“L’esclavage” : Prix de littérature de Leconte de Lisle du Conseil général

10 mai 2006

C’est le 19 juillet 1980 que le président du Conseil général, le docteur Pierre Lagourgue, m’a décerné le prix de littérature de Leconte de Lisle. Nous étions encore à l’époque de la “culture du fénoir”. Précurseur, le docteur Pierre Lagourgue a osé reconnaître que l’esclavage était pour "son pays" un crime contre l’humanité. 24 ans plus tard, la loi de Christiane Taubira est votée à l’unanimité, reconnaissant cette réalité.
Avec mon équipe théâtrale, nous étions les premiers à présenter la pièce “L’esclave” sur scène, où les comédiens-esclaves ont brisé leurs chaînes de la servitude : ce fut le 20 décembre 1976, le stade de Saint-Louis était plein à craquer. Comment ne pas remercier les 40 comédiennes et comédiens de leur travail acharné... Et nos amis, Charles Sautron et Guy Ethève, qui ont été les chefs d’orchestre de cette organisation. La pièce “L’Esclave” a fait le tour de l’île avec plus d’une soixantaine de représentations.
Comment mieux résumer cette pièce de théâtre par les quelques mots de René Payet : "Une histoire. Un monde... que l’on fréquente peu à La Réunion. Notre histoire. Le monde de l’esclavage. Comme si on en avait honte". ?

Les négriers qui veulent tirer le maximum de profit de leur cargaison.
Les maîtres qui investissent dans ce matériel humain, comme aujourd’hui on le fait dans un tracteur ou un camion, et qui en attendent le meilleur rendement. Avec, peut-être, un peu moins d’égards que l’on a aujourd’hui pour sa machine : c’est que l’esclave, il faut le mater - et qu’une machine, il suffit de la conduire !
Des hommes capturés comme des bêtes, expatriés, mis aux enchères, vendus, exploités - des hommes qu’on appelle “esclaves”, et qui, intérieurement refusent de l’être, et qui ne se résignent pas... Sous les insultes et les coups, des attitudes pleines de dignité. Puis, peu à peu, ils se regroupent, découvrent leur force. Et, en marche vers leur liberté, avant que ne tombe la Bastille, ils vont pratiquer de sérieuses brèches dans la citadelle de leur servitude.
C’est dans cette histoire, dans ce monde-là que nous introduit l’auteur de “L’esclave”.
C’est nouveau. C’est audacieux. C’est réussi.

À travers cette pièce de théâtre, j’ai découvert qu’on ne pouvait pas comprendre La Réunion d’aujourd’hui sans connaître le terrain dans lequel elle s’est enracinée. Je constatais d’ailleurs chez les jeunes la même soif de connaître leur passé. Le théâtre permet de le faire voir à un public très large. Il ne s’agit pas évidemment de singer le passé, mais de savoir d’où nous venons, pour mieux comprendre qui nous sommes et être mieux armés pour construire notre avenir. Si nous savons intégrer notre passé, tel qu’il a été, nous pourrons avancer. C’est pour cela que je me suis refusé à faire une caricature avec d’un côté les Noirs bons et les Blancs mauvais.

La pièce “L’esclave” a été rééditée en 2001. Ce fut un besoin et une demande... et mon ami Sulliman Issop nous a laissé un texte poétique :
"Pour mémoire pour oublier".
L’usure du souvenir. Comme l’usure du regard. L’usure du temps. Suspendu comme l’eau qui goutte à goutte. On croit entendre passer le temps. La mémoire patine. Une image date les souvenirs - comme le dos dateur de mon appareil photo - les fait resurgir, s’imposer et se prolonger. Plus de 30 ans ont passé. A est repartie. B est partie. Là-bas. Reste une seule image, intemporelle. Une plainte monte, qu’un sourd entendrait. Autre crime.

Le président de la République française, Jacques Chirac, a décidé que le 10 mai de chaque année sur tout le territoire de la République, nos enfants se souviendront des méfaits de l’esclavage. Je suis heureux de cette initiative et je m’associe pleinement.

Marc Kichenapanaïdou

*Le livre “L’Esclave” est en vente au 0262-24-87-12 ou 0262-29-94-34


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