Cacao amer

30 janvier 2006

Quand nous savourons notre chocolat, nous arrive-t-il de songer aux fèves de cacao, que l’on fait fermenter, puis sécher au soleil, avant de les expédier vers les pays acheteurs pour y être définitivement transformées, bien à l’abri à l’origine sous l’épaisse coque de leur fruit rouge qu’on appelle cabosse et qu’on trouve quelquefois dans les bois au hasard de nos promenades ou dans certains jardins de notre île ?
Mais avons-nous une idée exacte des mécanismes de la commercialisation du cacao ? Pour y voir plus clair, rendons-nous en Côte d’Ivoire, premier pays producteur du monde. Dans cette ancienne colonie française rattachée à l’AOF (Afrique occidentale française) en 1895, devenue Territoire d’Outre-mer en 1946, pour accéder à l’indépendance en 1960, aujourd’hui de nouveau sous les feux de l’actualité à cause de l’effroyable guerre fratricide qui s’y déroule depuis toujours et d’un rapport incendiaire, commandé à une date récente par l’Union européenne sur la filière cacao, accablant pour ceux qui la contrôlent.
Plus qu’accablant, "dévastateur", pour reprendre le mot d’un journaliste de “Libération” dans le numéro du 18 janvier, dévastateur pour le président Laurent Gbagbo qui a fait littéralement son "beurre" sur le dos des planteurs, qu’il rançonne sans vergogne pour son profit personnel et pour le profit de son clan. Avec le cacao qui fournit du travail à 6 millions d’Ivoiriens, mais qui est devenu la principale source de financement occulte du régime et qui sert notamment pour acheter des armes, - avec la complicité de la Banque mondiale et autres bailleurs de fonds étrangers.
Et c’est là qu’apparaît, une fois de plus, le vice caché du système dit libéral qui, en faisant main basse sur la filière cacao, va être amené à soutenir une dictature sanguinaire et corrompue, n’hésitant pas à favoriser la mise en place de "structures (évoluant) en dehors de tout cadre légal" et se prévalant du "statut ‘‘exorbitant’’ de sociétés commerciales privées, tout en fonctionnant sur fonds publics grâce aux taxes fiscales et parafiscales prélevées sur les ventes de cacao, puis distribuées à l’État aux différents organismes". Et, tout naturellement à faire profiter les sociétés multinationales étrangères qui voient ainsi leurs parts de marché grimper de 10 à 30% en quelque 6 ans et qui n’ont jamais été "aussi puissantes et aussi prospères" en cette région.
Voilà qui éclaire de façon saisissante une situation devenue au fil du temps de plus en plus confuse voire inextricable et qui donne de l’Afrique une image totalement négative. Celle qu’on présente partout de la Côte d’Ivoire, qu’on montre à longueur d’images à la télévision, et qu’on attribue volontiers tantôt à la personnalité déroutante de son président tantôt au comportement jugé barbare de ses compatriotes, à la fois par les étrangers qui exploitent le pays et hélas ! par nombre de dirigeants africains, devenus de fait leurs complices.
Puisse cette lumière, venue d’Amérique latine avec l’élection pour la première fois dans l’Histoire d’un président indigène, atteindre le continent africain et contribuer ainsi à la prise de conscience de toutes les victimes du système, ici et là-bas dans le monde !

Georges Benne


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