Fragilité du côté de l’idéal du Moi

19 novembre 2018, par Frédéric Paulus

Dans un précédant courrier, nous avons tenté d’évoquer l’émergence acquise (ou ontogénèse) de l’idéal du Moi, ou ce qu’en imagination l’enfant voudrait être à partir de « courses effrénées aux bonnes notes », facteurs de stress et de dissociation psycho-biologique, résultats d’un conditionnement scolaire quotidien. Notre intention est d’attirer l’attention des lecteurs en tentant d’éviter de culpabiliser quiconque. De fait nous baignons dans une culture où l’éducation des enfants est pragmatique, se fiant à la valeur pratique, sans pouvoir, expérimentalement, comparer les résultats de deux ou plusieurs philosophies éducatives ni déduire la plus à même d’épanouir l’enfant. Chaque enfant est unique, comme chaque parent. Il est scientifiquement impossible de s’aventurer à comparer deux « stratégie » dans « l’art d’accommoder les bébés », titre d’un ouvrage [1] qui mériterait d’être porté à la connaissance des jeunes parents par les sages - femmes. Cet ouvrage montre que malgré les progrès de la science, nous baignons dans un fond idéologique qui peut désorienter les parents autant que les professionnels de l’éducation ou de la santé.

Reprenons la genèse acquise de l’idéal du Moi. Parmi les cinq sens, la vue détermine essentiellement les pourtours de cet idéal (du Moi). Aucune construction acquise et développementale chez l’enfant ne se constitue en un jour. L’entité psychique « idéal du Moi » s’effectuerait selon notre hypothèse dans l’agglutination d’images partielles qui se mémorisent à l’insu de l’enfant. Nous savons que, doté d’un sens empathique et discriminant, il compare et évalue continuellement les perceptions prélevées par ses cinq sens dont particulièrement celles de la vue. Et ce, en extrayant de la valeur (ou valence des perceptions) qui le renseigne sur le caractère agréable ou désagréable des perceptions.

Depuis peu, nous avons la certitude qu’avec les neurones dits « miroirs » qui sous-tendent l’imitation et l’empathie, le bébé, bien évidemment aussi l’enfant plus âgé, hiérarchisent et classent leurs perceptions, identifient des « images-personnalités » plus ou moins attractives psychologiquement. Encore à leur insu, ils en font des modèles à imiter et désirent (ou non) leur ressembler ; ou, à contrario, fuir celles porteuses de mal-être, d’où émanent des sentiments opposés de dédain en fragilisant l’homéostasie. Ces sentiments auront été assimilés faussement par certains théoriciens à des sentiments « ambivalents ». Une exception doit être, succinctement, mentionnée concernant l’enfant battu, piégé, ne pouvant ni fuir, ni lutter : il s’inhibe et s’identifie très souvent à l’agresseur.

La fragilité psychologique de l’idéal du Moi résiderait dans la quête de l’enfant en des images structurantes extérieures (à lui) alors qu’il n’aura pas vraiment fait l’expérience d’acquisition lui conférant un sentiment d’exister indéfectible et une confiance en lui régulièrement confirmée. Fragilisé dans son développement et son éducation, il chercherait des images de substitution par compensation. Nous devrions penser à ce que pourrait être une éducation fondée sur les sensations en offrant la possibilité d’accompagner les enfants à ce qu’ils co-déterminent paritairement avec leurs parents leur choix de vie. Pour cela, il nous aura fallu accorder une attention particulière à la notion de « désir » dès la naissance de l’enfant. Ce point de départ devrait soulever, encore une fois, l’alternative dedans (==) dehors : « l’objet-mère », extérieur par excellence, serait classiquement (selon Freud) à l’origine du désir. Voici notre nouvelle proposition : L’objet-mère (ou père) est-il l’objet qui crée le désir ? Ou permet-il à l’enfant d’advenir suivant son propre processus inné de développement ? Ainsi « l’objet » (mère ou père) serait-il le déclencheur et le facilitateur d’un processus ? Qu’advient-il alors de l’objet du désir en tant que tel ? La mère est-elle une fin ou un moyen dans « l’univers psychique désirant » de l’enfant ? Si elle n’est qu’un moyen pour développer l’enfant, elle serait un objet de désir exogène qui favoriserait le développement de l’enfant (suivant la théorie des objets mentaux qui nous semble obsolète). Le désir endogène de l’enfant, quant à lui, deviendrait la réalisation ressentie de son propre développement, un objet interne et non son substitut, l’objet externe. Cela pourrait devenir son propre désir, c’est-à-dire le désir de vivre. Dans ces conditions, l’enfant devrait ressentir que c’est de lui que provient son développement, favorisé, certes, par un objet externe (la mère ou le père, par exemple) dans la conquête d’une autonomie grandissante et ressentie. Ces enfants ne devraient pas être dépendants affectivement de leur parents et ne devraient pas rappeler qu’ils n’ont pas demandé à venir au monde.

