréable impression de n’être qu’un jouet parmi d’autres.

Les gens lui ont reproché de tenir trop son enfant dans les bras. « Elle sait marcher, non ? » « Jalouse ! », avait envie de répondre Jean-Jacques qui se détournait ou refusait d’entendre. L’orthophoniste lui en fit aussi la remarque. Jean-Jacques répondait : « Qu’elle en profite, elle va grandir, quand elle sera trop lourde, je ne pourrai plus. » Ces personnes ne voyaient pas l’intérêt de cette attitude ; sur une situation atypique, elles projettent des critères normatifs. Pour une enfant qui a du mal à passer par le mode du langage, le toucher est une façon capitale de communiquer ; pour une enfant qui a tendance à s’enfermer dans ses jeux, c’est une façon de l’attirer vers l’autre.

(Suite au numéro de mardi)

 Jean-Charles Angrand 


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