Apprendre à lire

21 janvier 2006

En prenant comme cible la méthode d’apprentissage de lecture, dite globale, responsable à ses yeux en grande partie de l’échec scolaire, le ministre de l’Éducation nationale a-t-il vraiment visé juste ? Ou bien plutôt, n’est-ce pas encore une trouvaille, destinée comme tant d’autres, à faire diversion ? Surtout en cette période qui précède, de quelques mois seulement, l’élection à la présidence de la République, où le gouvernement en place a du plomb dans l’aile depuis ses derniers revers aux régionales et au référendum sur le Traité constitutionnel, et où il rencontre chaque jour de nouvelles difficultés. Quoiqu’il en soit, la querelle qu’il soulève, bien que fort ancienne, et qui resurgit à plusieurs années de distance un peu comme le fameux serpent de mer, mérite qu’on s’y arrête, ne serait-ce qu’un court instant, afin de faire le point.

Toutes les maîtresses et tous les maîtres des cours préparatoires, tous les professeurs des écoles, comme on les appelle aujourd’hui, qui enseignent dans ces classes, peuvent en témoigner : le problème n’est pas dans la méthode d’apprentissage elle-même mais plutôt dans la manière dont elle est employée : "La même méthode, selon l’enseignant qui l’utilise, donne des résultats fort différents. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises méthodes, il n’y a que des maîtres qui réussissent et d’autres qui échouent", affirme avec netteté Raymond Toraille, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, doyen de l’Inspection générale (groupe de l’Enseignement élémentaire), qui a derrière lui toute une longue expérience de l’école primaire, comme inspecteur départemental, puis inspecteur d’académie et inspecteur général... dans une lettre qu’il a adressée lui-même au ministre le 14 décembre dernier, justement après sa vive sortie contre la méthode globale. En marquant bien les conditions du succès de tout apprentissage : "À quoi tient la réussite ? À la continuité de l’action de l’enseignant, à sa rigueur, à son exigence, à son travail méthodique avec les élèves, à la confiance qu’il leur insuffle". Et parmi les causes de l’échec, en homme de terrain proche de la pratique quotidienne des maîtres, il voit principalement l’influence décisive du milieu social où vit l’enfant, avec tout son environnement et, en première ligne, le milieu familial auquel il appartient. "Si la langue française, le livre et l’écrit en sont absents, l’apprentissage de la lecture se heurte à de lourds handicaps", constate-t-il en ajoutant : "Le maître doit en tenir compte en établissant des relations avec les parents et l’ensemble de la famille. C’est tous les acteurs sociaux qui sont impliqués, et la mise en cause d’une méthode de lecture pour expliquer l’échec scolaire n’est que l’aspect réducteur d’un problème socioculturel beaucoup plus grave".

Ce condensé d’expérience pourrait aussi se résumer dans la formule lapidaire d’un ancien professeur de sciences naturelles : "Il n’y a jamais un problème de matière scolaire, tout est un problème de relation".

Georges Benne


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