Le courrier des lecteurs du 05 janvier 2006 (suite)

5 janvier 2006

Attention aux généralisations angéliques

Cher Monsieur Clopeau,
Si tous les courriers des lecteurs entraînaient de telles réactions, la rubrique en serait plus animée, ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Juste deux mots pour échanger sur vos commentaires ; Je comprends bien votre point de vue, d’autant mieux que sur l’essentiel, c’est aussi le mien.
Cela dit, j’ai quand-même un gros doute sur le fait que faire brûler des voitures soit le seul et unique moyen d’expression des jeunes des cités. Personnellement, je trouve ça un peu méprisant pour eux parce qu’à cela leur dénie la capacité à d’autres formes d’engagement associatif ou politique, donc ça les excuse, mais en retour ça les considère vraiment en “dégénérés”.
De même, j’ai des réserves face à l’imputation de responsabilité au seul père dans les cités. Ça serait de sa faute il n’assumerait pas son rôle. À mon sens, c’est pas que sa faute. Dans une société individualiste qui ne fait plus corps, il se retrouve simplement seul pour assumer l’autorité paternelle. Dans le passé, bien des enfants vivaient hors de la présence de leur père à cause des métiers parentaux. Cependant, l’enfant avait des contacts avec de multiples relais de l’autorité paternelle, le père n’était pas le seul à l’incarner : l’instituteur, le curé, l’épicier. Si d’aventure il essayait de chiper une pomme à l’étalage c’était sa fête. Bref, la crise de l’autorité paternelle c’est autant à mon sens celle du père que celle de ses relais.
Parce qu’il y a une idée qui s’est diffusée dans l’ensemble des groupes sociaux en France en tout cas : c’est celle disant que chacun n’a à s’occuper que de ses propres enfants. Ça allège d’un tas de responsabilités, en particulier de celles que vous aviez envers l’ensemble de la génération des plus jeunes que vous, mais évidemment le coût à payer, c’est un formidable effritement du sens d’un monde commun où tous les adultes seraient un peu parents de tous les enfants. Bien-sûr à mon sens, pour en revenir à l’actualité, ce n’est ni aux imams de jeter une fatwa sur les voitures brûlées, ni aux forces de l’ordre de dire par couvre-feu quand les enfants doivent se coucher, c’est quand-même aux parents.
Je suis bien d’accord aussi et par avance sur le fait que le couvre-feu ait exacerbé des formes de racismes intolérables (je les ai vus, j’étais à Rouen, et à Bondy pendant les événements). Autre point sur lequel votre commentaire m’incite à être plus explicite : c’est sur le rapport à la transgression. C’est un processus psychologique normal pour construire la présence de la règle. Je construis la règle en la transgressant certes, encore faut-il que cette transgression amène un rappel de la règle, une butée symbolique me servant de garde-fou. Si je mets mes mains sur le feu et que je ne sens rien et bien allons-y, je continue ! Or, le problème aujourd’hui, me semble-t-il, c’est celui de l’élévation inflationniste du seuil où il va m’arriver quelque chose si je transgresse. Si vous faites le mur parce que vos parents vous ont interdit de sortir, vous transgressez en intériorisant la règle parce que vous n’avez pas envie de vous faire prendre, mais il y a pas mort d’homme, comme on dit.
Par contre, si c’est normal pour vous de vous balader à 2 heures du matin dans les rues, le seuil de transgression ça va être de brûler une voiture. S’il ne se passe rien quand vous brûlez une voiture, ou mieux si on vous dit que “c’est votre seul moyen d’expression”, vous allez vous battre au pistolet. Il y a fort à parier que ce sera la prochaine étape s’il n’y a pas de butée symbolique, et qu’on peut transgresser sans que rien n’arrive.
Mais paradoxalement, en banlieues ce n’est pas parce qu’il n’y a plus d’interdit que tout devient possible. Comme j’ai vécu en banlieue une vingtaine d’années (à Vitry sur Seine jusqu’en 1996, après je suis venu ici) je peux vous dire que j’ai vu l’évolution et qu’aujourd’hui, ceux qui sont montrés du doigt, ce sont les premiers de la classe, ceux qui font des efforts, “les bouffons”.
Donc oui, il ne faut pas se tromper de cible, mais attention aux généralisations angéliques et à la transposition hâtive : tous les jeunes des cités ne ressemblent pas forcément à ceux du Chaudron.
Évidemment, non à Sarko et à l’image d’une grande mafia qu’il veut donner des banlieues. Vous avez également bien raison de suggérer que contre les poches de sous emplois ou ne non emplois, faire rêver les gens ne sert pas à grand-chose. Mais ce n’est pas vraiment ce que j’ai voulu dire...
Quand à mon titre “Punir les pauvres”, j’en été très fier, car il me semblait justement qu’on ne pouvait être plus empathique envers les pauvres qui se font punir par l’État qui passe son temps à protéger les riches. Mais bon... comme le lecteur, par définition, à toujours raison (tant qu’on le reconnaît de bonne foi, et je n’ai aucune raison de douter de la vôtre), il semble bien que j’aurais mieux fait d’en trouver un plus explicite.
Bien cordialement.

