Ils, elle, sont « installés ». Nous, c’est à venir

4 avril 2014

La démocratie est une alliance au-delà des urnes, entre trois légitimités : celle des élus qu’on a désigné, des producteurs de biens (acteurs économiques) et de services (acteurs des institutions et associations reconnues) et des habitants-citoyens. Sans ces deux légitimités là, la démocratie est bancale et en danger.
Le récent cyclone électoral a révélé le fossé existant entre ces trois composantes.
Mais les fils de reliance ne sont pas rompus, seulement efffilochés, mais prêts à « péter » si nous restons inertes. Cinq fils sont en tension : ceux de la démocratie, de l’union, de la politique autrement, de la proximité, et des processus de décision.

- La démocratie ? Cette tension est essentiellement due à deux visions, deux philosophies d’action : celle qui considère que les élus et les institutions sont les seuls, en tant que représentants, à devoir répondre aux attentes des « habitants » considérés comme objets de leurs soins (c’est « la politique ») et les deux autres sphères qui considèrent, tout en reconnaissant le pouvoir de décision des élus, que les délibérations doivent être partagées par les trois (c’est « le » politique).
Arrêtons de dénoncer la passivité des citoyens. Dans les deux sphères on n’a pas attendu le coup de sifflet des élus pour agir, prendre des initiatives en tous domaines, s’indigner, et quand il le faut, manifester. De très nombreux abstentionnistes en font partie.
Il faut dire que peu de candidats ont mis en avant cette énergie citoyenne pour venir localement à bout des problèmes posés par la crise, notamment en matière d’emploi : qui a parlé de l’économie sociale et solidaire, et du réservoir associatif indépendant ?

- L’union ? Tension entre, d’une part, les unions de circonstance guidées par l’arithmétique et les débauchages, avec le fumeux argument de la non différence entre les propositions de la droite et de la gauche.
C’est oublier une longue histoire de combats, de conflits, de conquêtes pour la justice sociale, parfois douloureusement réprimées ; et d’autre part, les unions de reliance inspirées par notre triptyque républicain : « liberté, égalité, fraternité », en lutte permanente contre les formes de repliement, de dislocation et de haine.

- La politique autrement ? Tension entre « la » politique politicienne d’une aristocratie élective qui parle à tort et à travers de la « gouvernance », comme fonctionnement d’une machine gouvernante pour le bien du peuple (sur fond de guerre des « ego ») et « le » politique du « vivre ensemble » dans tous les domaines, au-delà du seul secteur économique.

- La proximité ? Tension entre ceux qui labourent « le terrain » affectivement en « amis », qui vont « s’occuper des gens » pour répondre à leurs attentes individuelles, en distribuant leurs bienfaits évidemment payants pour l’élection et la réélection ; et ceux qui rejoignent « les territoires de vie » afin de faire en sorte que les citoyens deviennent sujets et acteurs de leur vie personnelle, familiale, collective, jusqu’à devenir citoyens du monde, à commencer par l’Océan Indien, en partant de leur expertise largement méconnue. C’est le passage du « local » au « global ».

- Les processus de décision ? Tension entre les élus qui considèrent que pour concrétiser leur programme et leurs promesses, ils devront négocier en « misouk » avec les échelons intercommunaux, départementaux, régionaux et étatiques sur fond de restrictions budgétaires tous azimuts, avant de les faire entériner par leurs Conseils ; et ceux qui auront le courage, en amont de chaque projet, d’engager avec les producteurs de biens et de services et les citoyens, un diagnostic partagé avant de décider, en commençant par respecter et écouter ce qu’a à dire l’opposition. Il nous faut souligner la curieuse attitude préélectorale, pour des raisons personnelles,
d’afficher les enjeux départementaux et régionaux en jouant à « saute-mouton » sur l’échelon intercommunal que les électeurs ont désigné, comme si nous leur avions donné « carte blanche ».

Ceci étant dit, si nous voulons réparer les fils endommagés, il faut commencer à sortir du « binaire » qui semble inscrit dans les gênes réunionnais, et consolidé malheureusement avec la départementalisation. C’est à l’origine de toutes les guerres.

La gouvernance n’est justement pas la guerre entre majorité et opposition, et entre deux visions du développement.
En sortant de l’arithmétique triomphante, disons que 1+1=3 : la réunion des différences.

La première des décisions qui serait à prendre (peut-être avec l’appui des nouvelles équipes ou d’anciens conscientisés) c’est de reprendre une vieille mesure défendue par bien des révolutionnaires (Condorcet, Locke, Jean Jacques Rousseau) c’est la démocratie de surveillance sous forme de « contrôle des gouvernés sur les gouvernants » comme disait le grand philosophe républicain Alain. C’est en droite ligne avec les articles 14 et 15 de la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » indiquant clairement le droit de ces derniers à « demander compte à tout agent public de son administration » afin de « corriger les arythmies de l’appel aux urnes, faisant du peuple dormant un géant prêt à bondir » (Locke).

Rêvons de trois observatoires de la démocratie locale sur la base d’expertises indépendantes des pouvoirs locaux. Question de volonté politique pour cette expérimentation.
« Là où croit le péril, croit aussi ce qui sauve » (Patmos).

 Marc Vandewynckele 


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