Des vies à épargner

15 avril 2006

Située entre Saint-Denis et La Possession, La Grande Chaloupe ne fut pas retenue comme toponyme par pur hasard. Des voyageurs prirent des canots balancés par les vagues océanes pour longer à quelque distance la falaise vive menaçante. Pourquoi, à l’instar de nos devanciers, n’utiliserions-nous pas les ferry-boats des temps modernes ?
Il y a un peu plus de 30 ans que je vis à La Réunion. Avec des amis écologistes, nous avons souvent parlé de l’aberration d’avoir fait cette route au pied de la falaise. À croire que peu ont emprunté le Chemin Crémont - pour partie Chemin des Anglais - et découvert de vastes paysages de savanes. Il serait évidemment "criminel" de détruire ce chemin patrimoine, mais un tracé en zigzag, grimpant doucement bien en arrière du front de la falaise, aurait été possible. Des milliers d’hectares auraient pu y être mis en valeur. Le Général Charles de Gaulle n’avait-il pas précisément pensé faire acheter cette planèze pour qu’on y traça une route sans épée de Damoclès géologique ?
La falaise "parle" d’elle-même : cet effondrement était plus que prévisible ; avait-on oublié celui meurtrier du Cap Bernard dans la période qui succéda au cyclone Hyacinthe ?
Je comprends que chacun d’entre nous ait peur des chutes de blocs futures. La pose de filets anti-sous-marins tout au long de la falaise est sans doute fort coûteuse et suffira-t-elle à nous rassurer, à nous sécuriser ?
Dynamiter la falaise comme certains l’ont préconisé aurait été détruire tout un écosystème. Le Bois de paille-en-queue (Monarrhenus salicifolius) s’y accroche naturellement face aux embruns, le Pétrel de Barau ou Taillevent (Pterodroma baraui) y niche volontiers : ce sont là 2 espèces endémiques caractéristiques de notre biodiversité insulaire.
Construire quelques viaducs ancrés dans la masse rocheuse instable de nos proches fonds sous-marins me semble difficile et peu fiable ; en plus, résisteront-ils à la violence des houles cycloniques ?
Percer le massif de la Montagne de tunnels (plus en amont que celui de l’ancien ti-train) est possible. Mais a-t-on pensé aux dommages pulmonaires d’une intense pollution provoquée par une multitude de pots d’échappement ? Déjà qu’en plein air, être derrière un diesel qui crache sa fumée noire pue et rend l’air inhalé très désagréable, que serait une atmosphère hyperpolluée et difficilement respirable ? Des voies d’aération à commande électrique consommeraient un surplus d’énergie à rajouter à celui nécessaire pour éclairer ces boyaux bétonnés obscurs. Et qui dit - à l’heure des fanatismes de tous poils - que des bombes ne seraient pas placées dans les tunnels, créant des hécatombes et une nouvelle paralysie de notre fragile économie insulaire.
Le bon sens se formulait ainsi : "on passe au-dessus". Descendre vers La Grande Chaloupe était faisable. Remonter vers Saint-Bernard, sans obligatoirement y accéder, en traversant la Ravine à Jacques sur un pont, est encore de l’ordre du possible. Divers tracés raisonnables ont dus être étudiés. Pourquoi les avoir laissés volontairement dormir ? Ne serait-il pas utile d’avoir le courage de reconnaître les erreurs du passé et d’entreprendre avec sérénité le chantier sécurisant du futur ?
"Il n’est jamais trop tard pour bien faire".

Dr Roger Lavergne


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