La République contre le règne des affaires

10 février 2006

Devant tous ces documents que j’avais entassés depuis des années sur divers pays du monde, avant l’arrivée de ce meuble magique au contenu sans limites qu’est l’ordinateur, j’étais toujours en quête d’un nouvel ordre de classement qui me change de l’ordre alphabétique habituel. Je cherchais donc un mot qui puisse servir au regroupement de certains dossiers, de lien entre un certain nombre d’États, une sorte de dénominateur commun ayant trait par exemple à la géographie, à l’histoire, à l’économie ou à la politique. Et finalement, je n’ai pas dû chercher bien loin puisque ce qui revenait le plus souvent, avec une régularité de métronome, c’était "corruption". Tant et si bien qu’on peut se demander aujourd’hui, s’il existe encore de par le monde un seul État qui soit totalement à l’abri de ce fléau et s’il y a un seul homme politique qui ne soit, de près ou de loin, éclaboussé par quelque scandale financier. Ceci, apparemment, devant l’indifférence quasi générale, car la corruption s’est banalisée à un point tel qu’elle ne suscite plus désormais la moindre émotion. On fait avec, comme on dit, et on voit même des hommes publics avoir des démêlés avec la justice, non seulement s’en sortir avec maestria mais reprendre tranquillement leurs activités antérieures comme si de rien n’était. Certains se payant le luxe de se faire réélire à une confortable majorité. Pour avoir une idée du développement vertigineux de la corruption en France, il suffit de lire chaque semaine “Le Canard enchaîné” qui dévoile au grand jour mille et un détails croustillants sur les affaires en cours.

Mais ne restons pas seulement en Europe, surtout pas en Italie, le berceau de la corruption depuis des siècles, pour aller faire un tour ailleurs, par exemple du côté de l’Amérique. Après le changement spectaculaire qui a secoué le Brésil en octobre 2002, amenant au pouvoir le président Lula, élu justement pour mettre un point final à la corruption qui prenait là-bas des proportions gigantesques, voilà que les médias soulèvent un nouveau scandale touchant celui-là à l’entourage de M. Lula da Silva, avec la mise en place d’un vaste système de pots-de-vin et de détournements de fonds destinés à acheter le vote des députés et à assurer le financement de la campagne électorale. J’entends déjà pour justifier l’opération : “À malin, malin et demi”. Comme si c’était la seule solution, pour arriver au pouvoir et pour le conserver : reprendre les mêmes armes qui avaient discrédité l’adversaire. Toujours est-il que si l’on s’engage dans cette voie dangereuse pour la démocratie, il faut être capable d’arrêter l’engrenage. Car la République a tout à y perdre, et en premier son âme. En lieu et place de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, devise de la République devenue une formule creuse, nous n’avons plus, selon le raccourci saisissant de Jean Cardonnel qui résume très exactement la situation présente, que ces trois points : 1. Ma vie privée ne regarde personne ; 2. Les affaires sont les affaires ; 3. Ne faisons pas de politique, c’est-à-dire n’en faisons pas une autre que celle des affaires... Mais, j’y songe, quelqu’un l’a dit, il y a deux mille ans, en une formule encore plus lapidaire : On ne peut servir à la fois deux maîtres : Dieu et l’argent. En termes laïques : la République et la corruption.

Georges Benne,
avec la collaboration de Jean Cardonnel


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