Pascal Duret


De l’audace ? encore de l’audace ? et pourquoi pas ?

Quel silence ! Quelle indifférence ! Et quel étonnement demain dans l’examen de l’attitude des Réunionnais et de leur classe politique face à l’état d’urgence proclamé en France en novembre 2005.
C’était en France, pas en Amérique du sud ; ce n’était pas un film à grand spectacle de Costa Gavras, c’était la réalité légale du pays et elle fut prolongée de 3 mois. Des dizaines de départements ont été assujettis au couvre-feu, les libertés individuelles en partie suspendues, de vagues suspects perquisitionnés et des milliers de jeunes ont basculé dans la violence, la délinquance et la pénalisation en réponse à la politique de surenchère menée par le ministre de l’Intérieur dépassé sur son terrain par son Premier ministre et premier concurrent. La France est à feu et à sang dans de nombreuses banlieues où vivent des Réunionnais, mais rien n’y fait, le désintérêt est total. Tout se passe comme si l’île s’était retranchée du paradigme national.
Côté peuple et médias (c’est tout un), c’est le devenir de la plus que charmante Émilie à la Star Academy qui préoccupait les esprits bien plus que les périlleuses manœuvres des ministres Villepin et Sarkozy. Côté classe politique, c’est plus différencié. Au fond, la droite locale rêve d’un consensus, gage de victoire et de tranquillité propice à la gestion des bonnes affaires. Chacun de ses cadres tremble à l’idée d’un faux pas malvenu qui le laisserait compromis à l’excès du côté du vaincu ; mieux vaut se taire attendre et voir, laisser le réel s’éclairer de lui-même. La gauche néo-libérale locale, incarnée par la fédération du PS, n’avait certes pas de raison d’être moins prudente que sa Direction nationale. Le PS craint de perdre de l’influence dans ce centre politique mythique qu’il courtise et dispute à ses adversaires droitiers dans l’espoir d’y trouver les clefs de ses succès électoraux à venir. Les classes moyennes sont amatrices d’ordre... mais qui ne l’est pas quand il y a le feu au quartier ! Ni au plan national, ni au plan local, les oppositionnels socialistes du “non” ne se sont singularisés sur la question des libertés publiques.
À La Réunion, les groupuscules anti-libéraux, réputés révolutionnaires ou encore alternatifs auto-garantis comme nous le sommes nous-mêmes, ont fait ce qu’ils ont pu, c’est-à-dire pas grand-chose d’autre que de commenter la réalité, à la mesure de leur faiblesse propre.
Le silence de l’“Alliance”, en charge de la Région, relève a priori d’un mystère inintelligible au regard du sens commun. Pourquoi un tel cadeau aux libéraux ? Le matérialisme historique peine parfois à expliquer, il convient alors d’en appeler à une autre grille de lecture en vue de nous éclairer. Ici, c’est d’un gigantesque, immense, phénoménal “acte manqué” civique et politique qu’il ne peut manquer d’être question ! Pas de malveillance, pas de ruse maligne ni même de mauvaise volonté perceptible au regard du plus critique, mais une absence abyssale d’intérêt pour ce qui se passe en métropole, là-bas dans le lointain. Ce qui est refoulé ici, c’est la solidarité de destin des diverses composantes territoriales de la République, faute de réflexion, d’audace et d’ambition. Faut-il dire et redire combien les Réunionnais sont évidemment tributaires obligés des législations nationales, de leurs avancées et leurs reculs, perspectives et verrous ? Ils sont comme les autres Français, en première ligne de leur propre intérêt et non plus en quête de rattrapage. De nos jours, la mondialisation est une réalité, un problème pratique et non un thème de débat de salon. C’est avec le gouvernement et le Parlement français tels qu’ils seront demain qu’il faudra négocier la montée en puissance des marges d’initiative de la Région dans l’océan Indien, s’employer à défendre les intérêts insulaires face à l’Europe et au monde.
L’actualité le montre ; le sort des “TOS” de l’Éducation nationale, le prix du sucre, le devenir de la pêche, du tourisme, de la recherche et de la formation restent à négocier sans cesse avec l’État, de même que c’est avec lui que peut se créer un rapport créatif nouveau dans le rejet du tout libéral et répressif. Fondamentalement, la Région Réunion a besoin du relais national et du cadre européen. Ses forces politiques gagneraient à contribuer à un niveau décisif aux combats des forces politiques progressistes métropolitaines afin, aussi, que celles-ci intègrent au mieux les particularités de la Région.
Certes le regard insulaire se tourne avec plus de fréquence et sans doute de plaisir vers les cimes, plutôt qu’il n’y consent vers l’Océan. Qui, pourtant, pourrait être mieux placé qu’un Réunionnais de l’Alliance pour représenter les intérêts de la Région au sein d’un gouvernement d’union anti-libérale majoritaire, conséquent d’une victoire alternative à l’élection présidentielle ; une situation inédite avec un rassemblement élargi à tous les socialistes repentis.
De l’audace, il faut de l’audace. La Réunion ne peut se désintéresser de la Nation à l’heure où la Nation a besoin de toutes ses régions pour peser en Europe. Pourquoi pas un ministre de l’Alliance à Paris, pour y veiller de plus près à nos propres affaires ?... Cela présuppose de s’inquiéter de ce qui s’y passe.

