Faut-il supprimer l’apprentissage de la langue française ?

22 novembre 2003

J’ai lu ici et entendu là que des francophones à la fibre francophile exclusive arguaient de la filiation lexicale à 90 voire 97% du créole au français et de ses trop nombreux recours aux emprunts pour convaincre l’opinion de l’ineptie à laquelle se réduirait l’apprentissage de ma langue maternelle. Je voudrais qu’ils me disent si ce jugement définitif s’applique également à ma langue seconde : le français.
En effet, cette langue "internationale" et de "grande culture" ne s’est pas faite ex nihilo. Pour illustrer mon propos, je leur soumets un texte écrit dans un français évitant au maximum les répétitions. Mis à part quelques termes techniques sortant de l’ordinaire (actuaire, ploutocratie, oligarchie, prâkrit...) mais indispensables à la description du contexte, le vocabulaire n’a rien d’exceptionnel. Si on enlève les mots de liaison et formes grammaticales propres à la structure de la phrase française, les mots sont tous hérités de langues étrangères.

Le politicien
Combien de lustres s’étaient écoulés depuis l’époque où, condottiere immature, il s’obligeait, pour optimiser ses chances de carrière, à se frotter avec ses nervis transformés à l’occasion en kamikazes, à des gangs de maquignons, maquereaux et autres zèbres gravitant aux abords du marigot politique ! Mais il abandonna bien vite cette pratique répréhensible et surtout cette arrogance brutale confinant son image à celle du jeune bouledogue fougueux dans une boutique de porcelaine.

Rejeton d’une intelligentsia archaïque, il en avait hérité le besoin de confort, un conformisme idéologique obsessionnel et une exécration des challenges désintéressés. Hâbleur, débatteur, roué, il transpirait une ivresse de pouvoir qui n’avait d’égal que son sens de la manipulation. Emberlificotant tel magistrat réputé intransigeant, appelant tel prélat à la rescousse sur un tabou capitalisable, intriguant en catimini auprès de tel maçon influent, il circonscrivit très tôt l’agora.

Se pavanant, déambulant entre les péristyles du palais lors des garden-parties, ne lésinant pas sur l’humour, trustant les bons mots, embarrassant les uns par d’égrillardes allusions, convainquant les autres par de subtils amalgames, il s’affirma comme rentier à part entière de l’ómerta.

Hypnotisé par un idéal ploutocratique, vite acoquiné par le bakchich, il se sentait émoustillé par l’apanage d’un ruban cramoisi, resquillé sans vergogne, accroché à sa veste d’alpaga. Self-made-man perpétuellement en embuscade, il guigna bientôt le nirvana social et inventa illico ses propres martingales.

Agençant les étiquettes au gré des situations, il sut se mettre au diapason des contradictions propres à l’oligarchie locale, exigeant la perestroïka chez l’adversaire et se montrant très permissif pour ses propres comparses. S’affichant en turban, kippa ou chéchia pour les besoins d’une supercherie médiatique, passant du ramdam conjoncturel à la connivence providentielle, dénonçant sa langue maternelle, prâkrit sans avenir à ses dires, mais en usant à l’occasion d’une boutade démagogique, il était effrayant de pragmatisme.

Véritable murène du microcosme local, capable de se débarrasser in extremis d’un homme de paille compromettant, de surfer sur les scandales à l’allure du prao sous l’aquilon, il avait l’art de faire diversion en débusquant, dans des discours psychédéliques, ici un virtuel quarteron intégriste et là de la prétendue racaille interlope. C’était un virtuose des happenings. Longtemps outsider dans son camp, il en était devenu le manitou.

Son talent, affûté en temps normal, allait crescendo aux calendes des mars électoraux. Avec des méthodes d’actuaire, il supervisait alors la comptabilité des suffrages à rafler. Une boulimie de meetings le transcendait. Maniant la diatribe contre tel adversaire, il feintait l’amnésie au summum d’une harangue pour se faire souffler, par la populace hilare, un sobriquet excentrique et en affubler la victime.

La veille de l’échéance, l’inflation incantatoire atteignait son apothéose, boostée par le bénéfice escompté : son siège dans l’Hémicycle.

Là, spectacle et tradition obligeant, les simagrées de cet indécent champion de la fanfaronnade et de la pantalonnade en faisaient, sous la plume de la presse satirique, le matamore de l’Assemblée. Élevé au rang de surhomme, de nabab dans sa province, cette terre lilliputienne, porté au zénith par de complaisants médias locaux, ce quidam qui se rengorgeait d’avoir obtenu, dans son île Jean de Lisboa, la condamnation à l’autodafé du Micromégas de Voltaire, n’était ailleurs qu’un zéro.

(Extrait de "Tizonm et le gotha de l’île Jean de Lisboa" (pamphlets non édités). Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne serait, bien sûr, que pure coïncidence).

Le décompte de mots venus d’autres langues est le suivant :
latin classique 115, latin populaire 28, anglais 32, grec 25, italien 21, francique 9, autres dialectes germaniques 3, arabe 7, espagnol 7, allemand 4, néerlandais 4, provençal 4, portugais 2, sanscrit 2, russe 2, mots d’origine indéterminée réutilisés dans l’ancien français 3, turc 1, japonais 1, persan 1, hindustani 1, hébreu 1, scandinave 1, polynésien 1, caraïbe 1, quechua 1, algonquin 1, étrusque 1.
Faut-il donc mettre un terme à l’apprentissage du français ? Ce volapuk qui n’existerait plus si l’on en supprimait les termes "empruntés" à d’autres langues, dont certaines, tels le latin, le francique et le caraïbe, sont mortes depuis bel âge et beau temps ? Cet idiome dont le verbe le plus usité, "être", ne vient même pas du latin de Cicéron, Sénèque ou Virgile, mais du latin populaire, (quand j’étais élève, on disait "latin de cuisine") ? Cette langue dont les termes contenant les lettres K, W et Z, importés à 100% de langues étrangères et rappelant fâcheusement le "gros créole" tant décrié par les francophiles intégristes et créolistes "jememoi", sont devenus indispensables : karaté, kantien, karst, képi, kératoplastie, kyrie eleison, walkie-talkie, wagon, warrant, white-spirit, zone, zéro, zénith, zinc, zodiaque, zootechnie etc... Faut-il, d’urgence, mener campagne pour leur éradication dans les nombres, dans les banques, les gendarmeries, les cours de philosophie, les universités et les églises ?
Ce serait, bien sûr, une ineptie d’avancer de tels arguments ! Et je soutiens que c’est une ineptie tout aussi risible et blâmable que d’user des mêmes arguments pou anpès bann marmay Larényon aprann byin ansèrv nout gro kréol.


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