Figure trinitaire du Dieu de Jésus

7 juin 2005

’Que mon lecteur me suive quand il partage ma certitude, qu’il cherche avec moi quand il partage mon hésitation ; qu’il revienne à moi quand il reconnaît son erreur ; quand il reconnaît la mienne qu’il me rappelle à lui. C’est ainsi que nous avancerons ensemble sur le chemin de l’amour, nous rapprochant de celui dont il est dit : ’Cherchez toujours son visage’’
(Saint Augustin - ’La Trinité’ 1, 5)

(page 10)

Ce débat sur la Trinité me rappelle les discussions que j’ai eues avec les Témoins ou Amis de Dieu sur cette question, il y a fort longtemps. Mêmes argumentations, même interprétation - la seule possible - des Écritures saintes et mêmes disqualifications de l’Église, accusée de confisquer ou de contrôler le “Souffle Saint”, qui pourtant “souffle où il veut”. Mais venons à l’objet précis de la controverse.

Qu’ai-je dit dans mes "réflexions sur la Trinité" ? Trois choses :
le Dieu des chrétiens a été défini comme trinitaire, c’est-à-dire pluriel et donc relationnel ;
si le terme “Trinité” est absent de la Bible, la vérité qu’il exprime est en accord avec les textes bibliques ;
la conception trinitaire formulée dans les catégories de la pensée grecque, objet de recherches difficiles, n’est qu’un approfondissement de la conception biblique de Dieu Père, Fils et Esprit.

Je maintiens évidemment toutes ces affirmations, en y ajoutant volontiers cette précision : mon objectif n’était pas de polémiquer avec Monsieur Daniel Lallemand, mais de faire entendre autre chose. Cette conception du Dieu chrétien me paraît riche d’implications sociales, pour en vivre.
En effet, le Dieu chrétien ne se présente pas sous la forme d’un Absolu, mais sous des formes fixant une pratique relationnelle. Il se donne à l’homme comme Père, comme Fils et comme Souffle (Esprit).
Les anciennes formulations de la foi chrétienne et de la prière insèrent le croyant dans le mouvement qui va du Souffle (Esprit), par la médiation du Fils, au Père. Le croyant est entraîné, par l’Esprit, dans un mouvement qui est "communion", et non pas projeté dans l’isolement duel face à l’absolu. "Dieu se fait homme pour que l’homme devienne Dieu", aimaient dire certains Pères de l’Église.

Une révélation en marche

Pour étayer mon argumentation, j’ai cité trois textes du Nouveau Testament : Matthieu 28, 19 ; 2 Corinthiens 13,13 et 1 Corinthiens 12,4-6. En exégète émérite, Monsieur Lallemand rejette la formule baptismale de Matthieu où le Père, le Fils et l’Esprit sont mis si nettement sur le même plan. Elle a été, dit-il, "introduite après coup, en contrebande, dans l’Évangile de Matthieu". Soit, mais elle n’a pas été rédigée au concile de Nicée (325) ou au concile de Constantinople (381). De toute évidence elle - cette adaptation finale de Matthieu 28 - est l’œuvre de la Communauté de Matthieu ou de son “école”. Elle témoigne donc de la foi en Dieu Père, Fils et Esprit de la communauté primitive, dès la fin du premier siècle.

Nous sommes là, dans une communauté chrétienne des années 80-90, déjà assez bien structurée, célébrant son Seigneur dans le culte et y découvrant progressivement l’universalité de sa mission. Et Cette communauté qui célèbre le baptême sait que ce rite fait entrer les fidèles du Christ dans un rapport intime avec un Dieu Père, Fils et Esprit.
Que de chemins parcourus depuis la mort de Jésus ! C’est l’exercice fécond d’une foi qui cherche sans cesse à mieux s’éclairer, qui s’exprime dans cette formule trinitaire et dans l’universalité de la mission : "De toutes les nations, faites des disciples..."
Les biblistes parlent de révélation progressive. Une lecture attentive nous permet de saisir la progression de la révélation biblique. Il manque, me semble-t-il, à Monsieur Lallemand, ce principe d’interprétation de la Bible.

Christ est seul créateur et seul sauveur

L’auteur de l’évangile, que nous appelons "Matthieu", a dû, sans doute, synthétiser le message vécu par sa Communauté, dans les années 80 à 90. Je vous invite à remonter dans les années 60-61 avec Paul. Que dit-il du Christ aux Chrétiens de la communauté de Colosse ?
En citant un hymne liturgique, sans doute antérieure à sa lettre, il livre sa réponse : Christ est seul créateur et seul sauveur. Premier-né de toute créature, il préside à la création. Premier-né d’entre les morts par sa résurrection, il récapitule toute la création. La figure du Christ atteint ainsi une dimension cosmique :

"Il est l’image du Dieu invisible,
Premier-né de toute créature,
car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses,
dans les cieux et sur la terre,
les visibles, et les invisibles,
Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances,
Tout a été créé par lui et pour lui.
Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui.
Et il est aussi la Tête du corps, c’est-à-dire de l’Église.
Il est le principe,
Premier-né d’entre les morts,
Il fallait qu’il ait en tout la primauté,
Car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude
Et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui,
Aussi bien sur la terre que dans les cieux,
En faisant la paix par le sang de sa croix" (Colossiens 1, 15-20).

