Dans le courrier des lecteurs du 25 octobre 2004

25 octobre 2004

De si petites incivilités !...

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les jurés, Mesdames et Messieurs, vous savez, nous avons aujourd’hui l’immense responsabilité de juger cet homme de vingt ans. La première question qui me vient à l’esprit est celle-ci : est-on déjà un homme à vingt ans ? Que reste-t-il de l’adolescent d’hier ? Je n’ai pas la réponse Mesdames et Messieurs les jurés et je le regrette car c’est aujourd’hui que mon client comparait devant vous pour répondre à des actes criminels qu’il a commis et c’est aujourd’hui que vous devrez juger et peut-être condamner. Partons d’un fait, indéniable, avéré : Jacques Marcel a attaqué puis poignardé son voisin, qui en est mort, parce que celui-ci refusait de lui prêter son scooter. Comment est-ce possible ? Avons-nous devant nous un monstre ? Jacques Marcel est-il un monstre ? Car enfin, Mesdames et Messieurs, tuer un voisin de son âge pour un motif si futile, si ridicule, si inimaginable mérite bien que l’on se pose la question. Et l’on est d’autant plus en droit de se poser cette question que tous les jours, dans nos journaux du matin, pour un mot de trop, un regard “jugé appuyé”, pour un oui ou pour un non, on s’insulte, se bagarre, s’attaque, se blesse moralement ou physiquement et parfois on se tue.
Il n’y a plus de limites et l’on a vraiment le sentiment que tout et n’importe quoi peut arriver. Notre société engendre-t-elle des monstres ? Je répondrai non. Ils ne sont pas des monstres, Jacques Marcel n’est pas un monstre, c’est un jeune homme de vingt ans comme il y en a dans tous les quartiers, c’est cela qui est terrible.

Manque d’affection

Lorsqu’il est né, il y a donc vingt ans, il n’y avait pas grand monde autour du berceau : la maman bien sûr mais pas de père, la grand-mère et deux “copines” du lycée dans lequel il poursuivait des études qu’il n’arrivait pas à rattraper. L’échec était là : scolaire mais aussi social. Pas de diplôme, pas d’espoir de travail, rien. Si, faire un enfant qui lui apporterait statut social, revenus et du temps pour voir venir. C’est ainsi que Jacques Marcel vit le jour ! Sa grand-mère hérita de lui et ce ne fut certainement pas une mauvaise chose pour lui, même s’il manqua de ce dont tout enfant a un vital besoin : l’amour d’une mère et d’un père. Tout petit il était un peu “difficile” : il refusait de dire bonjour ou merci ou s’il te plaît. Boh ! disait la grand-mère, ce n’est pas grave, ça passera. Il apprendra plus tard. Peut-être qu’au fond d’elle-même trouvait-elle cela “normal pour un garçon”. C’est vrai, en soi ça n’était pas grave, ce n’était qu’une petite incivilité.
Mais, voyez-vous Mesdames et Messieurs les jurés, c’était la première. “Tiens-toi bien, ne jette pas ta cuillère, ne donne pas des coups de pieds à la Dame, Jacques viens ici”,... Et pourtant la “Mamie” avait du courage et de la patience, mais toute seule, sans papa, avec une maman épisodique, que voulez-vous qu’elle fasse ? Jacques Marcel gagnait à tous les coups et petit à petit, insensiblement, marche après marche, il avait entrepris une longue route qui le conduirait devant nous aujourd’hui. Pourtant, quand on la convoquait à l’école primaire parce que Jacques avait frappé un ou une camarade, qu’il avait volé les affaires du voisin, qu’il s’était échappé de l’école pendant la récréation, qu’il avait déchiré son cahier parce que le maître avait mis une mauvaise note, qu’il avait fait pipi dans le couloir ou qu’il avait rayé la voiture du directeur qui l’avait puni, elle y allait. Enfin, au début car à la fin, c’était trop pénible ; elle se sentait humiliée et impuissante. Qu’aurait-elle pu dire, qu’aurait-elle pu faire ? C’était à l’école de résoudre le problème et puis il n’était pas si méchant que cela le petit Jacques. Il était juste un peu turbulent mais, les garçons, c’est souvent comme ça ! Et puis ce n’était pas toujours lui qui donnait les coups, si vous saviez le nombre de fois qu’il est arrivé à la maison avec des bleus partout, des affaires déchirées ou volées. Il recevait autant qu’il donnait. C’était ça son quotidien.