Si des failles dans le soutien que peuvent incarner les parents pendant les premières années de la vie d’un enfant se présentent, plus qu’exceptionnellement, l’enfant vivra son environnement comme insécurisant, non fiable ; et recherchera des images extérieures plus stables, plus rassurantes, au point de les idéaliser. Ce processus est fondamentalement psychologiquement fragilisant à terme. On voit ces jeunes investir des images-personnalités comme Bruce Lee, Rambo ou Jean-Claude Van Damme comme substituts d’une force psychique qui leur fait défaut [2]. En ce qui me concerne, ce fut Davy Crockett, « L’homme qui n’a jamais peur ! » et « tua un ours du premier coup de fusil » suivant la chanson qui créa le mythe.
Dans d’autres contextes, on pense à l’émergence de l’image d’un Hitler incarnant « le héros » que bon nombre d’Allemands attendaient pour lever le complexe lié à l’humiliation des deux précédentes guerres, 1870 et 1914-1918 pour réaliser une vengeance « salvatrice ». On pensera aussi à tous ces enfants, dont certains peu soutenus affectivement par leurs parents et pouvant être humiliés et complexés par un système scolaire, devenant des proies faciles à des manipulateurs de conscience, se révolter au non d’un « Dieu vengeur et réparateur ».
Idéalement, l’enfant devrait expérimenter ses forces, sa vitalité, l’importance que sa biologie accorde au plaisir d’agir comme vecteur de développement. Et ce, avant que son action soit socialement canalisée vers des activités culturelles en dysharmonie avec ses premiers apprentissages de la connaissance du Soi. Celle-ci prend racine pendant les premières années de la vie par le jeu spontané, nullement par l’apprentissage sophistiqué du solfège, par exemple, pour assurer, s’il en est, un désir parental narcissisant. (On aura compris que nous n’avons aucun a priori négatif à l’égard de l’apprentissage du solfège !) [3]. On n’a jamais construit de cathédrale sur des terrains qu’on ne connaît pas ou trop mouvants.

Frédéric Paulus


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Messages

  • Quel est le processus qui a permis cette dérive, cet écart entre les comportements, entre les hommes, entre les riches et les pauvres ? Et, finalement, quelle est la raison profonde de cette inégalité entre les hommes qui est devenue phénoménale, qui s’accroit et qui, semble-t-il, est à l’origine des dangereuses tensions du monde d’aujourd’hui ? Ce n’est pas une question anodine. Et cela vaut sans doute la peine de creuser le sujet.
    Un premier indice mérite réflexion. Selon certains historiens, toutes les civilisations naissantes ont commencé à décliner dès le début d’une nouvelle forme d’agriculture, celle plus ou moins intensive des céréales. Sont nées dans le même temps les concentrations de pouvoirs des négociants. À une société plus ou moins harmonieuse mais relativement équilibrée a succédé une société plus structurée mais, peu à peu, beaucoup plus inégalitaire et déséquilibrée. Agriculture intensive, production industrielle de masse, tout cela soutenu par une activité commerciale surdimensionnée, a donc donné les résultats que nous connaissons aujourd’hui. Ce qui pose question c’est l’adéquation entre cette masse d’activité et les réels besoins de l’humanité. La réponse est d’autant plus inquiétante que, non seulement cet excès de production de biens et de service est excessif mais qu’il détruit dans le même temps notre biotope, l’équilibre de notre propre maison. Comment en sommes-nous arrivé là et surtout, quelles sont les erreurs d’aiguillage ? La réponse est tout aussi inquiétante que la question. Il semble bien en effet que l’ensemble du système sociétal s’est peu à peu modifié au profit de ce processus, de cet itinéraire vers le déséquilibre. De marcheur et d’animal humain relativement libre (autant que son biotope pouvait le lui permettre), l’homme est devenu consciemment ou pas, totalement inféodé à ce nouveau système. C’est la curiosité intellectuelle qui permet à tous les mammifères nouveaux nés, de prendre progressivement conscience de leur environnement, de découvrir le Monde, de le comprendre et de s’adapter. Chez les humains modernes (au sens géologique du terme), là est l’erreur fondamentale d’aiguillage. On ne sait pas trop pourquoi mais, dès la naissance, cette capacité fondamentale qu’est la curiosité intellectuelle, est totalement éradiquée. Considérant que l’enfant était incapable de découvrir seul le Monde, chaque génération d’adulte a imposé à ses enfants sa propre vision du monde, de manière à ne laisser à l’enfant aucun moyen de développer ses propres facultés. « Tais-toi et écoute » est devenu la loi qui bloque le système évolutif naturel de l’enfant et, du même coup, le pouvoir d’évolution vers l’émancipation. Très peu d’humains échappent à ce formatage. Mais ce sont ceux-là qui conservent leur pouvoir d’adaptation, qui ont les moyens aujourd’hui de dominer le Monde et les masses et qui, bien entendu, abusent de leur pouvoir. Pour ces surpuissants, tout se passe comme pour le chat et la souris. On ne la tue pas tout de suite, avant, on joue un peu avec. Jusqu’à quand ?

    François-Michel Maugis – La Réunion
    Économiste, écrivain, philosophe.


Témoignages - 80e année


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