
Témoignages n°21794 du lundi 24 mars 2025 - 80e année
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17 février, par
Cassam Uteem a adressé un courrier des lecteurs suite à un article paru dans le journal mauricien « L’express dimanche ». Ce texte est la réponse de Cassam Uteem à son petit-fils qui lui pose une question : qu’est-ce qu’être Mauricien ?
C’est avec un sentiment de très grande fierté que le Mauricien célèbre, chaque année, la journée du 12 mars, notre fête nationale. L’année dernière, à la veille de la fête, lors d’une conversation avec mon petit-fils, celui-ci, élève au primaire, me demanda de lui définir le Mauricien, ce que c’était que d’être Mauricien. La réponse facile et qui me vint tout de suite à l’esprit fut celle-ci : le Mauricien est quelqu’un (garçon ou fille) qui, par sa naissance sur le sol mauricien ou par affiliation ou grâce à la naturalisation, aurait obtenu la nationalité mauricienne. Réponse qui ne lui donna clairement pas satisfaction. Je lui ai alors tenu à peu près ce langage.
Être Mauricien, c’est ne pas être confondu avec un Martien, un habitant imaginaire de la planète Mars ou avec un Mauritanien ! Et pourtant, lui dis-je, il n’y a pas si longtemps, un président de la République de Maurice reçut, en provenance de l’étranger, une lettre à son nom, à son adresse et son titre de Président, non pas de Maurice mais de la République islamique de la Mauritanie. Eh oui ! Une pièce précieuse, peut-être unique, pour les archives de la présidence, qui révèle, en même temps que, malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation et de promotion, dans le but d’attirer plus d’investisseurs et de touristes, l’île Maurice demeure, aujourd’hui encore, un pays largement et désespérément inconnu, dans de nombreuses régions du monde.
Si vous ne parvenez pas à reconnaître le pays sur la carte du monde, me dit mon petit-fils, vous pouvez encore plus difficilement reconnaître le Mauricien dans une foule, n’est-ce pas ? En effet, lui répondis-je, il n’y a rien de distinctif, de caractéristique particulière dans son physique ou ses traits, qui le distingue des autres. Il n’est pas d’un type spécifique et facilement identifiable. Il est de différents types. Il n’appartient pas à un seul groupe ethnique. Il est de différents groupes ethniques.
On le méprend tantôt pour un Européen, tantôt pour un Indien, un Pakistanais, un Bangladais ou encore un Chinois, un Africain, souvent un Sud-Africain de couleur, un Omanais ou un Brésilien… C’est ainsi parce que nos ancêtres sont venus de différentes parties du monde, à différentes époques, pour s’installer sur l’île déserte qu’on appelait autrefois l’île de France sous la colonisation française et à nouveau l’île Maurice, comme au temps des Hollandais, depuis que les Britanniques prirent le contrôle de l’île en 1810. La diversité des ethnies et le métissage inévitable qui s’ensuivit ne devraient donc pas nous surprendre. Pourtant, rien n’est plus frustrant que d’être confondu avec le ressortissant d’un autre pays ou de devoir donner toute une leçon de géographie pour définir la localisation de son pays. C’est comme si on est apatride ou alors on n’est pas une nation, devait ajouter mon petit-fils.
