« Avez-vous l’intention de faire sauter le pont ? »

2 avril 2003

New York au printemps : à Manhattan le soleil brille sur la 51ème rue. En ce dimanche matin 23 mars, je sors de l’hôtel pour aller voir mon fils, né au Guillaume Saint-Paul, et mes deux petites-filles, réunionnaises américaines, dans le quartier du Queens, juste de l’autre côté de la Rivière de l’Est (à Manhattan, on dit "East River"). Le soleil brille et, plutôt que de prendre le métro, je décide de traverser à pied en passant par le pont du Queensboro, une petite heure de marche...
Mais il y a des travaux à l’entrée du grand pont à double étage, et je ne vois pas tout de suite où se trouve l’accès pour la piste piétons (ce n’est qu’après que j’apercevrai l’écriteau signalant qu’il faut passer sous le pont et accéder de l’autre côté). Je m’approche donc de la voiture de police stationnée près des travaux pour aller aux renseignements...
Question : « Où est l’accès pour traverser à pied ? »
La policière me regarde dans les yeux et me renvoie la question : « Pourquoi voulez-vous traverser à pied ? »
J’ai envie de répondre : « Comme les escargots qui traversent la route quand il pleut, c’est pour aller de l’autre côté ! » Mais je ne suis pas sûr que ce serait compris, même si je le dis en anglais.
Alors, je dis : « Pour faire de l’exercice physique, c’est dimanche matin... », ce qui peut passer pour une motivation acceptable.
Le collègue policeman assis au volant de l’autre bord de la voiture dit qu’il ne sait pas trop par où il faut passer, peut-être qu’en allant voir du côté Nord, en passant par-dessous le pont...
La police lady me scrute de haut en bas et de long en large, et me demande alors : « Avez-vous l’intention de faire sauter le pont ? » Surprenant, n’est-pas ? Étonnant, non ?...
Prudent, je réponds : « Non ! », sans bouger d’un poil. Alors elle me dit : « Vous avez un sac, je suis dans l’obligation de vous poser cette question... ».
Je ne sais pas si c’est de l’humour bien américain ou si elle dit ça pour s’excuser de sa question incongrue, mais je pense que c’est ni l’un ni l’autre, cela doit simplement faire aussi partie de la procédure à appliquer quand on voit quelqu’un avec un sac qui s’apprête à passer à pied sur un pont, et c’est juste l’expression d’une autre culture basée essentiellement sur l’expression de la parole, celle d’un dieu et celle des humains...
Un pont et une demi-heure plus tard, je suis chez mon fils, sa femme et les deux petites princesses. Il me dit que si au lieu d’un "No" direct, franc et massif, j’avais répondu par une périphrase et une pointe d’humour à la française à la question sur le dynamitage du pont du Queensboro, je n’étais pas sorti d’affaire et il aurait pu attendre toute la journée avant de me voir finalement débarquer chez lui, peut-être avec une escorte musclée et armée, juste au cas où... C’est toute une culture d’État,
l’envers du MacDo et du Coca-Cola où ça se passe comme ça. Mais quand on parle de culture...
La promenade dans Central Park avec les bébés est un moment de bonheur. I love New York, avec ses maisons pourries, son métro déglingué et les halls impériaux de ses hôtels, avec ses taxis, ses policiers et ses pompiers, et surtout ses braves New Yorkais.
Quand on ferme les oreilles et qu’on ouvre les yeux, on voit bien que le 11 septembre, celui de 2001, n’était qu’un détail, déjà oublié depuis longtemps dans la réalité de la vie.
"Paroles, paroles", disait Dalida... "Paroles, paroles", disait Arthur Koestler...

Guy Pignolet,
Sainte-Rose


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