Autour du décès de Damien (Renésens)

6 juin 2005

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L’hôtel retenu par les organisateurs du Festival Donia pour Renésens était celui de La Saladerie dans la baie d’Ambatoloaka, un petit hôtel aux chambres minables à 100.000 francs malgaches la nuit, soit environ 8 euros. Mon épouse Annick et moi y sommes arrivés le samedi, trois jours avant le reste du groupe, parce qu’il n’y avait pas suffisamment de places sur le vol du mardi suivant.
À notre arrivée, tard dans la soirée, on nous a remis une somme d’argent correspondant à 35.000 francs malgaches par repas, soit moins de 3 euros. On nous a déconseillé de manger à l’hôtel, les repas étant trop chers. Finalement, nous avons décidé d’y déjeuner et dîner chaque jour en payant la différence de notre poche. La petite église d’Ambatoloaka se trouvait juste à côté de l’hôtel.
Nous sommes allés à la messe le dimanche matin, cérémonie en malgache. L’église était pleine. On était les seuls Blancs présents à l’office, alors qu’il y a de nombreux “vaza” à Ambatoloaka. Mais quels “vaza” mon Dieu ! Le tourisme sexuel est très important dans ce quartier. J’avais honte d’être d’origine européenne, tellement on y ressentait la perversion et je pensais déjà écrire une chanson sur cette exploitation éhontée de la misère.
Nous n’avons revu le délégué océan Indien du COFESTIN, Daniel Boisson, que le lundi soir, la veille de l’arrivée du reste du groupe. On ne nous a donné aucun moyen pour pouvoir rester en contact avec Renésens pendant 3 jours, ni avec aucun organisateur du Festival.

Détresse morale

Au moment du drame, Annick et moi étions dans notre chambre à l’hôtel à Ambatoloaka. C’est un employé averti par le président du Festival qui nous a prévenu de l’accident. Nous avons dû nous-mêmes faire appeler un taxi pour nous rendre à l’hôpital. On ne connaissait pas les circonstances de l’accident, ni qui avait été touché. Je n’ai appris la mort de Damien et la grave blessure de Morgan qu’à l’hôpital d’Hellville.
J’étais effondré et me souviens seulement d’avoir vu Daniel Boisson, accompagné du maire de Nosy Bé et d’un autre représentant local, venus prendre part à notre malheur. À aucun moment, nous n’avons parlé du Festival Donia. On était dans une telle détresse morale ! Le principal soutien psychologique à ce moment-là est venu de la Sœur Claire André Painsonneau, d’origine bretonne.

Informations erronées

À mon arrivée à La Réunion le 13 mai, avec le cercueil de Damien, j’ai été très surpris d’apprendre par les journaux que j’aurais “demandé” ou donné mon accord pour que le Festival se poursuive, n’ayant revu aucun organisateur, ni le mercredi ni le jeudi.
Il est indigne qu’il ait pu être dit à la télévision réunionnaise, dans le journal télévisé du mercredi 11 mai de RFO, que j’aurais déclaré vouloir continuer à participer à ce festival. J’en étais strictement incapable, tant la douleur était indicible. C’est un outrage à ma famille d’origine bretonne et créole, pour qui le deuil et les veillées du corps sont des moments sacrés.
De toute façon, je ne pensais qu’à la mort de mon fils et je n’arrêtais pas de pleurer. Et je pleure toujours chaque jour en repensant à lui, à tout ce que nous faisions et devions encore faire ensemble.

Après le départ de Morgan avec sa maman, son frère Paolo et la plupart des membres de Renésens à Nosy Bé le mercredi matin, Gérard notre guitariste, Babou et moi, nous étions complètement abandonnés près de la dépouille de Damien, sans aucune protection pour tenter de conserver le corps. Les seuls soutiens sont venus de la sœur bretonne accompagnée de quelques Malgaches, particulièrement deux femmes qui nous ont réconfortés jusqu’au bout, Julienne et Bérény, de Sudel Fuma, admirable de tendresse et de compassion, et de Michel Payet, le propriétaire de l’hôtel La Résidence qui a fait intervenir ses relations pour mettre le corps de Damien dans la glace et accélérer les démarches administratives pour le rapatriement du corps à La Réunion.

J’aurais souhaité que le Falcon de l’armée française vienne nous récupérer le lendemain. Mais c’est réservé aux personnalités ! Je retiens une réflexion entendue au hasard des conversations : "quand un ministre comorien a une égratignure, le Falcon est envoyé pour le faire soigner à La Réunion, mais pour les ressortissants français dans des circonstances aussi graves à Madagascar, ce n’est pas disponible...".
Nous avons dû attendre 3 jours avant notre retour sur un vol régulier. Il est tout à fait inadmissible que les importants moyens de l’armée française soient plus au service de sa diplomatie que de ses ressortissants...

