Lettre ouverte à la Chambre correctionnelle collégiale :

J’ai dit ‘Zorey’ !

5 juin 2020, par Philippe Bessière

Je suis convoqué devant le Tribunal Correctionnel le 2 juillet 2020 à 13 heures 45. Je suis prévenu d’avoir « porté atteinte à l’honneur ou à la considération de Mme Virginie Chaillou-Atrous à raison de son origine ». Ceci parce que j’ai diffusé le texte suivant : « Vous représentez le symbole de ce que l’on ne veut plus à La Réunion : une zorey imbue de son savoir et de ses compétences, qui se place du côté de l’Excellence et qui prétend apporter aux Réunionnais ce dont ils ont besoin sans qu’ils le sachent eux-mêmes ».
 
Je suis justiciable et vous êtes juges. Jugez-en donc :
• Ai-je le droit d’observer la vie autour de moi ? Par exemple de remarquer que dans votre tribunal, la sécurité et les ‘petites mains’ sont noires, et que les magistrats sont blancs comme l’étaient les officiels de la conférence de presse du 20 mars 2020 confinée à la Préfecture ?
• Ai-je le droit de le dire ? Et de le dire dans la langue de mon choix, aussi bien en français qu’en créole ? 
• Ai-je le droit d’identifier des personnes pour en savoir davantage sur elles que la seule couleur de peau ? De connaître leur genre (rassurez-vous, la plaignante n’est pas notre genre), leur origine géographique (quand bien même ce serait Nantes, port négrier), leurs affinités (en l’occurrence pour les bonnes places à prendre coûte que coûte) ?
• Ai-je le droit d’apprécier et de qualifier ce que j’ai pu observer ? Par exemple de considérer que la jeunesse n’est pas une compétence en histoire (et ceci dans toutes les cultures), que la prétention ne fait pas la valeur, que le gallocentrisme n’est pas l’universel… bref de vérifier une fois de plus que l’imbu de compétences est nuisible à la santé ?
• Ai-je le droit de m’interroger sur les considérants d’une personne se considérant tellement excellente qu’après avoir contesté un tribunal elle fait appel à un autre ?
• Et enfin, ai-je le droit de nommer celle qui vient nous apprendre notre histoire ?

Car le fond du problème est dans le pouvoir de nomination qui a toujours été détenu par le colonial dans cette île :
• Par l’Etat royal, impérial ou républicain qui tient à marquer sa possession sur l’île, d’où Bourbon, Bonaparte et La Réunion.
• Par les découvreurs et leurs bateaux, d’où Saint-Alexis, Saint-Laurent, etc.
• Par les administrateurs dont les noms sont omniprésents dans nos lieux et dans nos rues.
• Par l’état-civil qui attribue des patronymes aux affranchis depuis 1832 et qui déformera, par la suite, les noms de très nombreux engagés.
• Aujourd’hui on voudrait pénaliser l’expression créole dans une cour de justice.

Car c’est justement ce pouvoir qui est contesté par la langue créole qui retourne souvent le sens des mots français. C’est ainsi que la loi devient la lwa (c’est-à-dire, le policier), le gouvernement, governman (la femme de tête), et pour certains, l’école, la kol (ceux qui ont été sanctionnés par des heures de retenues comprendront). Comme beaucoup de zoreille, madame Chaillou est allergique à cette langue qu’elle ne veut pas entendre, exactement comme Robinson n’accepterait pas de se faire nommer par Vendredi.
Mais il se trouve que la langue créole a fait valoir son bon droit puisque le mot ‘zoreille’ est entré dans la langue française. 
Mais il se trouve que je revendique avec beaucoup d’autres le droit à la parole. Que certains ne l’entendent pas de cette oreille, je le déplore. Mais qu’ils s’estiment atteints dans leur honneur, c’est un comble. Est-ce un honneur que de réduire les autres au silence ? L’exercice de la parole ne serait-il réservé qu’à une seule catégorie de personnes ? La Justice est-elle enfin prête à entendre les atteintes à la dignité de ceux qui sont relégués à l’invisibilité et à l’inaudibilité ?
Mesdames, messieurs, les juges, j’ai dit « zorey » : l’entendez-vous ?
 
Philippe Bessière

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