Sur le chemin de la délinquance

Quand il est entré au collège, il y a eu une première année moins houleuse : comme il était passé “à la grande école”, qu’il était un “petit sixième”, il ne se sentait pas en position de force. Et puis il a cru que tout se passait “normalement” pour lui, ça l’a calmé et il a fait des efforts. Aussi, imaginez sa grande déception lorsqu’il a pris conscience qu’il était presque toujours celui qui n’avait pas compris, qui ne savait pas faire et qui ne trouvait jamais la bonne réponse. Et puis il y avait le regard des autres, de tous les autres : les garçons, les filles et même les professeurs ; c’est terrible le regard des autres ! Il avait aussi un autre problème : beaucoup d’élèves de sa classe ou d’autres classes avaient de super fringues. Je vous laisse imaginer Mesdames et Messieurs les jurés tout le cheminement qui a dû se passer dans sa tête pour en arriver au premier vol dans un grand magasin, un magnifique baladeur et un super tee-shirt. D’où tu sors ça lui demanda sa grand-mère ? C’est un copain qui me le prête, il en a plusieurs. Cela n’alla pas plus loin. La brave grand-mère avait renoncé depuis déjà longtemps à obtenir des réponses à ses questions.
Il fut quasi impossible de lui faire dire bonjour normalement, très dur de lui faire enlever sa casquette en classe, d’arriver à l’heure, d’avoir ses affaires de classe, de faire signer son carnet de correspondance, de faire montre du plus élémentaire respect pour ses camarades, les professeurs, les agents, mais aussi pour tout le matériel mis à la disposition des jeunes. Il fut surpris un jour en train de couper les fils de branchement des ordinateurs, de taillader les fauteuils du bus scolaire. Ayant été privé de transport scolaire, il ne vint pas au collège pendant quinze jours et on préféra le laisser reprendre le bus. On lui supprima les allocations autant de fois qu’on les remit. Comme il était arrivé au collège avec 2 ans de retard, on ne jugea pas utile de le faire redoubler : à quoi bon ? Il passa donc en cinquième puis en quatrième. Rien ne s’arrangeait, pire, tout se dégradait : plus d’injures, plus d’incivilités, plus d’actes malveillants, plus d’absences, moins de respect et plus de violences ; on trouva dans son cartable, des galets, un couteau, un cutter, des revues pornos, un pistolet en plastique, des cigarettes, des piles plates, différents cachets, du zamal etc... etc... On en était arrivé à trouver “normal” de découvrir toutes ces choses dans son sac : Voyons, montre-moi ton sac pour voir ce que tu trimballes aujourd’hui. Tout le monde en rigolait, tout le monde le regardait,... Il existait.

Premières infractions

C’est à cette époque qu’il a commencé à avoir des problèmes avec les forces de l’ordre. Il faisait partie d’une petite bande assez violente qui “piquait” leurs affaires aux gosses du quartier, puis les rackettait, bref les terrorisait. Son passage au commissariat ne fit que le rendre plus prudent sans rien changer à son comportement. Il commença à s’absenter régulièrement et de plus en plus longtemps : une, voire deux semaines. Quand on lui demandait pourquoi il ne venait plus au collège, il répondait qu’il n’était pas assez “payé”, la bourse étant insuffisante. De toutes façons il quitta le collège le jour même de ses 16 ans, rompant par là même occasion le dernier lien qui le reliait, vaille que vaille, avec les institutions de la société.
Dés lors, plus de bourse mais plus de besoins, finies les contraintes ; l’oisiveté le vit tourner autour du collège d’abord, puis du lycée ensuite ou étaient entrés ses anciens copains. Il passa aux “choses sérieuses”. Trafic de zamal, vol en bande organisée même si l’organisation laissait à désirer, tentatives de racket de commerçants sous la coupe de plus grands et divers petits délits ; bref, il faisait “ses classes”. À 19 ans il était devenu plus audacieux même s’il était resté prudent et, ayant pas mal pris de coups de plus forts que lui, il veillait bien à ne s’attaquer qu’à de plus petits, plus faibles que lui et je pense que si on l’avait traité de lâche, il n’aurait pas compris ce qu’on lui reprochait : ça n’avait pas de sens de s’attaquer à plus fort que soi pensait-il. Et nous arrivons à aujourd’hui.

