George Sand, la Saint-Pauloise

30 juin 2004

J’avais 13 ans. J’étais en classe de fin d’études 2. Mon instituteur, Emmanuel Michel, avait amené dans sa classe une partie de sa bibliothèque personnelle. Il nous incitait à lire. Je me suis plié volontiers à cette exigence, d’autant plus que mon père, qui a eu son certificat d’études primaires en 1922, était un grand lecteur. Parmi les nombreux livres que j’ai empruntés à l’école, il y avait un de George Sand, "La Mare au Diable". J’ai apprécié, j’ai aimé l’auteur.
Vingt sept ans plus tard, lorsque que j’écris mon premier roman "Le Calvaire de Claudine", j’introduis l’excellent roman de George Sand "Lila". Voilà pour l’anecdote.
En effet, Antoinette-Sophie-Victoire Delaborde, fille d’un oiselier parisien, donne naissance à une fille le 1er juillet 1804 à Paris, Amandine-Aurore Lucie Dupin, de son père Maurice Dupin. La petite Aurore, dès l’âge de 4 ans, le 16 septembre 1808, devient orpheline de père, Maurice Dupin étant victime d’une chute de cheval à la châtre. En 1832, à 28 ans, elle publie son premier roman, "Indiana", sous le pseudonyme de George Sand (George sans “s”). Désormais, elle parlera d’elle-même au masculin. Ce nom, en devenant célèbre (et le succès d’"Indiana" fut grand et immédiat), lui assure cette indépendance économique sans laquelle le désir de liberté n’a pas de sens et est de peu d’effet.
Écrire ce premier roman fut pour elle conquérir la liberté intellectuelle et économique, mais aussi acquérir un nom, et, par là-même, être soi.
George Sand a voulu marquer sa distance par rapport aux faiblesses d’un certain style féminin de l’époque. Elle désirait conquérir le droit de parler de questions sérieuses et considérées à l’époque comme du registre masculin, la politique par exemple.

George Sand, à travers "Indiana", crie sa révolte de femme. Dans tout le roman, on notera la fréquence des images du fouet, de la torture, du cachot, de l’emprisonnement, pour figurer l’esclave moral d’Indiana, "femme esclave qui n’attendait qu’un signe pour briser sa chaîne". On touche là à une obsession profonde de l’écrivain. Comment alors ne pas s’étonner que, pour son premier roman, George Sand la républicaine décide de faire voyager Indiana jusqu’à l’île Bourbon et plus précisément de faire habiter son héroïne à Saint-Paul ?
Elle écrit ce roman seize ans avant l’abolition de l’esclavage (20 décembre 1848).
"Indiana" ressemble étrangement au rêve d’Amandine-Aurore Lucie et plus tard au pseudonyme George Sand. Car, constamment, l’écrivain a cherché à résoudre cet insoluble problème : "le moyen de concilier le bonheur et la dignité des opprimés par cette même société, sans modifier la société elle-même".
À Saint-Paul, en 1832, George Sand ne donne pas à ses héroïnes une position d’abolitionnistes. Car elle sait que la marche vers l’abolition de l’esclavage est risquée.
Alors elle a une idée géniale pour montrer son opposition à ce crime contre l’humanité, en faisant accueillir au domicile de Ralph et d’Indiana "les esclaves fugitifs" (marrons). Elle fait porter à Ralph la liberté de l’expression sous toutes ses formes : "Liberté de penser, liberté d’écrire, liberté de parler, saintes conquêtes de l’esprit humain".
La fuite d’Indiana et de Ralph vers La Réunion permet à George Sand d’exprimer une opinion républicaine qu’elle ne pouvait faire en France.
Pour donner suite à son premier roman "Indiana", George Sand ne transforme pas son roman en contrat social et gomme en partie la réalité économique et sociale de La Réunion.