Le parallélisme, comme on l’a souligné ici et là, est flagrant, entre la formule "l’image du Dieu invisible" qui définit le christ dans son rapport avec Dieu, et "premier-né de toute créature" qui le définit dans son rapport avec les créatures. Le Christ appartient donc à l’un et à l’autre univers : d’une part en tant qu’il assure à la fois l’œuvre créatrice (v. 16 : "tout a été créé par lui") et l’œuvre rédemptrice (v. 20 : "... et par lui à réconcilier tous les êtres"), et d’autre part en tant qu’il est la fin de celle-là (v. 16 : "tout a été créé... pour lui") et l’achèvement de celle-ci (v. 20 : "réconcilier tous les êtres ... pour lui").

Ainsi, les versets 19 et 20 nous livrent la clé de ce processus complexe. Le "sang de la croix" (v.20) est le moyen unique, voulu par Dieu, de réaliser la "réconciliation" de tous les êtres, c’est-à-dire de toute la création. Et la finale : "Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude" (cf. A. Paul, L.V, mars 1971).

Paul fait très fort. Jamais il n’a poussé aussi loin la réflexion, nous dit l’auteur de l’introduction de cette lettre dans la “Nouvelle traduction” de la Bible : - que Monsieur Lallemand apprécie beaucoup - "Il présente un Christ aux dimensions du cosmos... En lui habite la plénitude de la divinité : il est Dieu et récapitule par sa croix le désir de la création d’entrer dans le monde de Dieu".
Je pense ici à un autre hymne des années 50 - l’un des plus anciens textes parlant du Christ - que Paul cite dans sa lettre aux Philippiens :

"Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes.... Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus, s’agenouille au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers ; et que toute langue proclame de Jésus, qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père" (Phil, 2, 6-11).

Ces deux textes de Paul témoignent de sa réflexion profonde sur la personne du Christ et de son message ! Une vraie révolution dans la conception de Dieu est en marche.

L’égalité entre Jésus et Dieu

Parlant du Christ, Monsieur Lallemand écrit : "Si parfois - rarement - il est dit "Fils de Dieu", il faut l’entendre au sens général défini par Saint Paul : tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu". Tout faux !
Je constate, en lisant l’évangile de Jean par exemple, que la relation du Christ à Dieu relève d’une expérience unique et exclusive.
Il la situe, d’ailleurs, à un tel degré de singularité que tous les autres - hommes, anges compris - ne peuvent dire que "Notre Père" au pluriel, après qu’il eût dit "Mon Père" : "Mon Père et votre Père, Mon Dieu et votre Dieu" (Jean, 20, 17 ; cf. Luc 2, 49 ; Mat, 11, 27).
Rien d’étonnant, dès lors qu’une telle appropriation fournit le motif de sa condamnation à mort par le Sanhédrin (Jean 8, 55). Jésus accepte l’accusation et il en explicite la raison par une déclaration solennelle : "En vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, Je Suis" (Jean 8, 58).
"Je Suis" ! N’est-ce pas une manière d’affirmation divine ? Nous pensons tous, sans doute, à la scène du buisson ardent où Moïse demande à Dieu quel est son nom et à la réponse de Dieu : "Je suis celui qui suis. Voici ce que tu diras aux Israélites : “Je suis” m’a envoyé vers vous" (Ex 3, 14).
Dans sa réponse aux juifs qui s’étonnent qu’Abraham ait pu voir son "jour", Jésus fait allusion à ce Nom et se l’approprie.
Approprier la majesté du Nom divin, quel blasphème pour les juifs pieux ! Jean va ici très loin. Il affirme implicitement, me semble-t-il, la divinité du Christ.

Mais revenons à la relation inouïe entre Jésus et son Père.
Non seulement Jésus possède le pouvoir - et lui seul - de connaître Dieu ("Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler" (Matthieu 11, 27), mais il a aussi le “pouvoir-faire” égal à celui du Père : "Tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement... Comme le Père en effet ressuscite les morts et les rend à la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut..." (cf. Jean 5, 19 et 21-22). Et la conclusion : "Qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père qui l’a envoyé" (Jean 5, 23).
Quelle audace de la part de Jean ! Il pose le Fils comme ayant droit aux mêmes "honneurs" que le Père ! Honneurs d’ailleurs indissolublement liés, puisque le Fils et le Père ne sont qu’un : "Le Père et moi, nous sommes un" (Jean 10, 30).