La suite, vous la connaissez. Elle a été suffisamment retranscrite dans les journaux, notamment dans “Témoignages” et “le JIR”. Certains journalistes ont été odieux par des informations erronées, écrivant notamment dans leur article du 15 mai sur la cérémonie d’enterrement de Damien, qu’il n’y avait que “300 à 400 personnes présentes”.
Nous constatons l’indifférence des artistes réunionnais présents à Nosy Bé qui ne sont pas venus se recueillir sur la dépouille de Damien à Ambatoloaka, même pas à la levée du corps le vendredi matin, alors que Gérard Louis du groupe Cassiya et son formidable harmoniciste Sylvio ont assisté à une des cérémonies, ainsi que les musiciens de Mikidache (groupe malgache bien connu) et ceux de Malesh (artiste comorien de talent).

Remerciements

À La Réunion, je remercie toutes les personnes qui nous ont témoigné leur affection, la municipalité de Sainte-Suzanne, particulièrement son maire, mon ami Maurice, qui a fait les démarches administratives, mis à notre disposition tous les moyens de la commune et qui accorde à notre famille une des dernières concessions du cimetière de Sainte-Suzanne, au bord de l’océan Indien, face au phare (Damien ne pouvait pas être mieux que là).
Je salue les artistes réunionnais qui ont pris part à notre peine, ceux qui ont participé à la cérémonie funéraire : Joël Vigne, Joël Manglou, Danyèl Waro (Damien qui aimait tant la voix de Danyèl est mort le jour de son anniversaire), Jean Jo (notre copain Jean Jo du Chaudron), Gérald Coupama, Nathalie Natiembé venus à la veillée et d’autres présents à l’enterrement : Michou, Henry-Claude Moutou, Baptisto (que ceux que j’oublie ne m’en veuillez pas), Maximin Boyer venu réconforter son dalon Dominique dans les jours suivants, Sylvio revenu nous voir par deux fois à la Renaissance.
Malheureusement, l’absence de certains artistes réunionnais (pas même un petit mot de condoléances adressé par courrier), surtout de ceux présents à Nosy Bé qui continuent actuellement à faire des shows à La Réunion sans même avoir une pensée pour nous, m’est profondément pénible, tout autant que le long silence téléphonique de Daniel Boisson, celui qui avait fait inviter Renésens à Nosy Bé cette année.

L’esprit de Damien

Je n’ai pas de haine, pas de rancœur. Notre famille a surtout beaucoup de tristesse d’avoir perdu ce fils, dont Jean-Pierre Pichard, le directeur du Festival de Lorient, écrit dans une lettre de condoléances et d’encouragement à notre famille, qu’il aurait pu "faire de grandes choses".
En son nom, nous continuerons à jouer de la musique créoloceltique, à chanter le besoin d’humanisme du monde, à porter notre message de paix mais aussi de revendication identitaire (la paix entre les peuples ne peut venir que du respect mutuel, notamment du respect culturel. Actuellement, il n’y a aucun respect des vraies cultures minoritaires en France).
Et je suis aussi triste de voir ce milieu culturel réunionnais empoisonné par la concurrence infernale entre artistes, certains étant prêts à tout pour faire leur place, pourris par quelques agents culturels opportunistes sans scrupule. Renésens n’a jamais voulu entrer dans ce jeu-là. Notre groupe faisait son petit bonhomme de chemin, tranquillement mais avec sérieux, prenant ce qui lui était offert, sans jamais trop forcer les choses. Souvent, on lui a coupé l’herbe sous le pied et nous savions d’où venaient ces coups bas. Le plus blessant fut certainement celui de la non-programmation au Festival des Escales de Saint-Nazaire en 2001 ; "les responsable se reconnaîtront...".
Mais parfois, il s’est vu aussi offrir de grands moments : au Festival interceltique de Lorient en 1999 et en 2003, à Varsovie et à Poznan en Pologne en 2001, au théâtre de Champ-Fleuri en 2002, au théâtre Luc Donat du Tampon en 2004. Et il en aura d’autres. Car l’esprit de Damien va décupler notre énergie créatrice et scénique, comme me l’a assuré mon ami Jacques Dambreville.

Dignité

Nous faisons notre deuil dans la dignité et ne souhaitons qu’une chose : que les personnes qui ont inventé de fausses informations fassent leur examen de conscience et que les médias qui les ont transmises les démentissent de façon claire dans des articles et émissions mettant aussi en relief de façon conséquente les atouts et les espoirs des artistes de Renésens, particulièrement de Morgan qui se trouve encore sur son lit d’hôpital.
Ce drame familial et artistique aura eu un aspect essentiel : Renésens sait aujourd’hui sur qui il peut compter dans le milieu artistique et administratif. Et ce n’est pas une question de couleur politique.
Inutile de citer à nouveau ceux qui ont su humblement nous entourer, ceux pour qui le cœur passe avant la raison, les vrais producteurs, les vrais artistes, les plus grands aussi...

Dominique Aupiais


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