Le bouc émissaire

7 juin 2006

À l’origine, c’était l’un des deux boucs que le sort avait désignés pour être envoyés au désert, emportant sur son dos tous les péchés des fils d’Israël. Par la suite, c’est la personne sur laquelle on fait retomber les fautes des autres. Jamais exemple n’est plus parlant que celui du professeur Pierre Pellerin, âgé aujourd’hui de 83 ans, ancien chef du service central de Protection contre les rayonnements ionisants, accusé d’avoir menti sur les risques encourus par les Français après le passage du nuage radioactif de Tchernobyl il y a 20 ans. Devant le nombre croissant de protestations venues en particulier de la part des victimes contaminées et de leurs proches, qui estiment avoir été grossièrement trompés et réclament réparation et condamnation même tardives, il fallait trouver un responsable, mais en dehors de ceux qu’on appelle improprement les responsables officiels, chef d’État et ministres en tête. Et comme pour la peste dans la fable de La Fontaine, "ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal", ne pouvait être que celui qui, en 1986, un mois à peine après l’explosion, avait osé dire dans une conférence de presse la plus officielle : "Il s’agit d’une radioactivité qui est mesurable, mais qui ne présente aucun inconvénient sur le plan de la santé publique". Et avait même ajouté dans une folle imprudence : "Cela ne menace personne actuellement, sauf peut-être dans le voisinage immédiat de l’usine, et encore, c’est surtout dans l’usine que je pense que les Russes ont admis qu’il y avait des personnes lésées". Comment a-t-il pu commettre une telle erreur d’appréciation, qui le fait comparaître 20 ans après devant la justice de son pays ? L’explication en est toute simple, et c’est le journal "Le Monde" du vendredi 2 juin qui nous la donne : "Le but n’était pas alors d’informer le public, mais d’éviter un retournement de l’opinion, acquise jusque-là au nucléaire, alors que la France était en pleine phase de construction de ses centrales". Avec cette précision qui nous éclaire sur les mécanismes implacables du pouvoir : "Au moment même où, dans ce qui était encore l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev s’efforçait à une certaine transparence, le lobby nucléaire français faisait exactement le contraire". Les téléspectateurs qui ont le pu voir, se déplaçant avec peine sur sa canne vers le Palais de justice de Paris, ne peuvent pas se sentir malgré de tout un peu troublés voire bouleversés en pensant à ce vieil homme à qui l’on a fait porter tout seul cette lourde charge.

Georges Benne


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