À qui la faute ?

C’est le même Jacques Marcel qui est né il y a vingt ans. La route a été longue mais assez linéaire. Chaque pas, par rapport au précédent, n’a été qu’une très petite incivilité supplémentaire, un manque de respect de plus. Mais ce mot respect ne faisait pas partie de son vocabulaire. Personne n’avait eu la patience, jour après jour de le lui enseigner. Comment cela a-t-il commencé ? Où cela a-t-il déraillé ? Qui est responsable ? C’est facile d’accuser la société. Oui la société est violente, oui la société agresse souvent les individus, oui la société est souvent inégalitaire. Mais cela ne dégénère pas inévitablement en violence ou autres déviances. Il n’y a donc pas que la société. L’enfant est un être fragile, en construction, en devenir, à qui l’on doit donner la main pour le conduire à l’âge adulte afin qu’il assume sa vie d’Homme. Certains enfants cumulent, au départ, plus de handicaps que d’autres. C’est le devoir de la société de mieux baliser le parcours et de mettre en place les structures d’encadrement nécessaires à une éducation compatible à une insertion normale pour tous dans la société. À quoi servirait une organisation sociale qui ne serait pas capable de prendre en charge tous ses enfants. Ils ont besoin de tout le monde : parents, maîtres et professeurs et tous les adultes dont la mission est d’éduquer.
Mesdames et Messieurs les jurés, Jacques Marcel a commis des actes injustifiables mais il n’est pas né comme cela, aucun enfant ne naît violent. Comment et pourquoi certains le deviennent-ils ? Nous devons tous nous poser cette question afin de ne pas être obligés demain de n’avoir que la répression pour solution, si tant est que l’on puisse dire que c’est une solution, car elle ne traite que les conséquences sans s’attaquer aux causes et ne modifie rien. Ne remplaçons pas les éducateurs, tous les éducateurs à quel titre que ce soit, par des policiers ou des gendarmes si nous voulons, demain, ne plus avoir à juger des jeunes hommes comme Jacques Marcel. La répression est un mal nécessaire pour traiter les échecs d’hier mais la prévention est indispensable pour éviter les échecs de demain. Faisons les deux.
En jugeant aujourd’hui les actes de Jacques Marcel n’oubliez pas l’enfant qu’il a été, le chemin qu’il a parcouru et l’homme qu’il est devenu. Mesdames et Messieurs les jurés, avant de juger, posez-vous les bonnes questions et ainsi vous trouverez les bonnes réponses.

Jean Linon,
libre citoyen


Lettre désespérée d’un grand-père

Pendant 3 milliards d’années, la Terre n’a été peuplée que d’organismes microscopiques unicellulaires du type bactérie, levures, algues, etc. De cette soupe nauséabonde de molécules sont sortis les animaux et les plantes, il y a à peine 700 millions d’années.
Voilà en quelques mots est décrit le long processus qui a permis à la vie d’apparaître sur notre Terre. C’est époustouflant, prodigieux, incompréhensible, un véritable miracle. Nous n’aurons pas une 2ème chance de voir ici apparaître la vie. Raison de plus pour l’aimer et la respecter sous toutes ses formes.
La vie n’est donc pas venue sur Terre d’un coup de baguette magique. Il y avait probablement une chance sur un milliard de milliards que le premier être multicellulaire (métazoaire) sorte de cette soupe, puis par la suite les premières plantes, les premiers animaux puis l’homme qui sont ses descendants. Ce sont ces vérités premières et essentielles qu’il faut apprendre aux enfants pour qu’ils mesurent la chance qu’ils ont d’être là aujourd’hui, d’exister. Il semble au contraire qu’on leur enseigne autre chose : les sciences naturelles ont la portion congrue. Le droit, l’économie et toutes ces sciences ethnocentriques, tiennent le haut du pavé.
Petit, tu n’as pas le droit d’être heureux. Tu as seulement le droit de gagner. Ta vie sera un long combat pour surnager dans un autre cloaque, celui de la société des hommes.

Petit, je te plains. Ce soir, regarde donc les étoiles, et évade-toi.


François Maugis
Saint-Benoît

Sources : “Le chant d’amour des concombres de mer” du biologiste Bertrand Jordan - Éditions du Seuil.


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