Le carnaval de Bruxelles

29 mars 2005

(Page 8)

Communiqué officiel du conseil européen du 24 mars 2005 :
"La directive ne sera pas retirée. C’est la seule Commission qui pourrait le faire. Le Conseil européen n’a pas le droit de donner des injonctions de ce type à la Commission européenne. Si la directive était retirée, nous donnerions l’impression que l’ouverture des services aurait disparu de l’agenda européen. Elle doit rester sur l’agenda européen puisque la stratégie de Lisbonne qui parle de croissance, d’emploi, de compétitivité, implique que nous ouvrions le marché des services".
À propos de la Directive Bolkestein et des trompettes médiatiques qui viennent de claironner son retrait, trompettes relayées aux gré des ondes radio et TV par l’ensemble de la classe politique fervente du “oui” au Projet de Constitution européenne, il convient de relire le communiqué officiel du Conseil européen du 24 mars 2005.
"La directive ne sera pas retirée". Voici un préambule qui a le mérite d’être clair.
"Le Conseil européen n’a pas le droit de donner des injonctions de ce type à la Commission européenne." Voilà qui nous renseigne sans détour sur la réalité des pouvoirs dans l’Union européenne entre organes démocratiques (Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement) et organes non élus (Commission notamment).
"Si la directive était retirée, nous donnerions l’impression que l’ouverture des services aurait disparu de l’agenda européen. Elle doit rester sur l’agenda européen puisque la stratégie de Lisbonne qui parle de croissance, d’emploi, de compétitivité implique que nous ouvrions le marché des services". C’est donc bien en application de l’agenda de Lisbonne fixé par le même Conseil européen - Chirac compris - que la directive Bolkestein, ou affublée d’un autre nom, sera effectivement maintenue.

Cette proposition de directive concernera tous les Français, puisque les emplois de service représentent 70% du marché de l’emploi en France. La Commission a dénombré plus de cinq mille métiers touchés, qui vont des professions commerciales aux professions artisanales, comme charpentier ou plombier, des professions de la construction à celles de la distribution, des professions du tourisme à celles des transports, des activités de santé et de couverture sociale au service de l’environnement, des cabinets d’architectes et d’urbanisme aux activités culturelles, des agences de recrutement aux professionnels de l’immobilier, etc.
À ces emplois, il convient d’ajouter toutes les autres activités économiques, y compris industrielles et agricoles, par le biais des agences de travail intérimaire.
La directive autorisera l’embauche des intérimaires pour 18 mois maximum.
Déjà, on a vu en Suède une école construite par des ouvriers lettons, rémunérés aux salaires en vigueur en Lettonie (moins de 30% du salaire moyen d’un ouvrier suédois) ; en Allemagne un orchestre symphonique utiliser des musiciens tchèques rémunérés 30 euros par jour en liquide, etc.
Quel rapport, dira-t-on, cette directive sur les services entretient-elle avec le Projet de Constitution, puisque l’on nous rabâche les oreilles que l’amalgame est insoutenable ?

Relisons le texte du Projet :
Art.1-3 alinéa 2 : "L’Union se fixe pour objectif un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée".
Art.1-4 : "considère comme libertés fondamentales" : "la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement... garanties par l’Union..."
Frits Bolkestein est parti du principe que 70% de l’activité économique de l’Union échappait au marché. Ce sont ces 70% qui constituent les services, et le texte du Projet est suffisamment explicite pour ce qui les concerne : ils ne sauraient échapper à l’usage des "libertés fondamentales".
C’est au nom de cet objectif affirmé que Bolkestein propose de lever tous les obstacles qui entravent ces "libertés". Quels sont-ils ? Les services publics, les monopoles de Sécurité sociale, les droits du travail nationaux, la protection des usagers et des consommateurs, etc.

Art.III-137 : "les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre sont interdites".
La directive Bolkestein en a tiré la conséquence naturelle avec le principe d’exportation du droit du pays d’origine, qui a fait hurler récemment nos parlementaires puis nos sénateurs puis notre président. Mais il ne s’agit que de l’application d’un principe présent dans le texte du Projet.
Art.III-144 : "les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation".
Faut-il entendre qu’il sera ainsi impossible, par exemple, d’imposer aux officines pharmaceutiques venant d’un autre pays de l’Union, des normes d’implantation en fonction de la population ou de la distance géographique minimum entre prestataires ? Faut-il entendre qu’il sera impossible, par exemple, d’imposer à des entreprises de construction polonaises ou baltes le respect des conventions collectives ou du droit du travail du pays destinataire ? Faut-il entendre qu’il sera impossible, par exemple, d’imposer à une entreprise de construction slovaque ou lettone le respect des règles de sécurité pour les échafaudages, pour les chantiers de désamiantage, de respecter le système de Sécurité sociale du pays hôte, etc.

Art.III-145 : "Aux fins de la Constitution, sont considérés comme services les prestations fournies normalement contre rémunération"
.
Combinée à l’absence de définition des services publics et aux restrictions apportées aux services d’intérêt économique général, au nom de la concurrence "libre et non faussée", ne seront exclus que les services dépendants des fonctions régaliennes de l’État, la police, la justice (hors honoraires d’avocats par exemple) et l’armée. Tous les services publics seront donc livrés à la concurrence, et à la concurrence du marché européen, de l’enseignement à l’hôpital.
Les modalités d’application sont même précisées par le texte lorsqu’il est dit :
Art.III-147 : "La loi-cadre européenne établit les mesures pour réaliser la libéralisation d’un service déterminé".
Et Art.III-148 : "Les États membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre européenne."
Les États sont ainsi encouragés par la Constitution à aller au-delà des lois européennes en matière de libéralisation des services !
Enfin, cerise sur le gâteau, Art.III-209 : "Le fonctionnement du marché favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux".
Ce qui était, stricto sensu, le sens explicite de la directive Bolkestein.

Les deux textes, la directive Bolkestein et le Projet de Constitution, disent exactement la même chose, parce qu’ils sont de la même inspiration et qu’ils sont du même esprit. Tous deux ont été approuvés à moins de trois mois d’intervalle, le premier en mars 2004, le second en juin 2004, par le même Conseil européen des Chefs d’États et de Gouvernement.
À quoi donc sert cette gesticulation des forces du “oui” en France à propos de la Directive Bolkestein ? À quoi sert cette gesticulation au moment précis où deux sondages d’opinion donnent le “non” gagnant ? À l’évidence à lâcher du lest pour sauver le référendum.
Mais nous avons compris une chose : seul le “non” permettra de réécrire un Traité qui entende le message des peuples d’Europe qui veulent sauver un modèle démocratique et un modèle économique et social conformes à leurs aspirations, à leurs exigences d’hommes et de citoyens, conformément à l’histoire de l’Europe.

Dominique Herrbach


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