À propos du film sur Michel Debré

L’autre face de l’Histoire

30 novembre 2005

J’ai été très heureuse de trouver enfin, dans “Témoignages”, un article de M. Eugène Rousse qui donne un regard d’historien sur le film diffusé mercredi 23 novembre “25 ans d’Histoire de La Réunion” qui vantait les mérites de “Papa Debré”. Excusez, mais ce n’était pas un Papa pour tout le monde !
Certes, Benoît Ferrand a fait un bon travail de recherche d’archives. Mais les commentaires ne reflétaient pas toujours l’exactitude de l’image. Par exemple, Debré, aidé par ses amis de La Réunion, comme Albert Ramassamy, dénonçait avec violence dans ses discours le Parti communiste réunionnais qui "sous couvert de l’autonomie, voulait en fait l’indépendance". Donc le film montre à ce propos une manifestation où des milliers de Réunionnaises et Réunionnais portent des pancartes “Autonomie”, voulant ainsi illustrer l’idée : autonomie = indépendance.
Debré, "un grand homme" ? qui n’a jamais combattu la fraude.
Battu en Indre-et-Loire, il vient à La Réunion pour dicter sa loi. Pour cela, il foule les lois de la République. Il est "élu" en 1963, "avec 80% des voix". Dans le même temps, son adversaire est expulsé des bureaux, ses représentants sont insultés, frappés parfois par les nervis, menacés s’ils protestent contre les fraudes grossières lors du dépouillement. Tout cela n’amène pas Debré à protester vigoureusement et à démissionner. Est-ce là l’attitude d’un "grand homme d’État" ?
Les années Debré - comme l’a rappelé Eugène Rousse -, c’est l’ordonnance qui porte son nom qui va expulser des fonctionnaires syndicalistes. Ce sont les violences, des militants emprisonnés, alors que les fraudeurs n’ont aucune sanction, ce qui amènera le directeur de “Témoignages” de l’époque, Paul Vergès, à refuser de faire de la prison pour avoir reproduit des articles de journaux parisiens “Le Monde” et “l’Humanité” qui dénonçaient la répression atroce contre les Algériens à Paris, tant que les fraudeurs n’auraient pas été condamnés.
Les années Debré, ce sont aussi les 43 saisies du journal “Témoignages”.
Les années Debré, ce sont ces enfants enlevés à leurs parents, leurs grands-parents, et envoyés dans La Creuse pour "repeupler" les départements désertiques. Un scandale dont beaucoup, devenus des femmes et des hommes, portent les souffrances.
Debré, rejeté en France, est venu disposer des hommes et des femmes de ce pays, pour vivre le rôle qu’il s’était octroyé : devenir le chef dans cette colonie, à n’importe quel prix.
S’il y a eu des progrès, les luttes des ouvriers, dockers, travailleurs du bâtiment, planteurs et ouvriers agricoles, enseignants progressistes ; des femmes et des hommes de La Réunion ont largement contribué aux avancées économiques, sociales et culturelles.
Quand on entend un ancien sous-préfet de Saint-Benoît, Bernard Grasset, dire que la culture n’était pas bâillonnée, qu’on entendait du séga et du maloya sur les ondes, on croit rêver.
Interdits de radio et de télévision, poursuivis, humiliés, les Réunionnais ont résisté, et su garder leur culture et défendre leur droit à la liberté.
L’Histoire n’a pas une seule face. Un historien peut choisir de défendre telle ou telle cause.
Ceux qui ont vécu la même période ont le droit de donner leur point de vue.
C’est pourquoi, je n’adhère pas à la glorification de Michel Debré qui n’a pas laissé à La Réunion le souvenir d’un grand Homme. Il a failli en agissant avec des œillères, et en participant à la fraude et au bâillonnement d’une partie du peuple. Ce n’est certes pas républicain.

M.A.D.,
Saint-Denis


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