Ces crises dites de « possession » ?

9 août 2017, par Frédéric Paulus

Grand Spécialiste de l’étude des transes et états modifiés de conscience, Georges Lapassade (1924-2008), ethno-psychologue (à Paris 8), plaidait la cause d’une vision « crisophilique » par opposition à une perception « pessimiste » de ces crises qualifiées de « crisophobique ». Avant que la psychiatrie traditionnelle chimio - « thérapeutique » s’impose à la Réunion, des désenvouteurs, tels Madame Visnelda ou le Père Dijoux, faisaient office de thérapeutes.

En accord avec l’ANPE, j’ai dû assurer des contrats en CDD limités à l’animation de sept groupes de personnes bénéficiaires du RMI sur un « programme de mobilisation socio-affectif ». Il s’agissait de redonner confiance à ces personnes (12 par groupe) pour les inciter à rechercher un travail ou suivre un stage d’insertion. Dans chaque groupe, deux ou trois personnes témoignaient qu’elles avaient présenté, quelques années auparavant, des symptômes similaires à ceux de « Robert » (prénom d’emprunt), un jeune adolescent que j’avais soigné dans un Lycée. Ma perception des crises dites « de possession » s’était « forgée » en fonction de la psychothérapie de Robert. Lorsqu’elle survint, sa crise fut immédiatement qualifiée de « possession » par les éducateurs de l’établissement où il était scolarisé. Mes perceptions sur ce phénomène s’élargissaient avec les témoignages de ces personnes, bien réelles, et sans aucun doute non ressortissantes de soins psychiatriques.

Les personnes en crise manifestent à peu de chose près les mêmes signes de déchainement comportemental où une force est associée à un délire… Robert, lui, a dû être contenu et calmé grâce à trois éducateurs qui animaient un camp d’adolescents lors d’un séjour à la « Roche écrite ». L’éloignement du camp aura fait qu’aucun sédatif ne lui aura été administré. On dit aussi de cette personne « en crise » qu’elle parle une langue étrangère, avec une voix rauque, ses yeux sont quelque peu exorbités… Ce « tableau » de signes caractéristiques est connu par nos anciens de la Réunion. Les jeunes générations en seront généralement privées et pour cause, la psychiatrie conventionnelle instituée à la Réunion diminue grandement la thermodynamique de ces troubles qui perturbent l’entourage et quelque fois l’ordre public.

Selon mon point de vue, ces personnes ne souffrent pas d’esprits malins qui les hanteraient en envahissant corps et esprit. Elles souffriraient de conflits psychologiques acquis lors de leur enfance et de leur adolescence, liants culpabilité, inhibitions et refoulements (voir Prosper Eve plus bas). Le corps manifesterait son mal-être en tentant d’auto-déprogrammer les cartes neurologiques codifiées épigénétiquement, créant conflits psychologiques et dysfonctionnements physiologiques. La « stratégie » thérapeutique de type « transe » ou crise provoquée par les désenvouteurs, en d’autres lieux par des chamans, relèverait de tentatives empiriques de restaurer un ordre « biopsychique » plus acceptable du point de vue du ressenti et de l’éprouvé. Ces personnes ne sont nullement possédées par des esprits.

Mais un esprit cartésien n’affectionne pas précisément les sensations et les perceptions surtout s’il disjoint corps et esprit. Il ne cherchera pas nécessairement à étayer sa perception en fonction de l’histoire de la personne et de sa socio-culture. Sur le plan historique on peut s’informer du passé de violence qu’aura vécu la Réunion en se référant à l’ouvrage de Propère Eve, « L’île à peurs ».

Frédéric Paulus, CEVOI – Sainte-Clotilde


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