Le courrier des lecteurs du 03 juin 2005

3 juin 2005

(page 10)

Les vaincus du référendum

Contrairement à ce qui se dit partout, le grand vaincu de ce scrutin n’est pas Jacques Chirac, car il garde l’essentiel, à savoir le pouvoir.
Sa réaction a d’ailleurs été à la hauteur du personnage ; il nous avait promis une nouvelle impulsion, il a choisi M. Galouzeau de Villepin, grand spécialiste des questions sociales, c’est bien connu. Il devait choisir entre le modèle français et le modèle anglo-saxon, et il met en place un tandem Villepin-Sarkozy, où l’hétéroclite le dispute à l’improbable.
Pour en revenir aux choses sérieuses, les vrais vaincus du référendum sont en premier lieu les médias écrits et audiovisuels qui sortent grands perdants de cette consultation. En dépit de leur bombardement intensif, général, et continu en faveur du “oui”, le “non” a remporté une victoire historique. En revanche, les moyens d’informations modernes comme Internet, le courrier électronique etc., ont supplanté efficacement les médias aux ordres. À mon avis, ce n’est qu’un début.
Ensuite, l’ensemble des partis politiques, à droite et à gauche, touchent du doigt aujourd’hui leur déconnexion totale avec les Français. C’est notamment le cas à La Réunion. En effet, alors que la plupart des autres DOM-TOM continuent d’aller, imperturbables, à la soupe, La Réunion se distingue, encore une fois, en tapant sur la table encore plus fort que la Métropole.
Cela ne doit pas nous surprendre. L’ampleur des mouvements sociaux de 2003 dans ce département ne s’explique, à mon sens, que par le rejet massif, déjà, de la mondialisation, de l’AGCS, de l’OMC, et de l’Europe néo, voire ultra-libérale.
Un autre vaincu, qu’il ne faudrait pas oublier, c’est Nicolas Sarkozy. En effet, si le rejet du référendum s’explique par le rejet du néo-libéralisme, alors Sarkozy, libéral dur et sans complexe, à côté duquel Chirac peut faire figure de bolchevik, n’aura aucune chance en 2007 !
La grande perdante également de ce scrutin c’est enfin la France d’en-haut, qui vient de se faire botter le cul par la France d’en-bas.
Après la gifle historique des élections régionales, après celle des européennes, la France, son président et ses "élites" ne veulent toujours pas comprendre le message des citoyens. Au contraire ils estiment, haut et fort, que la victoire du “non” c’est celle du "populisme", celle des Français les moins éduqués, des cons quoi ! Alors que les "élites", elles, ont évidemment tout compris...
Lorsque dans une démocratie le bulletin de vote ne sert plus à rien, lorsque le fossé se creuse ainsi entre la classe dirigeante et les citoyens, lorsque le populaire devient populiste, il y a tout à craindre pour l’avenir ! Et ceux qui gouvernent contre l’évidence seront, un jour ou l’autre, condamnés par l’Histoire.

Guy Déridet


Il faut modifier la Constitution... française

On a beaucoup débattu ces temps derniers sur le projet de Constitution européenne, sans jamais remettre en cause notre propre Constitution qui date de 1958 et qui recèle quelques graves défauts en dépit des modifications successives dont elle a bénéficié. En effet, ce qui vient de se passer depuis quelques jours amène à s’interroger sur l’article 8 qui précise que "le président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions". Autrement dit, le président a une liberté totale pour choisir le Premier ministre et les membres du gouvernement. La Constitution ne précise même pas, que ces gouvernants doivent être de nationalité française et jouir de leurs droits civiques : Chirac aurait très bien pu nommer Juppé ou Ben Laden comme Premier ministre : rien ne s’y oppose d’un point de vue constitutionnel.
Du coup, Galouzeau de Villepin, bien que n’ayant jamais été élu par quiconque, se retrouve Premier ministre après avoir été ministre tout court ; depuis 1958, Georges Pompidou et Raymond Barre avaient aussi été dans ce cas sans que personne n’y trouve à redire. Or, l’article 3 de la même Constitution précise que "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice". Alors, vous m’excuserez, je ne suis pas juriste, mais en tant que citoyen, j’y vois une contradiction. Il me semble bien qu’un individu, le président, s’attribue l’exercice de la souveraineté nationale lorsqu’il choisit les membres de son gouvernement tout seul dans son coin, de façon régalienne et monarchique. À ce que je sache, le nommé Galouzeau de Villepin n’est pas un "représentant" du peuple... et il n’a pas été désigné par référendum ! Il ne devrait donc pas pouvoir exercer le pouvoir de nous gouverner...
Un minimum me semblerait être d’exiger que le Premier ministre et chacun des membres du gouvernement soient un électeur français jouissant de ses droits civiques. La Constitution pourrait aussi mieux encadrer et limiter l’arbitraire du président, véritable monarque républicain. Ainsi, à la suite de la consultation qui vient d’avoir lieu, il est tout à fait surprenant de changer de Premier ministre au prétexte que les électeurs ont voté “non”. Pourtant, les partisans du “oui”, président de la République y compris, nous avaient longuement seriné que la question référendaire portait sur le Traité constitutionnel et rien d’autre. Le résultat est là : les Français ont bien compris et refusent ce traité. Conclusion surréaliste du président : on change de Premier ministre, ce qui relève de la stricte politique intérieure et n’a rien à voir avec la traité.
Pire, au lieu de choisir un gouvernement parmi les partisans du “non” de son "camp" (il y en a beaucoup, et pas des moins compétents), eh bien, non, il fait un gigantesque bras d’honneur au peuple en confiant le gouvernement de la France à ceux qui ont prôné le “oui” au traité. De même, rien, dans la Constitution, n’oblige le président à choisir un gouvernement parmi les vainqueurs des élections législatives ; certes, cela s’est fait jusqu’à présent en donnant lieu à quelques "cohabitations" mais d’un pur point de vue juridique, les présidents n’y étaient pas contraints. Quand on voit ce qui se passe actuellement, on se dit qu’il est temps de limiter un peu le pouvoir monarchique de la désignation des gouvernements.
Une bonne révision de la Constitution - à étudier par des juristes compétents - devrait empêcher cette possibilité de violation de la souveraineté du peuple par le président en exercice.

