Le courrier des lecteurs du 03 mai 2005

3 mai 2005

(page 10)

Le Thaïlandais... qui cache la forêt

On a fait grand bruit sur la venue d’ouvriers thaïlandais au Gol. Tout le monde, en même temps et dans un bel ensemble, est monté sur le pont pour défendre l’emploi... des Réunionnais ! Le préfet et ses services, le sous-préfet, les maires du Sud, des politiques, des associations et même des syndicats ! On se serait presque cru en... 1788 !
Maintenant que les choses semblent s’être calmées (?), on peut tranquillement parler. Sans soulever les passions, ni susciter des accès irrépressibles de démagogie aiguë. Du moins, peut-on l’espérer.
Il est d’abord un point qu’il faut préciser, c’est celui des salaires annoncés de ces ouvriers. 200 euros, 300 euros par mois : c’est faux. Que cela ait été écrit ici ou là, y compris sur le contrat d’embauche ou sur la demande de visas, cela ne change rien au problème. Ailleurs qu’en France cela est possible et donc à La Réunion non !
Car jusqu’à preuve du contraire, dans ce domaine, ce sont les lois et règles applicables en France qui, tout naturellement, s’appliquent ici. Y compris en matière de salaire. Autrement, il n’y aurait pas cette fameuse directive Bolkestein. Donc, répéter à satiété ces chiffres ne change rien au problème : la première fois, cela peut se comprendre, ensuite, cela devient un mensonge.

Il y a cependant un petit problème, qui ne tient ni aux Italiens, et encore moins aux Thaïlandais, il s’agit de l’article 16 de la loi Perben de 1994. Traduit dans le Code du travail, à l’article L132-5, il stipule que "Les conventions et accords collectifs de travail dont le champ d’application est national précisent si celui-ci comprend les départements d’Outre-mer".
Cela veut dire, en clair, que si la convention collective nationale qui couvre l’activité de ces soudeurs ne précise pas qu’elle est applicable à La Réunion, ces soudeurs thaïlandais ne bénéficieront pas, par exemple, des mêmes salaires qu’en France. Les Réunionnais non plus d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, ces salariés, dans tous les cas de figure, doivent être payés au moins au SMIC, bénéficier des 35 heures. (1)

De ce point de vue, ceux qui s’en prennent, selon l’occasion, aux Mahorais, aux Comoriens, aux Malgaches, aux Indiens et aujourd’hui aux Thaïlandais feraient mieux de se battre pour la stricte application de la loi et du droit français aux travailleurs de La Réunion. Et, bien-sûr, à ces salariés étrangers. Cela ne serait que justice.
Mais par ailleurs, quel intérêt aurait une entreprise à faire venir des gens du Kamchatka si elle doit les payer au même salaire que des travailleurs réunionnais ? Avec en plus le voyage, plus le séjour, etc ?... L’entreprise n’est pas là pour faire des cadeaux aux salariés, quels qu’ils soient et quelle que soit leur nationalité.
Reste que si telle ou telle disposition législative ou réglementaire crée une inégalité de traitement, incompatible d’ailleurs avec les principes constitutionnels - et c’est le cas de l’article 16 de la loi Perben - il faut en demander l’abrogation. Et là, élus, parlementaires, administration préfectorale notamment ont du grain à moudre.

Cela nous conduit à l’intervention préfectorale : on aimerait que le préfet et ses services interviennent aussi vigoureusement dès qu’il s’agit de l’emploi d’une manière générale et tout particulièrement lorsqu’il s’agit de l’application du droit du travail.
Les salariés, tous les salariés, lui en sauraient gré. Il pourrait, profitant de l’élan, demander un renforcement des moyens de l’inspection du travail que tous les syndicats - et parfois même les patrons - réclament à cor et à cri depuis fort longtemps. Et ce, d’autant que le contrôle de l’application de la législation du travail relève de la seule compétence de l’inspecteur du travail et non du préfet.
Dans le cas précis, la compétence du préfet - et elle est importante - concerne la délivrance des visas d’entrée et de séjour. De deux choses l’une : ou bien les dispositions législatives et réglementaires ont été respectées, alors il accorde sans problème les visas. Dans le cas contraire, il refuse les visas, car, agir autrement, aurait abouti à se faire complice du patron exploiteur. On ne peut imaginer une telle attitude de la part de l’administration préfectorale. Il n’est donc nul besoin d’invoquer l’emploi des Réunionnais, les risques de "tensions sociales", pas plus d’ailleurs que le risque d’éruption volcanique.

Reste le problème de l’embauche de la main-d’œuvre locale. Que tout le monde veuille, aujourd’hui, mettre en application le mot d’ordre "donne Créole travail", on ne peut qu’approuver la démarche, bien que tardive... Mais cela doit se faire sans aucun aveuglement et en se gardant de toute forme de xénophobie.
On a annoncé, ici et là, la venue de 120 salariés durant les 6 mois que durera le chantier. Il ne peut s’agir, tout au plus, que d’une trentaine à une quarantaine, les autres étant des assistants. De plus, les 120 emplois ne peuvent être occupés du premier jour jusqu’au dernier jour du 6ème mois. Il y aura immanquablement une montée en charge : une vingtaine à une trentaine au tout début, puis davantage, et la totalité à un moment, dans le milieu, et puis le nombre diminuera.
Concernant donc la trentaine ou quarantaine de soudeurs dans tout cela : On a dit, on a laissé dire, "i faut pas déconner don, na pu créole i gagne souder" ; "souder lé pas sorcier" ou encore "il suffit d’former".
Que tout un chacun, le citoyen lambda en particulier, puisse le dire, cela se comprend : il n’a pas l’information et ne sait pas de quoi il s’agit précisément. Mais comment des responsables - élus ou administratifs de haut niveau - peuvent-ils le dire, le répéter sans se poser de questions ou laisser faire ? Ils ne peuvent prétendre être ignorants du problème : ils sont à des postes où les informations, toutes les informations sont à leur disposition.

