L’antidote de la « pensée unique »

28 janvier 2014

110 mille illettrés à La Réunion : l’information livrée récemment par l’INSEE est passée presque inaperçue, comme le fait qu’un nombre croissant d’élèves de la classe de 6ème ne savent pas lire et que les résultats scolaires sont en baisse dans toute la France ...On a tedance à mettre en cause les enseignants, les méthodes d’apprentissage, les parents ou les enfants, sans vouloir chercher plus loin.

Le philosophe Alain l’avait fort bien dit : « Il s’agit d’apprendre à lire, et aussi d’apprendre à penser, sans jamais séparer l’un de l’autre. » (…) « Il faut lire ; et cela s’étend fort loin.

Se rendre maître de l’alphabet est peu de chose ; mais la grammaire est sans fin ; au-delà s’étend le commun usage ; au-dessus est l’expression belle et forte, qui est comme la règle et le modèle de nos sentiments et de nos pensées. Il faut lire et encore lire. L’ordre humain se montre dans les règles, et c’est une politesse que de suivre les règles, même orthographiques. Il n’est pas de meilleure discipline. Le sauvage animal, car il est né sauvage, se trouve civilisé par là, et humanisé, sans qu’il y pense, et seulement par le plaisir de lire. »

Qu’en est-il aujourd’hui, un siècle après, au moment où le système en place sous le nom de mondialisation fonctionne à plein malgré quelques ratés ? Il devait apporter à chacun bien-être, santé, bonheur mais le résultat le plus tangible, c’est l’enrichissement insolent d’une minorité de privilégiés et l’appauvrissement constant du plus grand nombre. Accentuant le déséquilibre entre les États et à l’intérieur de chaque État, provoquant crises, guerres, pollutions, insécurité jusqu’à mettre en péril l’humanité tout entière... Sous la houlette des grandes institutions comme le FMI, l’OCDE, la Banque centrale..., la machine assure partout sa domination, et dans tous les domaines. Elle entend contrôler les gouvernements quand elle ne les installe pas et ne les renvoie elle-même, les médias quand elle il ne se les approprie pas elle-même. Pas un seul secteur de l’activité humaine ne lui échappe ; elle pénètre dans la famille comme elle pénêtre dans l’école sans crier gare ; elle façonne les esprits de telle sorte que, « de plus en plus de citoyens libres se sentent englués, poissés par une sorte de visqueuse doctrine qui, insensiblement, enveloppe tout raisonnement rebelle, l’inhibe, le trouble, le paralyse et finit par l’étouffer », pour reprendre les termes d’Ignacio Ramonet, l’ancien directeur du Monde diplomatique. « Cette doctrine, c’est la pensée unique, la seule autorisée par une invisible et omniprésente police de l’opinion. »

Face aux nouveaux outils d’information et de communication à sa disposition, et qui exercent tant d’attrait chez les jeunes, elle n’aura plus besoin bientôt de lecteurs, au sens où l’entendait Alain. Lire devient alors un véritable luxe réservé à une élite, qui de toute façon lui est déjà acquise. 

C’est ce « programme énorme d’infantilisation obtenue par le maintien scolaire de la masse humaine à la surface des problèmes » que dénonçait naguère le père Jean Cardonnel. « Il est visible, sensible, palpable, écrivait-il, que l’on ne sait pas lire, donner corps, vie à un texte. Mais le plus grave vient de ce qu’une foule de gens savent tellement lire qu’ils n’apprennent plus jamais à lire. Or, si je n’apprends pas à lire avec chacune des œuvres qui se déroulent sous mes yeux, comment voulez-vous que je goûte le millionième des plaisirs fous de la lecture ? A la vérité, notre monde n’apprend ni à lire, ni à écrire, ni à parler. Il n’est appris de la lecture et de l’écriture que ce qu’il faut en savoir pour compter, pour calculer (….). Apprendre à lire, et du même mouvement apprendre à parler : « Car l’éveil de la parole, le travail d’éclosion de l’acteur-auteur, de l’orateur chez tout enfant, chez tout jeune homme, chez toute jeune fille, chez tout homme, chez toute femme, c’est la condition élémentaire de la citoyenneté, de l’avènement de la République. »

 Georges Benne 


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