Charles Durand,
Le Brûlé (Saint-Denis)


"Une étincelle d’espérance en Europe"

Chaque citoyen français a eu la possibilité de se prononcer sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe ; nous en connaissons le résultat.
Selon les dires du président de la République, la France est devenue "le mouton noir de l’Europe". Il affirme qu’il aura de grandes difficultés à faire entendre la voix des Français en Conseil européen dorénavant. Il est vrai que son attitude partisane pour le “oui” a subi un revers sérieux. En sortant de son rôle de représentant suprême de tous les Français, tout au moins de la majorité qui l’avait élu ; il s’est disqualifié.
Les coups de semonce électoraux de 2002, de 2004 n’ont aucunement fait fléchir la gestion gouvernementale de la Nation. Les citoyens ont de nouveau sanctionné leurs représentants qui, depuis des décennies, sont coupés des difficultés quotidiennes que vit le peuple de France. L’expression de la démocratie directe (le référendum) permet aux peuples la révolution par la voix des urnes.
La majorité des gouvernants en Europe ne peuvent être qualifiés de démocrates, car en refusant le référendum, ils se passent de la ratification du Traité constitutionnel européen (TCE) par leurs citoyens. La réquisition de la volonté souveraine des peuples, interdit le débat qui éclaire tant soit peu les intentions réelles et cachées du TCE. Pourtant ce texte élaboré sous la présidence de l’immortel Valéry Giscard d’Estaing, par une poignée des personnalités non représentatives, exécuté en 18 mois, oblige sa ratification par deux moyens cumulatifs.
En effet, l’article I-1 stipule : "Inspirée par la volonté des citoyens et des États d’Europe de bâtir leur avenir commun, la présente Constitution établit l’Union européenne, à laquelle les États-membres attribuent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs".
Chose exceptionnelle dans ce roman-fleuve, la limpidité de cette première phrase n’est remise en cause nulle part ailleurs. Elle implique, pour que ce TCE prenne effet de plein droit, la volonté des citoyens et des États-membres. Chacun d’entre nous sait à l’heure où j’écris ces lignes ; nombreuses sont les Nations qui ne remplissent pas la première condition. D’aucuns objecteront que leur Constitution nationale ne prévoit pas la possibilité de recourir au référendum. L’objection n’est pas recevable car le droit européen est une norme juridique supérieure au droit interne ; principe réaffirmé à l’article I-6 du TCE qui stipule : "La Constitution et le droit adopté par les institutions de l’Union dans l’exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États-membres".
En s’abstenant d’appliquer le droit dont ils sont maîtres d’œuvre et d’ouvrage, de nombreux gouvernants d’Europe nous montrent clairement que la volonté de leurs citoyens n’est pas leur préoccupation. Ce qui est inquiétant pour l’avenir de l’Europe.
La ratification par référendum n’a été qu’une juste appréciation du texte du TCE par Jacques Chirac. Sur ce plan-là, au moins, il a fait preuve d’honnêteté.
Les Français, en se prononçant aussi massivement, ont confirmé ce que Marx disait : "La France est la nation politique par excellence".
En rejetant le TCE, les citoyens français consciemment ou intuitivement ont défait provisoirement les puissances occultes qui agissent par l’intermédiaire de leurs valets et serviteurs zélés.
Les Français ont fait naître une étincelle d’espérance en Europe ; pourront-ils et sauront-ils faire revenir les lumières lors des prochaines échéances ?

Jacques Zéphir,
président d’honneur du Mouvement Alternatif Réunion


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