Certes, les hommes peuvent revendiquer le titre d’"enfants de Dieu" (Jn1, 12), mais Jésus reste "le Fils" par excellence, qui partage la vie du Père, selon un mode unique. D’où le titre qui n’offre aucune ambiguïté que Jean donne à Jésus : il est le "Fils Unique", "l’Unique-Engendré" (JN 1, 14. 18 ; 3,16. 18 ; Jn 4, 9). "Sidérante révolution, à l’intérieur du monothéisme juif", écrit Gérard Mordillat et Jérôme Prieur (cf. Jésus après Jésus, Le seuil, 2004).
À l’appui de mon argumentation, je pourrais citer bien d’autres textes, tels : le prologue de l’Évangile de Jean (1, 1.14) et la fin de sa première lettre (1 Jn 5,20).
Est-ce bien nécessaire ? Car à trop insister sur le caractère transcendant de la filiation divine de Jésus, on court le risque d’estomper l’humanité de Jésus. D’où certaines traces de résistance, même dans le quatrième évangile. Mais la pensée christologique progresse, malgré certains remous.

De l’Esprit Saint au Saint-Esprit

Aux disciples réunis dans le Cénacle, le Ressuscité donne l’Esprit de la nouvelle création : "Il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint" (Jn 20,22). L’expression “Esprit Saint” est fréquente dans le Nouveau Testament. Certes, la plupart du temps il est appelé simplement l’Esprit (le Souffle), mais puisqu’il est le don du Dieu Saint (Jn, 17,11 : "Père Saint"), il est aussi appelé Esprit Saint (to pneuma to hagion) (Jn 1,33 ; 14,26 ; Actes 5, 3-4 ; 1Thes 1, 5.. .).
On peut bien évidemment préférer l’expression de "Souffle Saint" (pneuma to hagion) pour désigner la même réalité.
Dans l’entretien avec Nicodème (Jn, 3, 6-8), Jean utilise le même mot (pneuma) pour le vent qui souffle et pour l’Esprit. Il ne suffit donc pas de remplacer systématiquement “Esprit” par “Souffle” pour régler tous les problèmes, surtout si la majuscule n’est jamais utilisée.
Les activités de l’Esprit sont nombreuses et variées. "Nul ne peut dire : Jésus est Seigneur, sinon dans l’Esprit Saint" (1 Cor 12, 3). Rapidement dit : chez Paul, l’Esprit est celui qui conduit l’homme et le met en marche ; chez Luc, l’Esprit fait parler et communiquer ; chez Jean, l’Esprit de vérité est celui qui fait connaître Dieu. Le même Jean parle de l’Esprit Saint comme d’une personne divine qui sera pour les disciples du Christ, le “Paraclet” (le Consolateur) (Jn, 14, 26 ; 16, 8-15...).
Paul ose écrire : "... personne parlant par l’Esprit de Dieu ne dit "Anathème à Jésus", et personne ne peut dire "Seigneur Jésus", si ce n’est par l’Esprit Saint" (1 Cor, 12, 2-3)." L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé...", écrit Luc dans Les Actes des Apôtres (Ac, 15,28).
Il est, à la fois, l’Esprit de Dieu (1 Cor 2, 11. 14 ; 3,16 ; 7,40), donc du Père (cf. Jn 14, 17, 26 ; 15, 26) et l’Esprit de Jésus-Christ (Rom 8,9 ; Phil 1,19), ou du Fils (Gal 4, 6), ou du Seigneur (Christ : 2 Cor 3,17), tout en étant bien distinct (Rom 8,11 ; 1Cor 12,3). En outre, l’Esprit possède les mêmes attributs que le Père et le Fils, tout en gardant des aspects spécifiques.
Entre cette révélation de l’Esprit Saint dans le Nouveau Testament, exposée ici rapidement et sommairement, et le Saint Esprit, troisième personne de la Trinité telle que définie par les Conciles de Nicée et de Constantinople, il y a bel et bien continuité parfaite. Que le Saint Esprit soit Dieu, au même titre et à égalité avec le Père et le Fils, il a fallu un plus long temps pour le reconnaître parfaitement.

Conclusion brève

La conception trinitaire de Dieu Père, Fils et Esprit n’est pas tombée du ciel. Elle est née de l’expérience et de la réflexion des communautés chrétiennes issues de Pâques/Pentecôte et des chrétiens des premiers siècles, en confrontation au judaïsme et à la culture grecque. Des traces de cette conception, nous en trouvons à la pelle dans le Nouveau Testament. Nous en avons relevé un certain nombre d’éléments.
Certes, on ne la trouve pas telle que définie par les conciles de Nicée 325), Constantinople (381) et de Chalcédoine (451), mais la vérité qu’elle exprime y est clairement.
Ce langage de la foi chrétienne en Dieu Père, Fils et Esprit est donc celui d’une certaine époque. Il convient peut-être de le redire en terme plus signifiant pour nos contemporains, tout en gardant la vérité des Écritures, mais en tenant compte de notre environnement actuel. Tous peuvent participer à ce travail dans un esprit d’ouverture et du dialogue.
À Monsieur Lallemand, je dis tout simplement que la vérité ne se trouve ni dans la littéralité textuelle, ni pas dans une recherche de pureté qui durcit et exclut, tout comme elle ne se tient pas non plus dans un corps de doctrine monolithique opposable à tout objecteur. Elle est du côté d’une recherche toujours en mouvement, dans l’ouverture et le dialogue.

Reynolds Michel


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