Voici un passage sur la ville de Saint-Paul :
"Au mois de janvier dernier, j’étais parti de Saint-Paul, par un jour chaud et brillant, pour aller rêver dans les bois sauvages de l’île Bourbon. J’y rêvais de vous, mon ami ; ces forêts vierges avaient gardé pour moi le souvenir de vos courses et de vos études ; le sol avait conservé l’empreinte de vos pas. Je retrouvais partout les merveilles dont vos récits magiques avaient charmé mes veillées d’autrefois, et, pour les admirer ensemble, je vous redemandais à la vieille Europe, où l’obscurité vous entoure de ses modestes bienfaits. Homme heureux, dont aucun ami perfide n’a dénoncé au monde l’esprit de mérite !
J’avais dirigé ma promenade vers un lieu désert situé dans les plus hautes régions de l’île, et nommé le Brûlé de Saint-Paul.
Une large portion de montagne écroulé dans un ébranlement volcanique a creusé sur le ventre de la montagne principale une longue arène hérissée de rochers disposés dans le plus magique désordre, dans la plus épouvantable confusion. Là, un bloc immense pose en équilibre sur de minces fragments ; là-bas, une muraille de roches minces, légères, poreuses, s’élève dentelée et brodée à jour comme un édifice moresque ; ici, un obélisque de basalte, dont un artiste semble avoir poli et ciselé les flancs, se dresse sur un bastion crénelé ; ailleurs, une forteresse gothique croule à côté d’une pagode informe et bizarre. Là se sont donné rendez-vous toutes les ébauches de l’art, toutes les esquisses de l’architecture ; il semble que les génies de tous les siècles et de toutes les nations soient venus puiser leurs inspirations dans cette grande œuvre du hasard et de la destruction. Là, sans doute de magiques élaborations ont enfanté l’idée de la sculpture moresque. Au sein des forêts, l’art a trouvé dans les palmiers un de ses plus beaux modèles. Le vacoa, qui s’ancre et se cramponne à la terre par cent bras partis de sa tige, a dû le premier inspirer le plan d’une cathédrale appuyée sur les légers arcs-boutants. Dans le Brûlé de Saint-Paul, toutes les formes, toutes les beautés, toutes les facéties, toutes les hardiesses ont été réunies, superposées, agencées, construites en une nuit d’orage...
La première m’avait laissé une impression ineffaçable ; c’était à Saint-Paul, sur le bord de la mer..."

Le roman "Indiana" s’achève sur un projet de double suicide dans la cascade de l’île Bourbon. Mais il y a soudain un renversement. L’eau n’est plus mortelle ; elle devient baptismale. Ralph et Indiana finalement ne se tuent pas et décident de vivre une vie nouvelle.
Le ministère de la Culture a décrété 2004 Année George Sand.
Nous fêtons le 1er juillet 2004 le bicentenaire de la naissance de George Sand.
George Sand, en 2004, est la plus jeune de nos contemporains. C’est une vraie femme d’aujourd’hui. En deux siècles, elle n’a pas pris une ride, elle n’a pas vieilli. C’est le privilège du génie d’ignorer les outrages du temps.
Le roman "Indiana" mérite d’être lu, non seulement dans une perspective historique comme le premier roman de George Sand, comme une œuvre lourde aussi présente dans l’histoire, des luttes de la femme contre la société du XIXème siècle, mais encore comme un chef d’œuvre de l’art romantique dont La Réunion a servi de base.
George Sand, par ce roman à succès, est une Saint-Pauloise. Est-elle venue à La Réunion ? Aucune trace ne l’affirme.

Marc Kichenapanaïdou,
président du GRAHTER



Les œuvres de George Sand

Pièces de théâtres de 1840 à 1870 : 24.
Essais et articles de 1834 à 1873 : 28.
Nouvelles de 1831 à 1865 : 22.
Romans de 1829 à 1876 : 90.
Son dernier roman "Albine" qu’elle n’achèvera pas.


Le Pont du Village

Lorsque l’on se rend à Salazie, l’on ne peut pas ne pas voir l’ancien pont situé juste à l’entrée du village. Cet ouvrage, témoin de l’histoire du cirque, est envahi par les chouchous et autres végétations. Une bien triste image de Salazie qui se veut touristique, et qui plus est, participe du 7 juin au 4 Juillet 2004 aux Journées de l’accueil organisées par les offices et maisons de tourisme de La Réunion.

Paul Dennemont


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