Le courrier des lecteurs du 11 juillet 2005

11 juillet 2005

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Le refus de Paris de prendre en compte le taux de chômage à La Réunion : une expression du racisme anti-réunionnais ?

La lutte pour l’emploi dans notre île, c’est à dire la lutte pour le droit des Réunionnais au travail, est plus que jamais à l’ordre du jour. À ce propos, je tiens à souligner que l’ampleur de ce problème est due avant tout aux carences de l’État, qui d’après la Constitution est responsable du respect de ce droit fondamental de chaque citoyen.
À partir de là, je me demande si le refus des différents gouvernements de prendre les mesures adaptées à la gravité de ce problème n’est pas dû en grande partie à un racisme anti-réunionnais. Autrement dit, n’est-ce pas précisément parce qu’ils sont des Réunionnais que l’État ne tient pas compte du fait que les demandeurs d’emploi à La Réunion représentent plus de 30% de la population en âge de travailler, contre 10% en France ?
D’ailleurs, ce racisme anti-réunionnais se manifeste-t-il uniquement dans le domaine de l’emploi ?

Voilà le racisme

Il y a quelques semaines, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le racisme, Radio-Réunion a pris l’heureuse initiative de consacrer ses “Matinales” à ce combat en invitant le vice-président de la Ligue des droits de l’Homme à La Réunion. L’échange entre les journalistes de RFO, les auditeurs et Gilles Tajtelbom fut très intéressant. Il a permis de donner des informations précieuses sur le racisme, ses différentes expressions et applications, son caractère délictueux voire criminel etc.
Il fut ainsi notamment rappelé avec raison que le racisme n’a hélas ni frontières ni limite dans le temps, qu’on le retrouve donc dans tous les pays et à toutes les époques, dans toutes les classes sociales et communautés humaines.
Refuser un droit à une personne ou à un groupe de personnes en raison de la couleur de leur peau, de leur religion et culture ou encore de leur origine ou lieu de naissance : voilà le racisme. De même que le fait d’accorder des privilèges à une personne ou à un groupe de personnes sur la base de ces mêmes critères.

Pourquoi ce silence ?

Malheureusement, toute l’Histoire de La Réunion - depuis le début de sa colonisation, avec l’esclavage puis l’engagisme - est profondément marquée par des différences de traitement discriminatoires, sur cette base, entre les habitants de l’île. Et il était juste de le rappeler lundi sur les ondes de Radio-Réunion car il faut continuer à combattre ces discriminations, tant elles se perpétuent aujourd’hui.
Par contre, n’a-t-on pas eu tendance ce lundi - comme souvent dans les médias - à faire silence sur une forme de racisme dominant qui perdure depuis de nombreuses années dans notre île : le racisme anti-réunionnais ? Et pourquoi ce silence ?
Ce racisme est la somme des discriminations qui frappent collectivement les Réunionnais parce qu’ils sont des Réunionnais. C’est le fait que des droits fondamentaux sont refusés aux Réunionnais en tant que tels.
Cette survivance du passé colonial est trop souvent cachée ou niée par les dominants. Or elle marque profondément la vie quotidienne de la population réunionnaise dans son ensemble. Faut-il donner des exemples ?

Les exemples ne manquent pas

Il a fallu des dizaines d’années de luttes pour mettre un terme aux inégalités de traitement entre métropolitains et Réunionnais dans le domaine des droits sociaux individuels. Néanmoins des discriminations perdurent sur ce plan, notamment en matière de pouvoir d’achat pour les plus pauvres, confrontés à la cherté de la vie, et en matière d’aide à la personne pour l’habitat.
Si l’on considère un droit fondamental comme le droit à l’emploi, celui-ci est refusé par le système politique, économique et social pour un pourcentage de la population active de La Réunion à un niveau qui n’est pas comparable avec celui de la population métropolitaine. Le droit des Réunionnais à l’emploi est nié trois à quatre fois plus que pour les métropolitains.
De même que le droit du Réunionnais au logement.

Quelle égalité collective ?

Autre exemple : l’égalité collective entre métropolitains et Réunionnais est foulée aux pieds par les gouvernants, quels qu’ils soient. Les collectivités réunionnaises, bien que confrontées à des retards d’équipements et de besoins divers accumulées au cours de plusieurs décennies, reçoivent de l’État des dotatations générales de fonctionnement et d’équipement inférieures à celles des collectivités métropolitaines.
On pourrait également citer les discriminations qui frappent les Réunionnais en matière de continuité territoriale, de droit à l’image et à l’information audio-visuelle ou à la diffusion cinématographique, littéraire, numérique (l’ADSL coûte ici trois fois plus cher qu’en France) etc.
Qu’en est-il en matière culturelle ? La culture réunionnaise, l’identité culturelle réunionnaise, la langue créole sont victimes de discriminations inacceptables par rapport à la culture dominante, qui opère comme le rouleau compresseur de l’assimilation. Malgré quelques concessions ici ou là, le droit du Réunionnais au respect de la diversité culturelle, un principe réaffirmé récemment par les plus hautes instances internationales, est nié dans les faits. Qui peut dire que ce n’est pas une forme de racisme anti-réunionnais ?
Et si l’on parlait des droits des Réunionnais en matière de responsabilité et de démocratie ou de Justice ? Dans ces secteurs, on constate des faits que l’on ne peut imaginer dans aucun département métropolitain.

Diviser pour régner

Cette liste n’est pas exhaustive. Mais force est de constater que ces discriminations qui frappent globalement le peuple réunionnais sont encore trop rarement reconnues par les forces économiques, sociales, culturelles, médiatiques, judiciaires et politiques dominantes. Ces discriminations sont cautionnées par l’appareil d’État. Elles sont aussi acceptées par les classes dominantes de La Réunion même, qui profitent de ce système inégalitaire. C’est ce qu’on appelle un racisme de classe.
Le comportement de ces dominants a une position constante : c’est de tout faire pour diviser en permanence les Réunionnais. Chaque fois que les Réunionnais tentent de surmonter leurs différences légitimes et d’unir leurs forces pour mettre un terme aux discriminations qui les frappent globalement, les dominants font tout pour les dresser les uns contre les autres et perpétuer ainsi un système injuste. C’est la loi du “diviser pour régner”, que l’on observe dans toutes les colonies.

“Na in zour i apèl domin”

Dans les médias, certains “grands chefs” et “petits chefs” sont particulièrement orfèvres en la matière. Mais là encore, des Réunionnais “d’en haut”, se montrent parfois complices de ces manœuvres de division de leur peuple et se comportent davantage en “métropolitains” qu’en Réunionnais.
Mais les Réunionnais ne sont pas dupes. Ils sont conscients de ces réalités. Leur résistance multiséculaire à toutes les formes d’oppression, d’exploitation, d’humiliation et de division ne cessera jamais. Comme ils disent : “na in zour i apèl domin”. La lutte contre le racisme anti-réunionnais remportera de nouvelles victoires.

Roger Orlu,
Le Port


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