Clearsteam : le Monde mis en cause

23 mai 2006

Le procureur général de la Cour d’Appel de Paris, M. Yves Bot, a demandé le dépaysement de la procédure ouverte à Paris sur la violation du secret de l’instruction dans l’affaire Clearsteam. Dans sa requête, le magistrat estime que l’attribution du dossier à une autre juridiction que Paris est nécessaire pour "une bonne administration de la justice".
L’ouverture de cette information vise “Le Monde”. Le quotidien estime, dans son éditorial du 15 mai, que cette action judiciaire est une attaque de ce qu’il appelle le "pouvoir".
Il explique à ses lecteurs les pressions dont il s’estime victime de la part de ce "pouvoir". Pour la première fois, l’affaire Clearsteam touche directement un média. Et pas n’importe lequel.
Les conditions dans lesquelles le journal a mis au jour les premiers éléments de l’affaire ont, au moment où ils ont été révélés, fait peu débat. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Rattrapés par les vagues de l’affaire que le quotidien la déontologie et la crédibilité du Monde risquent d’être remises en cause. De nombreuses questions se posent sur les méthodes d’investigations employées par le journal. Comment le quotidien s’est-il procuré les dossiers dont il a publié (de larges extraits dans ses colonnes ? A-t-il été suffisamment rigoureux dans son enquête ? Si oui, pourquoi taire ses sources ? Pour sa part, les Guignols de l’Info sur Canal + n’hésitent pas a présenter “le Monde” comme prenant fait et cause pour NicoIas Sarkozy en participant à sa campagne de récupération de l’affaire.
La mise en cause du “Monde” illustre en réalité l’opposition des deux conceptions qui se livrent bataille, régulièrement, à propos du rôle de la presse écrite.
Selon la première, le travail de la presse doit suivre des règles claires d’absolue transparence vis-à-vis du lecteur. Le secret de l’instruction ne peut être violé qu’à condition de ne pas le remplacer par le secret des sources. C’est la position de Marcel Gauchet qui, dans un article inédit récemment paru dans “Le Mensuel de l’Université” (LMU), considère que “Le
Monde” n’a pas pris les mesures de précaution nécessaire. "Communiquer les procès-verbaux d’une audience d’instruction, en principe couverte par le secret de l’instruction, estime le rédacteur en chef de la revue “Le Débat”, sans expliquer au lecteur par quel canal les informations ont été transmises au journal, alors que cela conditionne la lecture que l’on peut faire de l’affaire, me semble avoir été une faute de la part du quotidien ?
En revanche, d’autres estiment que la liberté de
la presse prime toute considération, ou, en tout cas, ne peut être limitée par un respect abusif du secret de l’instruction. C’est en ces termes que s’exprime Jean-Claude Casanova, directeur du “Commentaire”, qui, dans le même article que “LMU”, considère qu’il serait étrange que les membres du gouvernement aient accès au dossier d’instruction par l’intermédiaire du parquet, qui y a accès et qui est soumis à un ministre, et que les citoyens, théoriquement souverains, et au nom desquels on rend la Justice, ne soient pas informés".
D’autres personnes vont remarquer que dans cette affaire, assez paradoxalement on s’en prend à ceux qui recherchent à établir la vérité : “le Monde”, le juge Van Ruymbeke.
Quel que soit le résultat de l’action judiciaire initiée contre “le Monde”, l’affaire Clearstream cesse, avec elle, d’être uniquement une affaire politique et judiciaire pour devenir, semble-t-il, une authentique affaire de déontologie médiatique.

Jeanne-Marie Samuelson


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