Libre opinion de Wilfrid Bertile

François Mitterrand : 10 ans déjà...

7 janvier 2006

Demain correspondra au 10ème anniversaire de la mort de François Mitterrand, ancien président de la République. À cette occasion, Wilfrid Bertile souhaite rendre hommage à sa mémoire en évoquant certaines de ses réalisations pour La Réunion. Il a fait parvenir à “Témoignages” une libre opinion que nous reproduisons ci-après.

François Mitterrand était mon maître en politique. Depuis 1965, je partage ses convictions et son combat. Premier secrétaire fédéral du Parti socialiste à La Réunion quand il en était le Premier secrétaire national, député de 1981 à 1986 au cours de son premier septennat, je voudrais, à l’occasion du 10ème anniversaire de sa mort, rappeler ce que nous lui devons et ce que nous avons fait ensemble.
François Mitterrand a marqué l’histoire de notre temps. D’autres ont dit ou diront ce qu’il a apporté au plan international, au plan européen et même au plan national. Je m’en tiendrai modestement au niveau réunionnais, sans vouloir et sans pouvoir être exhaustif.
Qui niera que son élection, en 1981, a ouvert chez nous une nouvelle ère ? Pas un des champs de la vie de notre société n’a été oublié.
Chacun conviendra des avancées sur le plan politique. La décentralisation a donné le pouvoir aux élus, dans les communes en supprimant la tutelle a priori de l’État sur les maires, au Département en confiant le pouvoir exécutif au président du Conseil général à la place du préfet. Elle a créé la Région en tant que collectivité locale décentralisée. Elle a mis fin à la querelle du statut et a scellé l’intégration de La Réunion à la République française. C’est tout à fait l’inverse du procès d’intention qui nous était fait.

Comment oublier les avancées sur le plan social ? Pour de nombreux Réunionnais, François Mitterrand reste celui qui a augmenté le plus les allocations et les prestations. Il s’est fait le chantre de l’égalité sociale alors que la droite prônait la parité. Il a engagé le rattrapage du SMIC métropolitain par celui de La Réunion. Il a étendu la couverture sociale des pêcheurs, des agriculteurs, des commerçants et artisans, des personnes âgées. Il a créé le RMI, véritable révolution sociale pour plus d’un quart de notre population.
Les travailleurs n’ont pas oublié l’extension de leurs droits dans les entreprises avec les lois Auroux, les 39 heures, la 5ème semaine de congés payés. La condition féminine a connu des avancées avec les lois Roudy sur l’égalité hommes-femmes, le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale, la création d’une Délégation régionale aux droits des femmes, la journée du 8 mars consacrée à la femme...

Nous avons aussi agi dans le domaine de l’économie. Au niveau général, c’est après 1981 qu’ont été étendues à La Réunion les CODÉFI (pour le financement des entreprises endettées), qu’ont été créés le FIDOM régional, la Caisse d’investissement des Départements d’Outre-mer (CIDOM), l’Association nationale pour le développement des DOM (ANDDOM)... Nous avons inscrit, dès 1981, les crédits pour la construction du nouveau port en baie de La Possession, intégré La Réunion dans les premiers Contrats de Plan État-Région avec des dotations par habitant doubles de la moyenne métropolitaine, commencé à globaliser les crédits européens dans l’OID (Opération intégrée de développement) qui a permis notamment le lancement du basculement des eaux de l’Est vers l’Ouest... Doit-on rappeler, sur le plan agricole, l’action en faveur des jeunes agriculteurs, la création de l’Odéadom (Office pour le développement agricole des DOM), la loi “Montagne” de 1984 substituant le fermage au colonage ?

Au plan culturel, avec François Mitterrand, nous avons réconcilié les Réunionnais avec leur histoire. Dès 1982, une loi décrétait le 20 décembre, date anniversaire de l’abolition de l’esclavage, jour férié. Une Direction régionale à l’action culturelle était créée dont la responsabilité fut confiée à un Réunionnais. La langue créole faisait son entrée en option dans les collèges... En 1982, le Centre universitaire de La Réunion devenait Université de plein exercice, de même en 1984 était créée l’Académie de La Réunion.
Quand on se remémore l’état de l’audiovisuel avant 1981, avec le monopole de FR3 en matière de radio et de télévision, l’opposition n’ayant pas accès aux ondes, on mesure le chemin parcouru. La création de RFO, la mise en place d’un 2ème canal de télévision, l’autorisation des radios et des télévisions privées ont élargi le champ des libertés.

Enfin, c’est après 1981 qu’a été véritablement lancée la coopération régionale avec un 1er voyage du préfet dans des pays de la région. Aujourd’hui, cela semble aller de soi. De même, la prise en compte des spécificités des DOM dans le processus d’intégration européenne a été effective avec les Conventions de Lomé de 1985 et de 1990, avec le POSEIDOM, avec la déclaration annexée au Traité de Maastricht mentionnant pour la première fois les “Régions ultrapériphériques”.
L’élection de François Mitterrand a permis l’affirmation du courant socialiste à La Réunion. Alors que de 1971 à 1981, Saint-Philippe était la seule municipalité socialiste, dès 1983, avec l’union de la gauche, des socialistes ont été élus à Petite-Ile et à Saint-Benoît, et en 1989 à Saint-Denis. Le tiers de la population réunionnaise vivait alors dans des communes socialistes et 5 parlementaires de cette obédience ont été élus depuis 1981 !

J’ai voté avec ferveur les grandes lois “mitterrandiennes” qui “changeaient la vie” : l’abolition de la peine de mort, la suppression des tribunaux d’exception..., et toutes celles qui ont rendu obsolètes les livres de Droit qui existaient alors.
Je considère comme un privilège d’avoir pu participer, dans le sillage de François Mitterrand, à cette œuvre exaltante. Mais au-delà du grand politique que chacun se plaît à reconnaître, François Mitterrand était aussi et surtout un écrivain et un humaniste, fidèle en amitié. C’est sans doute ce qui explique que les Français le reconnaissent comme le meilleur président de la 5ème République.
Je l’ai rencontré pour la dernière fois le 19 mai 1994 à l’Élysée en compagnie de Christophe Payet, fraîchement élu président du Conseil général. Il n’avait rien oublié, ni de nos combats, ni de La Réunion.

Wilfrid Bertile
Ancien député de La Réunion


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