Or, chacun sait que le travail de ces soudeurs requiert des compétences particulières et pointues, définies par le cahier des charges en vue de la construction de cette usine. Ils savent donc qu’il ne s’agit pas là de souder un arrosoir ou un tuyau d’l’eau, ou même un barreau ou une clôture, mais de le faire sur des tuyauteries dans lesquelles vont circuler de l’eau ou des gaz à très haute pression.
Le seul organisme qui forme des soudeurs de cette qualification, c’est l’AFPAR. Ils doivent y suivre un stage de soudage à l’arc avec des baguettes particulières et des procédures spéciales faisant référence à une technique de pointe. Il est de longue durée : un millier d’heures sur 6 à 8 mois. Il ne peut concerner qu’une dizaine à une douzaine de stagiaires, divisée en deux groupes de 5 ou 6 parce qu’il n’y a que 6 postes de travail, tant l’investissement est élevé. Le coût de la formation, tout confondu, tourne autour de 20 à 25.000 euros par stagiaire, compte non tenu de la rémunération.
"La bonne affaire" serait-on tenté de dire. Puisque l’AFPAR en forme, il faut le faire... À cela, deux problèmes.

Le premier, c’est que "victimes" de leur succès et de leurs compétences acquises, ces ouvriers n’ont pas de problème d’embauche à l’issue de leur stage. Soit ils sont embauchés ici même, notamment sur les chantiers d’adduction d’eau, soit à l’extérieur dans des entreprises spécialisées.
Le deuxième, c’est que du fait même de leurs spécialité et spécialisation - on parle ici souvent, à tout bout de champ, d’excellence, là, c’en est une - et d’autre part, de l’exiguïté de ce marché spécifique, ils deviennent bien souvent des "nomades" hautement qualifiés et relativement bien rémunérés. Leur cas n’est pas unique, il est identique pour les grutiers que forme l’AFPAR et que l’on a retrouvés sur le chantier du Stade de France, ou que l’on retrouve d’une manière générale chez de grandes entreprises du BTP qui opèrent dans le monde.
Il est donc peu probable que ceux qui ont été formés par l’AFPAR se trouvent, aujourd’hui, à La Réunion, à pointer au chômage. Cinq stagiaires sortiront de stage d’ici quelques semaines : ils sont déjà retenus !

À cela s’ajoute un autre problème que ces responsables ne peuvent ignorer : même cette formation dispensée par l’AFPAR ne correspond pas à ce qui est exigé par le cahier des charges du chantier du Gol ! Cela s’est aussi vu, à l’époque, sur le chantier de Bois-Rouge. Il faudrait y ajouter un complément de formation de l’ordre de 300 cents heures pour que les soudeurs répondent aux normes exigées.
Trois cents heures c’est quelque 4 mois supplémentaires, si le stage était immédiatement disponible, et un coût supplémentaire de l’ordre de 5.000 euros par stagiaire, peut-être même un peu plus. Il ne s’est pas trouvé beaucoup de monde lors de la construction de Bois-Rouge pour mettre la main à la poche. S’en trouverait-il, aujourd’hui, qui voudrait le faire et se mettre en cohérence avec leur souci affiché de donner de l’emploi aux Réunionnais ?
Reste le problème des assistants de ces soudeurs. Alors là oui, ce peut être une opportunité. Encore que ces assistants devront pouvoir bénéficier d’une formation pour être opérationnels, et que se posera très probablement un problème de communication au sein des équipes.
Voilà quelques éléments de cette affaire qui doivent être dits. Les maires du Sud, ceux de la CIVIS (2) , le préfet, le sous-préfet, l’administration préfectorale, tous les autres... qui sont "montés au créneau" ne pouvaient les ignorer.

Reste alors une question, celle des engagements pris par la compagnie thermique du Gol dans la lettre de son directeur général au préfet. Il y est dit que la société Ansaldo "renonce à son intention d’utiliser sur ce chantier, directement ou via des sous-traitants, des personnels autres que réunionnais ou nationaux d’un pays membre de l’Union européenne".
"Réunionnais ou nationaux d’un pays membre de l’UE" : comme on sait que sur place, on ne risque pas de trouver grand’chose, c’est vers "les nationaux de l’UE" que l’on se tournera : les Allemands, les Polonais, les Italiens, les Portugais... C’est pour eux que l’on se serait battu ici !
Voilà la conséquence. À moins que, derrière tout ce tintamarre, ce soit le but recherché. La question mérite d’être posée, car, pousser des Réunionnais à "occupe" les Thaïlandais, ou les Comoriens, les Malgaches, cela arrange bien les affaires de certains.

En tout cas, ces ouvriers Thaïlandais, une fois rentrés chez eux et apprenant ce qui s’est passé après leur départ, se demanderont dans quel pays ils sont tombés.
... "Et les ouvriers portugais du Port ?", dira-t-on. Bonne question qu’il n’est pas possible de traiter présentement. Cela ferait trop long. Et puis, il faudrait un autre titre : "Un retour de pavé" par exemple ou, mieux, "L’erreur n’existe pas". Si les journaux m’accordent leur hospitalité, je consacrerai bien évidemment un second article à cette affaire.

Georges-Marie Lépinay

(1) Cet article de la loi Perben fait d’ailleurs obstacle à la mise en application à La Réunion des Contrats de professionnalisations.
(2) Le président de cet organisme pourrait, pour le moins, se rapprocher d’un de ses adjoints, formateur de métier et même directeur de centre de formation, et par conséquent parfaitement au courant de tout ça.


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