Le courrier des lecteurs du 01 octobre 2005

1er octobre 2005

Responsables du déficit commercial, les transferts stimulent la demande
et donc la production et l’emploi

Pour expliquer l’apparition du déficit de notre balance commerciale à partir des années cinquante, il en est qui disent : "Le passage du statut colonial au statut de département a généré une demande considérable, à laquelle la production n’a pas que faire face."

Cette phrase appelle quelques remarques :
1) Le passage d’un statut à un autre n’entraîne pas forcément une demande de consommation. Une telle augmentation ne se produit que si le changement statutaire s’accompagne de transferts financiers. Ce sont les revenus de transferts qui, s’ajoutant aux revenus générés par l’activité économique, provoquent le gonflement de la demande de consommation.
2) Dans le cas de La Réunion, il faut savoir que si la Loi de départementalisation a été votée le 19 mars 1946, elle n’est entrée en application que le 15 août 1947. Même alors ! "on procéda avec une extrême lenteur", écrit Schérer (1) qui poursuit : "Certains services départementaux ne furent établis à La Réunion que dix plus tard...Il y eut dans les premières années de la départementalisation beaucoup de temps perdu."
Lenteur et parcimonie se lisent clairement sur la courbe des transferts publics :


Que constate-t-on ? de 1950 à 1956 les transferts ont augmenté lentement ; puis de 1956 à 1959 ils ont baissé ; enfin ils ont augmenté impétueusement à partir de 1960, au lendemain du Congrès constitutif du PCR, en réponse à la revendication d’autonomie. En 1960 les transferts ont augmenté de 278 % par rapport à 1959 ! Après quoi ils n’ont plus cessé d’augmenter. À l’évidence, et paradoxalement, c’est la revendication d’autonomie qui a brusquement débloqué le processus grippé de la départementalisation !
3) Il est fallacieux de dire que la production locale n’a pas pu faire face à la demande. S’il n’y avait pas eu de transferts, la production aurait pu tout naturellement faire face à la demande générée par l’activité économique. Ce qu’elle ne pouvait pas satisfaire, c’est la demande supplémentaire, d’origine extérieure, n’avait pas d’autre choix que de se porter vers des biens et services extérieurs, à savoir les importations. D’où le déficit commercial qui s’ensuivit.

Croissance et création d’emplois

Mais le déficit commercial présente-t-il un inconvénient ? Oui, prétendent certains qui expliquent : "Ce déficit extérieur correspond à un manque à gagner en matière de production et par conséquent d’emploi."
C’est là une vue de l’esprit, que ne confirment pas les statistiques de l’INSEE. C’est précisément à partir de 1960, c’est-à-dire depuis que les transferts publics ont commencé d’affluer de façon significative, que notre pays a opéré son démarrage économique et que la population active occupée a commencé son ascension.
La raison en est évidente. Les transferts publics s’ajoutant aux revenus d’activité, gonflent la demande de consommation des ménages. Or la demande de consommation, dans tous les pays du monde, stimule la production. Et la production crée des emplois.

Daniel Lallemand

(1) André Chérer, Histoire de La Réunion 1965.


L’alibi de la croissance

Tous les membres du gouvernement, ministre de l’Économie et des Finances en tête, sans oublier le Président de la République, ont tous apparemment les yeux fixés sur le sacro-saint taux de croissance, comme le malade qui a la fièvre sur le thermomètre, et ils réussissent jusque-là, à endormir l’opinion avec cette notion de croissance. D’autant plus que l’équation : croissance = progrès = développement = bonheur pour tous, est solidement ancrée chez la plupart.
Seulement voilà, la réalité étant la plus forte, les yeux peu à peu s’ouvrent, on perd une à une ses illusions et l’on découvre avec effarement que la croissance économique n’a de sens que si elle est équitablement répartie. Ce qui est loin d’être le cas.
L’exemple historique le plus éclairant nous est fourni par les pays asiatiques surnommés naguère “bébés tigres” ou “dragons” comme l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande... qui, à la suite du Japon, ont connu dans les années 1980 un taux de croissance vertigineux. Lequel n’a été en réalité qu’un feu de paille dont le peuple n’a pas fini de payer toutes les conséquences. Car le bel édifice, construit artificiellement au prix de lourds sacrifices payés évidemment en premier par les plus pauvres, dont la perte de ses dernières libertés, s’est effondré brutalement comme un château de cartes et la crise s’est de nouveau installée dans ces pays, plus meurtrière que jamais. Désormais tout est remis en cause et il faut changer de vocabulaire, car croissance ne rime plus avec développement. Ce dernier mot lui-même semble galvaudé, on n’ose plus l’employer seul et il se fait accompagner d’un complément ou d’un adjectif comme "durable", qui devient à son tour suspect devant l’état d’injustice structurelle de notre monde.
Il faut donc trouver autre chose que la croissance et le développement, qui corresponde le mieux aux aspirations de l’humanité. Et si c’était la culture ? Et si c’était la création, la croissance ou le développement, au sens où les maîtres du monde l’entendent aujourd’hui, étant la caricature de la création ?

