La ’perle noire des Antilles’

18 janvier 2006

Quel est donc ce pays de rêve à qui l’on avait donné ce si beau nom ? Personne aujourd’hui n’oserait avancer qu’il s’agit d’Haïti, cet État d’Amérique centrale, situé dans la partie Ouest de l’île d’Hispaniola, limité au Nord par l’océan Atlantique, à l’Est par la République dominicaine et au Sud par la mer des Antilles. Surtout après tant d’événements tragiques qu’il a traversés au cours de son histoire. Et pour prendre les plus récents, la dictature des Duvalier, du père, le docteur François, dit Papa Doc, du fils Jean-Claude, surnommé Baby Doc, et à leur suite celle de Jean-Bertrand Aristide, l’ancien prêtre des bidonvilles, élu en décembre 1990 et qui a pris le même chemin que ses prédécesseurs, laissant après son départ forcé en 2004 « un pays toujours à la dérive et au bord du chaos social », selon les termes d’un rapport de la Fédération des Ligues des Droits de l’Homme.
Haïti, on en parlait si peu ces derniers temps qu’on l’avait presque oublié ! Mais voici qu’il revient brusquement à notre souvenir avec la mort étrange ce samedi 7 janvier du général brésilien Urano Teixera da Matta Bacellar qui commandait les troupes des Nations-unies postées dans l’île depuis la mi-2004, et avec le report des élections, présidentielle et législatives, pour la 4ème ou 5ème fois consécutive, au 7 février prochain - la raison étant, vous l’avez deviné, le climat d’insécurité qui règne en permanence dans cette île où les forces l’ordre, les criminels et les narcotrafiquants sont difficilement discernables les uns des autres !
Depuis bien longtemps déjà, l’État haïtien n’existe plus : l’unité de façade qui s’était un moment formée contre Aristide pour le chasser du pouvoir a volé en mille morceaux, et c’est le triomphe absolu de l’anarchie, du non droit et du désordre... À la tête, un gouvernement quasi impuissant, un président fantôme, un Premier ministre intérimaire pressé de passer la main. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on ne sait plus du tout qui tire les ficelles entre les 7.000 casques bleus chargés théoriquement de la sécurité, patrouillant seulement dans le centre-ville, évitant le dédale des ruelles coupe-gorge et se gardant prudemment d’intervenir, et entre les gangs armés qui ont fait main basse sur la Cité Soleil, immense bidonville où s’entassent quelque 400.000 personnes.
Ou bien, plus loin, par-delà l’océan, agissant dans l’ombre, apparemment comme de simples spectateurs, entre les États-Unis, toujours aussi méfiants devant l’afflux de réfugiés haïtiens sur leur sol, mais assurés cependant du soutien de toutes les factions locales, regroupant adversaires et anciens partisans d’Aristide ; entre la France, désireuse de jouer à nouveau son rôle dans son ancienne colonie après s’en être longtemps désintéressé, et entre les autres pays de l’Union européenne et du reste du monde... Tous, sans exception, laissant les choses s’en aller à vau-l’eau, dans une indifférence totale comme s’ils avaient intérêt à voir pourrir la situation, au grand dam de tout « un peuple aux abois dans un champ de ruines », pour reprendre l’expression d’un éditorialiste du “Matin”, qui faisait l’amer constat : « ruine des institutions qui n’épargne ni justice, ni banques, ni douanes ; désagrégation du milieu urbain ; détérioration de l’environnement... » ; auquel il faut ajouter le désastre de l’état sanitaire, la faillite de l’emploi avec un chômage qui atteint plus de la moitié de la population, la dégradation vertigineuse du niveau de vie, l’un des plus bas du monde avec les deux tiers des habitants qui vivent, ou plutôt survivent, avec moins d’1 euro par jour... sans compter l’étalement en toute impunité de la corruption et de la drogue, la généralisation de la criminalité, aboutissant selon la loi de la jungle à la négation totale de la personne humaine.
Alors la question se pose devant l’opinion internationale tout entière : comment a-t-on pu laisser Haïti sombrer à ce point ? Quelle part de responsabilité portent les grandes puissances, coupables de n’avoir rien fait pour ce pays alors qu’elles avaient et qu’elles ont toujours les moyens de le faire ? Les États-Unis ayant préféré aller chasser ailleurs, par exemple en Irak où, avec le pétrole, ils pensent avoir beaucoup plus à gagner, au risque cependant de perdre un jour la face et de s’y enliser à jamais !

Georges Benne


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