La diversité ou même l’hétérogénéité ne sont pas des facteurs qui devraient empêcher ou entraver la naissance d’une nation. Aujourd’hui, la plupart des grandes et petites nations du monde ont une population bigarrée, caractérisée par la diversité d’ethnies, de cultures et de religions, comme le melting-pot américain, le multiculturalisme britannique, les ‘immigrés’ de France, les Aryens et les Dravidiens de l’Inde…
La République de Maurice, elle, qui compte quelque 1,3 million d’habitants seulement, s’évertue toujours, plus d’un demi-siècle après son indépendance, à devenir une nation. Les Mauriciens sont, aujourd’hui encore, une nation en devenir. Et pourtant, nous partageons une langue — une langue commune utilisée et comprise par tout le monde. Longtemps considéré comme un dialecte, méprisé dans certains milieux, utilisé uniquement à l’oral et à des fins de communication, le kreol morisien est devenu, ces dernières années, une langue à part entière lorsque de plus en plus d’auteurs ont commencé à écrire et à produire des œuvres en kreol morisien, qui est aujourd’hui enseigné comme le sont d’autres langues — 13 au total — dans nos écoles. Il est à souhaiter que notre langue nationale soit enseignée en terminale (c’est-à-dire au niveau du Higher School Certificate) et éventuellement au niveau universitaire. Le Mauricien a toutes les raisons d’être fier de sa langue, qui constitue sa première et principale identité.
Le séga — une musique rythmée et un chant souvent accompagné d’une danse lascive —, rappelant notre origine africaine, est généralement accepté comme un folklore local typique, apprécié de tous les Mauriciens. On dit que le Mauricien a le séga dans le sang !
Le Mauricien est un individu multiculturel, un « métis culturel ». Évoluant sous diverses influences depuis son enfance, il n’est ni totalement européen, ni asiatique, ni africain mais un mélange de tout cela. Vêtu avec la même aisance de chemises ou de kurtas, de jupes ou de saris ou de vêtement traditionnel chinois, prenant plaisir à regarder des films indiens de Bollywood, des documentaires chinois et des clips américains de Hollywood, le Mauricien s’exprime aussi bien (ou aussi mal ?) en anglais qu’en français — angle ze konn, franse ze debrouy ! se moque-ton de nous en nous écoutant parler ces deux langues — tout en communiquant le plus souvent avec ses autres compatriotes dans la langue mauricienne commune, le kreol morisien, et quelques fois dans une langue dite ancestrale — le bhojpuri, l’hindi, le hakka ou l’ourdou…
Reconnu et apprécié pour la chaleur de son accueil et la générosité de son hospitalité, notamment envers les étrangers, les touristes vous le confirmeront, le Mauricien reçoit ses hôtes avec des repas variés, issus d’une diversité de cuisines. Cependant, ce qui se démarque comme notre plat local typique, c’est la rougaille, préparée avec des tomates, des oignons et d’autres ingrédients, qui n’est ni la sauce rouge européenne ni la sauce tomate indienne. Le briyani, un plat d’origine indienne, à base de viande ou de poulet, de riz, de pomme de terre et un mélange d’épices, est devenu presque notre plat national, très prisé lors de fêtes et de rencontres familiales.
Le Mauricien type est un individu tolérant, respectueux des croyances religieuses et du mode de vie de ses voisins. Son haut niveau de tolérance et son attitude de bienveillance lui permettent d’être indulgent et de faire preuve de compréhension allant jusqu’à faire des concessions au détriment de sa convenance personnelle.
Il est un être conciliant, accommodant. Le Mauricien, un homme ou une femme d’ouverture, est un fanatique de la démocratie. Il apprend à être un gagnant magnanime et un bon perdant, a good loser ! Il croit en la liberté de religion, d’expression et d’association — en la liberté tout court.
Ce qui a été décrit est le Mauricien type. Il y a, bien entendu, comme partout ailleurs, un certain nombre de Mauriciens dont le comportement reflète le courant sous-jacent de suspicion et d’hypocrisie, qui existe encore entre les différents groupes socioculturels et socioreligieux dont certains ont même cultivé les préjugés raciaux et préfèrent opérer dans leur petite société fermée. Ceux-là sont manipulateurs et se laissent, en même temps, facilement manipuler par les politiques, qui les utilisent à leurs fins.