Georges Benne


Le double tranchant du progrès

Jusqu’à preuve du contraire, il reste raisonnable d’admettre que la pratique de la pêche du requin à la Réunion n’existait pas encore sous l’esclavage et plus tard sous l’engagement. Tous regardaient la montagne de préférence à la mer ! Trop d’assiduité et de travail dans les champs de canne et autour des usines...
À ma connaissance, aux environs de mil neuf cent quarante-six et après, sur une longue période encore, cette pratique des chiens et des chats hameçonnés, réprouvée à juste raison, n’existait pas ; peut-être alors isolément et honteusement. En tout état de cause, elle n’était pas "une pratique courante". En outre, la population, même encore très pauvre, ne salivait pas déjà pour la "répugnante" chair de requin à la réputation de mangeur d’homme. À pouvoir choisir, elle aurait sûrement préféré le thon ; mais à l’époque il y avait encore de fructueuses pêches de "bichiques la rose", sans compter ces mêmes alevins séchés, vendus à la mesure (moque) ou au kilo dans les boutiques.
Ah, ces courageux et laborieux pêcheurs partis très tôt, de retour le plus souvent entre midi et treize heures, parfois après une nuit en mer !... Leurs frêles canots en bois, sans voile ni moteur, usés aux points de frottement des rames, ne contenaient pas toujours beaucoup de poissons. Parfois un thon de taille raisonnable hissé avec peine. Exceptionnellement un innocent petit requin. Dans ces barques, il y avait une modeste provision de galets ronds et ovales servant à dévier la curiosité du prédateur, à détourner son attention.
Dans une certaine mesure, il n’est pas absurde d’admettre que c’est le progrès ou plus exactement les usages que l’homme en fait à un moment donné qui fixent ici la gravité d’un jugement. Hier, les pêcheurs éloignaient les requins, car ils mangeaient les poissons pris à l’hameçon ; aujourd’hui, allez savoir pourquoi certains se complaisent dans de mauvaises mœurs, gardant en eux cette animalité qu’ils finiront par perdre à force de monstruosités...
Puisque notre île était déserte à l’origine et que notre Histoire est récente, quand donc est apparue cette dégénérescence qui s’exprime à faire horriblement souffrir un animal pour capturer un requin ? Pourquoi la responsabilité individuelle semble-t-elle se perdre "dans le cloaque de l’irresponsabilité collective" ? "Dites du mal de quelqu’un, il en restera toujours quelque chose", assurait Voltaire, réfugié à Ferney, à la frontière Suisse, cultivant "son jardin". Alors, s’il dit vrai, attention : ne généralisons pas, ne jouons pas avec certains syllogismes et soignons notre tourisme, cette richesse qui nous sera tellement nécessaire...

Joseph Mondon,
Les Avirons


Revue d’effectif

Janvier dernier, Saint-François : un petit caïd qui faisait la loi et semait la terreur est massacré à coups de sabres par les jeunes du quartier. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi les forces de l’ordre ne se sont pas préoccupées de la situation qui pourrissait depuis des mois et des mois ? Tout simplement parce que la gendarmerie de Saint-François a été fermée et que depuis il n’existe pas de forces de police à demeure sur le quartier.
On pourrait citer des exemples analogues un peu partout dans l’île. Les forces de l’ordre manque cruellement d’effectif. Les jeunes auxiliaires dont elles avaient été pourvues sont en voie de disparition.
Même chose dans les services de prévention, d’animation, d’éducation, dans les associations : les emplois-jeunes, les contrats aidés, les subventions disparaissent.
C’est bien beau de parader devant les micros, de promettre monts et merveilles, mais on ne peut pas la faire au gens qui sont confrontés à la réalité du terrain : tout ceci n’est que poudre aux yeux, promesses électorales et billevesées. On étrangle le service public et parapublic, et celui-là même qui prétend le défendre en est le plus grand étrangleur.

Jean-Pierre Espéret


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