François Esquer,
porte-parole du MGER-Les Alternatifs
Rouges et Verts, Île de La Réunion


Merci Raymond !

Dans ton “Libres propos” du 31 décembre 2005, tu dis clairement ce qui s’est passé le vendredi 2 décembre 2005 à la Rivière-des-Pluies lors de la pose du buste de l’Abbé Monnet devant l’église que ce dernier a construite de ses mains. Je t’en remercie.
Sur le coup, je l’avoue, je n’ai pas apprécié les attaques à mon encontre de "l’homme au bandeau autour de la tête". Le maire de Sainte-Marie, maître de cérémonie, lui a accordé un temps de parole, pour une attaque en règle contre le président du G.R.A.H.TER (Groupe de recherches sur l’archéologie et l’histoire de la terre réunionnaise). Après l’avoir écouté, j’ai compris son désarroi de ne pas être lui-même compris. À lui, à Huguette et aux autres, j’affirme que j’ai toujours défendu la cause des esclaves. Les esclaves n’ont pas laissé de traces écrites... Mais dans ma pièce “L’Esclave”, jouée pour la première fois le 20 décembre 1976, je les avais identifiés : Moali, Doul, Mongo, Kalidou, Mamina...
La lutte finale dans cette pièce de théâtre, c’est la libération des esclaves... La réalité du quotidien lors de la révolte des esclaves, c’est la répression, jusqu’à l’assassinat. Il a fallu des messagers comme Leconte de Lisle, Lacaussade, l’Abbé Monnet... ce qui ont pris une part active dans la lutte pour l’abolition de l’esclavage.

Oui Raymond, nous sommes un peuple métissé. Un homme politique disait en 1978 : "Je suis persuadé que le peuple réunionnais préfigure l’humanité des siècles à venir. Aucun autre peuple, en effet, n’a vécu un tel brassage de races. S’il n’est pas écrasé par le colonialisme, si ces oppositions cessent d’être exacerbées par la départementalisation, de pouvoir s’ouvrir à toutes les cultures, indienne, africaine, chinoise, française, ce sont des atouts uniques... Évidemment, le ciment de tous ces apports, c’est la conquête et la sauvegarde de la dignité du Réunionnais..."
Cette déclaration se passe de commentaires. Toute autre considération est superflue. L’ami du maire de Sainte-Marie a refusé de me serrer la main. Je ne lui en veux pas. Mon cœur n’est le siège d’aucune haine. Il reste ouvert à tous mes frères humains, sans discrimination.

Bonne et heureuse année 2006 à tous les militants culturels de La Réunion, sans exception.
Merci Raymond pour ton indulgence qui a su voir en moi, au-delà de mes limites et de mes défauts !

Marc Kichenapanaïdou


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