Les régimes politiques, d’hier et d’aujourd’hui, pratiquant un communautarisme, qui favorise délibérément les uns au détriment des autres, les confortent dans leurs attitudes et leurs comportements, avec pour résultat une méfiance sournoise entre les différentes composantes de notre société et un sentiment de frustration et de discrimination systémique chez certains, traités ou considérés comme des citoyens de deuxième zone, même si on affirme qu’on est tous égaux devant la loi. Il n’est donc pas surprenant que notre identité nationale soit d’ordre aléatoire et que des facteurs tels que les appartenances religieuses et culturelles et l’affinité de caste jouent un rôle prépondérant dans notre vie et influencent nos comportements. Nous avons tendance, à des degrés divers, à opter pour l’esprit de clocher, qui ne contribue malheureusement pas à une cohésion sociale forte et durable et retarde l’émergence d’une vraie nation. Comment s’en sort-on ?
Je l’ai dit plus d’une fois et il faut le répéter. Il revient d’abord à l’État d’entreprendre, avant qu’il ne soit trop tard, une politique d’intégration sociale et de prendre des mesures de discrimination positive, surtout pour resserrer les écarts de salaires entre les groupes défavorisés et le reste de la société. Notre système d’éducation publique, qui fabrique simultanément des lauréats et des exclus, demande, lui, à être urgemment réformé. Nous avons besoin d’écoles d’inclusion et non d’exclusion, où les citoyens de demain sont initiés aux valeurs traditionnelles et républicaines et apprennent à vivre l’interculturalité dans un objectif de compréhension, de respect et de préservation des entités culturelles. Nos enfants doivent connaître leur histoire, l’histoire de Maurice, la vraie, et non celle tronquée — l’histoire qui débute avec sa découverte par des Arabes, occupée ensuite par les Portugais et les Hollandais avant les Français et les Anglais — cette île déserte où se pavanaient fièrement nos dodos endémiques, se transforma graduellement en une terre d’accueil avec la construction d’infrastructures et l’aménagement d’aménités, à différentes périodes de la colonisation, grâce avant tout à l’apport de nos ancêtres esclavés et déracinés de leur terre africaine et malgache, qui fertilisèrent le sol mauricien de leur sang et leur sueur — on ne parle jamais ou très rarement de cela — et les laboureurs indiens engagés, qui prirent la relève de leurs corvées et leur souffrance pour devenir, au prix d’immenses sacrifices, l’épine dorsale de l’industrie sucrière — cela, on connaît mieux, et pour cause ! Chacune des composantes de notre société a contribué à faire de Maurice ce qu’elle est aujourd’hui. C’est cela l’histoire qu’il faut enseigner à nos enfants dès le primaire comme prélude au programme de nation-building. Il faut ensuite donner au kreol morisien, notre langue maternelle, la place qui lui revient de droit. Trouvez-vous normal qu’après tant d’années d’indépendance, nous continuions à chanter notre hymne national dans une langue qui nous est étrangère et qu’on hésite toujours à introduire notre kreol morisien dans les débats parlementaires ?
Je vous ai parlé plus tôt du rôle que doit jouer l’école dans le nation-building, l’autre nom pour le « mauricianisme ». Un des meilleurs moyens pour développer le « mauricianisme » est de créer des opportunités pour nos jeunes d’exprimer leur sens de patriotisme et d’identification à la nation mauricienne. Multiplions les journées de sports inter-îles et œuvrons pour mettre sur pied une équipe nationale de football, qui pourrait se hisser au niveau des clubs africains ou asiatiques et pourquoi pas européens. L’identification à notre équipe nationale de foot sera alors l’expression de notre patriotisme et de notre « mauricianisme ».
Pour conclure, je dirai que l’on n’enseigne pas le « mauricianisme » : on le vit à partir de nos expériences respectives, sur les terrains de jeux, à l’école, dans nos quartiers, dans nos villages et dans les faubourgs de nos villes où l’entraide, le partage et l’interculturalité sont des manifestations quotidiennes.
Mon petit-fils m’aura enfin compris : nous sommes une nation en devenir, dit-il, mais nous pouvons nous donner les moyens de devenir une nation.
Cassam Uteem
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