Le courrier des lecteurs du 11 mai 2004

11 mai 2004


Autour de l’abbé Monnet et du père Lafosse

Devant la polémique lancée à travers certains courriers de lecteurs autour de deux personnalités qui ont marqué l’Histoire de notre île - l’abbé Monnet et le père Lafosse, une mise au point me paraît nécessaire.
Disons tout de suite que je ne suis pas historien, et encore moins “savant”, car je n’ai pas le temps de faire des fouilles, ni d’exhumer de vieux papiers : je laisse très volontiers ce travail à d’autres. D’autant que les documents historiques n’ont de valeur qu’à travers l’interprétation qu’on veut bien leur donner.
C’est ainsi qu’il m’arrive d’entendre des lecteurs de la Bible un peu trop attentifs au seul texte me dire par exemple que dans les écrits laissés par l’apôtre Paul, il n’y a aucune condamnation de l’esclavage, et qu’ils trouvent cela tout à fait normal en raison de son appartenance à la société de son temps et en raison également des mœurs de l’époque. C’est la même argumentation qui est resservie à chaque fois pour tenter d’expliquer les contradictions que l’on découvre dans les actes ou les propos de personnes qui ont vécu avant nous.

Pour moi, je m’en tiendrai uniquement à cette phrase de Paul, à mes yeux irrécusable et décisive : "Il n’y a ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme ; nous sommes tous un dans le Christ Jésus" (“Épître aux Galates”) et je n’irai pas chercher plus loin la petite bête.
Ainsi, comme chacun peut voir, je me place délibérément sur un autre terrain que celui des historiens, de ceux qui sont attachés au détail le plus précis, à la vérité soi disant la plus exacte, ni sur celui de certains exégètes privilégiant “la lettre” au détriment de “l’esprit”.
Je vais droit au but : le passé m’est utile dans la mesure où il m’apprend à comprendre et à vivre le présent, à déchiffrer l’avenir ; le message du Dieu créateur libérateur n’a de sens que s’il se traduit, s’incarne dans la réalité : "Ce que vous faites aux plus petits d’entre les miens, qui sont mes frères, c’est à dire aux trois milliards d’habitants qui n’ont pas deux euros par jour pour vivre, c’est à moi-même que vous le faites".

C’est pourquoi je considère qu’il y a hypocrisie totale - et même mensonge éhonté - à vouloir faire porter au père Jean Lafosse le poids d’un crime d’inhumanité contre lequel il a lutté de toutes ses forces et qui est bien le fait du statut anti-évangélique dévolu au clergé paroissial de l’île Bourbon, de par la volonté du roi très chrétien, et avec la permission du Saint Siège.
De lui donc, je veux garder le souvenir toujours actuel d’un épisode de sa vie qui se déroule le 6 janvier 1791, tel qu’il est merveilleusement raconté dans le petit livre du père Jean Cardonnel “Esclavage ou humanité, un précurseur Jean Lafosse”, aux éditions “Les Deux Mondes”, que chaque Réunionnais devrait lire et méditer. Seul avec l’abbé Grégoire à la même époque, stimulé par son ami et frère, l’esclave Amant dont il vient exiger la libération pour le soustraire à la cruauté des esclavagistes, le père Lafosse correspond à la formule d’Abraham Lincoln : "Si l’esclavage n’est pas un mal, le mal n’existe pas".

Georges Benne,
Le Tampon


La France dans le bon sens ?!

De quelle France nous parle-t-on lorsque des millions d’individus vivent aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté ? Maudits par les uns, bannis par les autres, ils sont pointés du doigt au nom de la rigueur budgétaire, assaisonnés à une condition humaine en rupture de contrat, noyés dans l’anonymat d’une économie souterraine latente.
Ces recalculés de la vie, utilisés à toutes les sauces d’une humanité défaillante, bradés économiquement, sont rejetés dans la froideur du béton de ces immeubles à l’identique, alignés comme des pierres tombales dans ces zones d’exclusion où la nudité humaine se confond à celle du paysage. Un paysage où les acquis sont débités à la tronçonneuse...
Comment résister moralement et survivre socialement à ces territoires de banlieues où prospèrent toutes les injustices ?!!... Des territoires de conscience laissés en friche, où se nouent les tensions et se banalise l’insupportable...
Je pense aussi à ces vieux qu’on a souvent laissés se dessécher, pas assez nourris d’attention ou arrosés d’amour, injustement accusés de vivre aux dépens des générations futures...

Au nom de l’exigence économique, on a laissé s’installer toutes les précarités et dans les cités des zones de non droit. Ces quartiers dits sensibles cumulent fort taux de chômage, emplois précaires, activités marginales, habitats dégradés, urbanisme sans âme. Les jeunes y sont désœuvrés par leur inutilité sociale, victimes de drogues, recels, tensions, agitations et conflits.
L’insécurité sociale et l’insécurité civile se recoupent et s’entretiennent par nécessité chez ces anonymes au présent constamment saturé.
Et puis, il y a ces femmes et ces hommes dont on ne parle pas ou si peu qui chaque jour partent à la casse sans toujours passer par la caisse, sans même effleurer les consciences, sans émouvoir l’opinion. Pas assez vieux pour la retraite, pas assez jeunes pour le marché de l’emploi, plus assez souples pour être flexibles, ils basculent dans le néant. Ils sont voués à tout jamais au travail à temps partiel, à l’intérim, au travail de sous-traitance qui fait exploser les droits et les protections permanentes. Alors, lles coûts de vie dérapent souvent : surendettement, déprime, divorce, chômage et son cortège de misère.

Dans ce paysage social tourmenté, dont le fossé ne cesse de se creuser, les coups de solitude et les moments de panique donnent aux faits minimes de la vie une saveur de révolte et de résignation... De quelles solidarités peuvent encore se prévaloir ceux qui ont vécu toute une vie dans l’ombre de la pauvreté et qui doivent encore l’achever dans celle de frustrations au minima ?
À ce culte de l’individu érigé en système, l’humain finit par capituler. Année après année, la misère creuse son trou comme d’autres leur tombe. L’exploitation des peurs devient insidieusement le réflexe et la norme, où l’on vieillit d’abord dans le regard des autres face à une jeunesse qui vous assaille comme une nostalgie remplie d’espoir...
Combien de temps va-t-on encore se voiler la face devant une fracture humaine qui prend l’allure d’un gouffre ? Combien de temps tolérera-t-on encore publiquement la coexistence d’une France qui se goinfre aux salaires de “nababs” et puis l’autre... livrée aux appétits d’une mondialisation rampante, celle de ces recalculés condamnés à se partager les restes d’une solidarité indécente voire dérisoire ?
Combien de temps résisteront-ils ceux-là aux sirènes de l’extrême-droite, si nous nous révélons incapables de répondre à ces cris de désespoir, ce besoin d’humanité pressante ?

Emmanuel Hoarau,
Le Moufia
Union des Démocrates et des Socialistes de La Réunion


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