Quelques heures de liesse et une éternité de misère

14 juin, par Julie Pontalba

Ce mercredi 12 juin, la « flamme olympique », était de passage sur notre île. Cela n’a duré que 8 heures, a suscité une grosse émulation et autant de critiques.

Nous ne pouvons que comprendre la ferveur des sportifs, petits et grands, et de leur famille pour qui, les Jeux Olympiques sont un évènement exceptionnel. Voir la flamme passer ici et portée par nos athlètes est une fierté immense. Leur enthousiasme, celui des collectivités et des médias, ont entraîné une partie de la population réunionnaise dans la liesse. Pour faire face à la foule attendue, un important dispositif a été déployé. Certains axes routiers ont été totalement fermés ; heureusement que cela tombait un mercredi !

Le passage de la flamme a été traité comme un moment historique pour notre île. Est-ce suffisant pour nous faire oublier l’essentiel ? Il semble utile de mettre la lumière sur les faits suivants.

Les Jeux Olympiques sont l’occasion de rencontres et d’affrontements sportifs entre athlètes du monde entier, mais pas que cela. Ils sont aussi le théâtre d’affrontements politiques et idéologiques. L’exemple le plus bouleversant de ce fait est les JO de 1936 en Allemagne, où les stades étaient arborés de drapeaux nazis. Marqués par l’idéologie raciste et antisémite, les Noirs avaient été humiliés et privés de leurs récompenses, quant aux athlètes juifs, ils avaient été retirés des équipes allemandes. C’est cette année-là que fut lancé, pour la première fois, le relais de la « flamme olympique ». Il n’y a pas vraiment de quoi en être fier quand on sait qu’il a servi à la propagande naziste, qui conduira à la 2e guerre mondiale et ses centaines de millions de morts.

En 2024, le contexte politique joue toujours sur les JO, de manière dramatique et injuste. En effet, alors qu’une guerre dure depuis plus de 50 ans en Palestine et que l’entité Israël, vient d’être reconnu par l’ONU comme Organisation Terroriste, que son Premier ministre est sous mandat d’arrêt international pour crimes de guerre et crimes contre l’Humanité, après le massacre, en moins de 6 mois, de près de 40 000 personnes dont une majorité d’enfants et de femmes, les athlètes israéliens font partie des invités au JO, sans aucune contrainte. Ils défileront sous leur drapeau lors de la cérémonie d’ouverture. On pourrait comprendre ce point de vue s’il était régi par les principes sportifs et valable pour tous. Cependant, nous constatons que le régime n’est pas le même pour les athlètes russes ou biélorusses, qui eux, sont sanctionnés à cause de la guerre menée par leurs dirigeants politiques. Dans cette vision politique des choses, comment pourrons-nous acclamer le passage des athlètes israéliens ? Comment pouvons-nous saluer la tenue même de ces Jeux quand les organisateurs acceptent d’accueillir un « État terroriste » qui a détruit autant de vie en si peu de temps ? C’est impensable. Où est le symbole de la paix ?

D’ailleurs la symbolique des Jeux Olympiques est bien loin de ses débuts, où la couronne de feuilles d’oliviers sauvages était la récompense suprême. De nos jours les grandes entreprises multinationales exercent un lobbying très lucratif sur le dos des athlètes et des spectateurs. Sommes-nous bien encore dans ce que certains appellent « l’esprit de respect, d’équité et de solidarité" ?
Dans ces conditions, tout le monde devrait boycotter ces JO et le faire tant qu’ils ne seront pas véritablement symboles de paix, « d’amitié, de respect et d’excellence ».

Enfin, revenons-en à la situation réunionnaise et aux critiques soulevés. Les gens ne comprennent pas que des élus réunionnais puissent dépenser de telles sommes pour une opération qui n’aura aucune retombée pour notre économie, contrairement à ce qui est prévu pour Paris.

En effet, pour bénéficier du passage de la flamme, les départements devaient avancer la somme de 180 000 euros, au comité d’organisation des JO (le COJO). Il faut aussi compter les nombreuses autres dépenses liées à l’organisation sur place, auxquelles s’ajoutent les dépenses effectuées par les différentes villes qui seront traversées. Quand on connaît la situation socio-économique dans laquelle se trouve notre île, dépenser de telles sommes pour une seule journée semble indécent.
Par comparaison, 180 000 euros c’est l’équivalent d’un salaire net au SMIC pendant 10 ans. Nous rappelons qu’à La Réunion il y a un taux de chômage exceptionnel, 40 000 demandes de logement en souffrance, un taux de pauvreté de 40 %, un enfant sur deux grandit dans un foyer vivant en dessous du seuil de pauvreté… Pouvons-nous réellement, agir comme ces pays riches et brûler 180 000 euros pour 8 heures de flamme ?

Finalement, il y a beaucoup plus que l’esprit du sport dans cette flamme et dans ces Jeux. Il y a des symboles et des actes que nous ne pouvons ni admettre, ni accepter.

Dans l’urgence, nous gagnerons tous à réclamer l’exclusion du drapeau israélien. Nous gagnerons à réclamer de la modestie et de la dignité devant tant de problèmes vitaux non résolus. Quand ce jour-là viendra, tout le monde pourra partager la joie et la beauté de l’Olympisme.

Julie Pontalba

JO Paris 2024

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