L’éducation à la citoyenneté et appartenances

18 avril 2018, par Reynolds Michel

L’éducation à la citoyenneté est dans nos sociétés démocratiques un sujet de préoccupation majeure, tout en étant une mission essentielle de l’école publique. Et ce maintenant plus que jamais, compte tenu d’un certain nombre de facteurs qui fragilisent le lien social. Nous pensons au repli identitaire, à la montée du communautarisme et des populismes, à la discrimination et à la marginalisation d’un nombre croissant de citoyens, aux incivilités et aux violences et à l’affaiblissement des corps intermédiaires.

Occultation ou reconnaissance des appartenances ?

Cette éducation à la citoyenneté doit-elle se faire et peut-elle se faire dans l’ignorance de nos appartenances particulières, de nos cultures singulières et de nos faits religieux ? L’école de la République doit-elle éduquer, former des citoyens en étant aveugle aux appartenances propres des élèves, futurs citoyens ? En vue de mieux respecter l’égalité de traitement des élèves dans l’espace public scolaire, « égaux parce que semblables », l’école de la République doit-elle occulter l’appartenance communautaire, sexuelle, religieuse des élèves ? Les missions de l’école, instruire, éduquer et former, ne passent-elles pas par la prise en compte de la vie réelle des élèves ? Que signifie prendre en compte l’élève dans sa globalité ‒ le mot d’ordre de toutes nos pédagogies modernes ‒ s’il convient dans le même temps de faire abstraction de tous ses particularismes ? La question est posée à ceux et celles qui défendent une conception et une application étroites de la citoyenneté républicaine (Cf. Dominique Rivière, Eduquons nos enfants en commun comme futurs citoyens et citoyennes, In Le Quotidien, 20 /03/2018).
L’école est, de toute évidence, l’un des lieux essentiels et importants du « Vivre ensemble ». Les enfants et les jeunes qui s’y retrouvent viennent de différents milieux, provenances et appartenances. Ils ne surgissent donc pas de nulle part. Ils sont nés et ont reçu leur première socialisation à l’intérieur de groupes d’appartenances et d’identifications. Mais c’est à l’école, dans cette première société, que l’élève découvre les autres « semblables et différents », le collectif, l’interaction autour des intérêts communs ou divergents. C’est dans ce jeu d’interaction, qu’il se découvre lui-même, son rôle et sa place en confrontation avec les autres et dans l’exigence d’un dépassement de soi.
Tout cela évidemment ne peut se faire sans guidance, sans apprentissage. Car, laissé à lui-même, sans règles, le vivre ensemble peut-il produire autre chose que la compétition, l’écrasement des plus vulnérables, l’isolement et la violence ? C’est là qu’entre en jeu l’éducation à la citoyenneté dans sa dimension sociale, une citoyenneté orientée vers des règles de vie commune. Et elle ne peut se faire sans passer par l’apprentissage du respect des autres, l’acceptation des différences, l’ouverture à la diversité, la coopération, la solidarité, sans parler de la pratique du dialogue fondée sur le refus de la violence. Tout cela ne peut se faire en dépouillant les élèves de leur singularité. La rencontre, c’est entre deux sujets que cela se passe, entre deux êtres singuliers non réductibles à des concepts. Il convient même de dire que le préalable de tout apprentissage de la citoyenneté devrait être la reconnaissance, dans sa singularité, de celui ou celle qu’on souhaite accueillir comme citoyen ou citoyenne.

Différents mais égaux

En allant plus loin, nous pouvons même dire que la diversité socioculturelle des élèves est une chance pour l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs de la démocratie. L’école de par sa diversité et son hétérogénéité sociale et culturelle ‒ site par excellence de l’interculturalité ‒ offre aux élèves l’expérience de l’altérité, c’est-à-dire la possibilité de sortir d’eux-mêmes pour rencontrer les autres « différents mais égaux », partageant avec l’autre porteur d’une culture différente une commune humanité, une égale dignité. Reconnaître la différence peut aider à construire du commun. « Et, de fait, l’on pourrait suggérer que la reconnaissance de cette différence par les autres est précisément la médiation par laquelle je me fais leur semblable. Il apparaît donc, quant au fond, que le partage des singularités est bel et bien un préalable à une politique du semblable et de l’en-commun » [1]
En outre, quelle belle occasion pour l’enseignant de montrer à ses élèves que leurs appartenances sont diverses et multiples (ethnoculturelle, familiale, religieuse, sexuelle, sociale, locale, régionale, nationale…) et qu’aucune n’épuise leur identité individuelle. En soulignant la richesse de leur appartenance multiple, il peut pointer le danger de l’enfermement dans une appartenance unique ‒ c’est une certaine manière de lutter contre l’enfermement communautaire. Pour aller dans le même sens, il peut encore ajouter que c’est seulement « par un hasard heureux ou non » qu’on appartient à tel ou tel « groupe qui partage certaines croyances, certaines habitudes culturelles, certains rituels » [2].
Mais comment l’école de la République gère-t-elle aujourd’hui la diversité dans ses établissements ? Met-elle en œuvre une conception abstraite de l’individu citoyen, « indifférente aux différences », ici de l’élève futur citoyen ? Même si le modèle français récuse en principe l’expression de diverses identités culturelles et religieuses, l’école est contrainte, en pratique, de trouver des solutions pour gérer de façon pragmatique la diversité ‒ linguistique, religieuse, sociale… ‒ qui s’impose à elle.
Dans le domaine linguistique, là même où l’unité s’est faite selon le modèle de l’assimilation, on utilise l’approche de type français langue seconde (FLS) ou français langue étrangère (FLE) pour mieux intégrer dans le milieu scolaire les élèves qui n’ont pas le français comme langue première. Malgré la non ratification de la Charte européenne des langues régionales par la France, ces langues ont trouvé une certaine place, encore trop limitée, dans l’école de la République. Bref, une tentative modeste de politique linguistique comme voie d’approche de l’hétérogénéité de l’école.

Chaque année, le Bulletin Officiel de l’Education Nationale publie une liste de fêtes de différentes confessions religieuses pouvant faire l’objet d’autorisation d’absence aux cours ce jour-là. Qu’est-ce à dire sinon qu’il prévaut en réalité, même en régime de laïcité, un régime implicite de cultes reconnus. D’autre part, la loi d’orientation de 1989 sur l’éducation prévoit explicitement que les élèves doivent pouvoir manifester librement leurs convictions spirituelles à l’intérieur des établissements scolaires. Droit à l’expression religieuse sans prosélytisme, a-t-on précisé ultérieurement.
Cette prise en compte même très limitée de la diversité culturelle et religieuse met à mal, nous semble-t-il, une certaine conception de la citoyenneté aveugle aux appartenances. Dans un contexte de pluralité culturelle et religieuse croissante de nos sociétés, du primat du sujet et de l’affirmation de la multi-appartenance, la citoyenneté s’affirme plurielle (locale, régionale, nationale, supranationale/européenne, mondiale). L’appartenance à une communauté politique malgré son importance n’est plus le seul mode d’identification de l’individu. Penser l’accès à la citoyenneté dans l’occultation de notre diversité n’est plus possible. Toute la question est comment articuler la démocratie politique et la pluralité des cultures dans une perspective de consolidation de la cohésion nationale, donc à distance de tout communautarisme.

Reynolds Michel


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