Violences intrafamiliales : L’insoutenable légèreté de la parole des ministres de passage… et de leurs subordonnés locaux…
26 avril, par
En novembre 2016, lors des États Généraux des Violences faites aux Femmes organisés à La Réunion, Mme la ministre Laurence Rossignol estimait que le seuil de tolérance dans la population à l’égard des violences dont les femmes sont l’objet avait baissé. Grâce aux mesures gouvernementales et à l’engagement associatif. À l’époque, on décomptait à La Réunion le nombre de plaintes déposées dans les gendarmeries et les commissariats de police à 6 par jour.
Aujourd’hui, alors qu’on en est au 6e plan interministériel d’action contre ces violences intraconjugales et intrafamiliales dont les femmes sont victimes en grande majorité, proclamée depuis 20 ans au moins « grande cause nationale », par les gouvernements qui se succèdent, après le « Grenelle des violences conjugales » en 2019, après les « assises de La Réunion contre les violences intra-familiales » en 2023, on évalue les plaintes au nombre de 12 par jour à La Réunion ! Succès de la libération de la parole ? Ou échec flagrant de mesures qui de toute manière sont incapables d’agir ou même de penser avec efficacité les modes de prévention de cette plaie sociétale.
Combien d’actions, de manifestations, de colloques, d’ateliers proclament lutter contre les violences conjugales et familiales, alors qu’ils ne traitent en fait que leurs conséquences et leurs effets, terribles, insupportables sans doute, mais toujours après coup ! Dans un cadre tel que la réunion à la préfecture du Comité locale d’aide aux victimes (CLAV) (qui au moins ne cache pas sa finalité), la jeune ministre, Mme Aurore Bergé a bien pu se féliciter de l’heureux développement des mesures arrêtées pour secourir les victimes, les accompagner et les protéger. Paroles verbales bien sûr ! Sans parvenir pour autant à masquer la superficialité, voire l’inanité de ses connaissances et de ses compétences en matière de violence domestique et même de combat pour l’égalité entre femmes et hommes. Il est seulement exact que depuis le Grenelle, on assiste à une multiplication de moyens d’intervention, tels les téléphones grave danger supplémentaires, le renforcement du recours aux bracelets anti-rapprochement, la création d’un fichier des auteurs de violences conjugales, le renforcement des Intervenants Sociaux en Commissariat et en Gendarmerie (ISCG), le dépôt de plaintes en ligne, la mise à l’abri en urgence des femmes victimes de violences, le pack nouveau départ, le bouton d’alerte MonShérif… Quand tout ça veut bien fonctionner…
Mais l’essentiel cependant continue à échapper à tous, à nous tous, ministres, autorités publiques, personnalités institutionnelles, militantes et militants associatifs. Les rencontres ministérielles, les réunions préfectorales où ne sont par ailleurs invités que les interlocuteurs dont on n’a pas à craindre les propos qui pourraient déranger la doxa unanimiste et complaisante, ont la capacité temporaire de réconforter tout ce monde, plus ou moins assujetti aux orientations du plan gouvernemental actuel, ainsi qu’il l’a été aux précédents… Il n’en reste pas moins que le lendemain, la réalité de l’enfer des violences reprend sa place inexorablement, ainsi que Mme Denizot, la procureure l’a laissé entendre, si j’ai bien compris…
Les statistiques, icônes sacrées de notre temps, montrent clairement que le progrès des interventions auprès des victimes n’a manifestement pas d’effet sur les violences dont elles sont l’objet. Intervenir après coup, « après les coups », quelles que puissent être l’intelligence et la dimension des moyens mis en œuvre, voire leur efficacité, n’entravera jamais ni les déclenchements, ni la persistance des conflits meurtriers entre conjoints.
En dépit d’appels lancés vainement dans un réel désert d’écoute, aucune recherche sérieuse n’est jamais menée en ce qui concerne les origines, les chaînes de causalité (à l’évidence multifactorielles) ainsi que les mécanismes qui alimentent conflits et violences domestiques, qui seuls permettraient d’espérer les éviter et d’agir de façon préventive à leur encontre.
Les champs d’études sont pourtant là, à portée de main : Mais quelles recherches sont menées autour de l’analyse des conséquences de l’émancipation féminine continue et partout active dans tous les domaines, sur les représentations de la masculinité, particulièrement dans la vie conjugale et domestique, et sur certains comportements masculins qui en découlent ? Quelles études, de qualité professionnelle et universitaire, et diffusées dans le grand public, pourraient analyser les conséquences du sentiment, vécu par tant d’hommes, d’une éviction des espaces traditionnels (sociaux, publics, mais également domestiques) comme autant de provocations à la frustration ? Quelles enquêtes popularisées à La Réunion pourraient permettre d’évaluer les facteurs familiaux et notamment les risques accrus possibles dans l’éducation des garçons par des mères vivant seules ? Et il ne s’agit pas du tout pour moi de porter de jugement moral. Il s’agirait par exemple de comprendre, dans le contexte actuel, les éventuelles conséquences sociales à long terme de la posture du « petit mari », des problèmes de la matrifocalité et du manque d’apprentissage de la loi du père, de la dépendance à l’égard du surinvestissement des images féminines, du fait de tous ces garçons aux mains des femmes jusqu’à l’entrée au collège (maman — crèche — école maternelle — école primaire…). Et ce ne sont que de brèves illustrations parmi beaucoup d’autres de pistes à explorer…
Oui, aborder la violence intraconjugale est compliqué ! Nous ne partons pourtant pas de rien. Tant de recherches, d’observations, d’intuitions, d’hypothèses nécessitent vérifications, confrontations, expertise, validation ou invalidation… Qui les mène ici, pour sortir des vaines incantations « contre la violence faite aux femmes » ? Seul un travail approfondi et continu d’analyse et de popularisation pourrait nous aider à sortir de cette impuissance à modifier les modes d’organisation de la société qui permettent ces manifestations de violence et parfois les déclenchent.
Faute de quoi, on ne le répétera jamais assez pour pasticher sommairement Bossuet : « Dieu rigole à gorge déployée des hommes qui pleurnichent sur les conséquences des causes qu’ils préfèrent ignorer ! »
Arnold Jaccoud