Le courrier des lecteurs du 13 août 2005

13 août 2005

Au niveau culturel, nos populations sont vraiment gâtées, ces jours-ci : des vedettes internationales de la chanson font se bousculer les foules autour des podium. Les affiches qui les convoquent affirment leur proposer “Sakifo” !
Cependant, au même moment, des journaux, plus attentifs au social, alertent l’opinion sur des dispositions nouvelles démolissant peu à peu le dispositif social qui assurait aux travailleurs la sécurité de l’emploi : des lois qui organisent la précarité ! Ainsi, il redevient possible de congédier des travailleurs sans avoir à donner d’explications !
Et cela se passe en ce mois, où un certain quatre août a vu l’abolition des privilèges ! Pas de doute, ceux qui nous gouvernent aujourd’hui, finiront par liquider les avancées sociales, obtenues au bout de combats dont les victimes ne se comptent plus. Pendant qu’on amuse le peuple et que les jeunes surfent sur la crête des vagues, les pontifes du système libéral gèrent la chose publique, en fonction de leurs intérêts. Ça crée du chômage, et le chômeur se voit montré du doigt comme un coupable. La “bonne société” traite et évacue ses “déchets” !
En outre, il n’y a pas si longtemps, certaines fonctions ainsi que les portes de certaines écoles restaient interdites ou fermées aux esclaves ou à leurs descendants. À titre d’exemple, récemment, la vie de Lacaussade nous a offert quelques échantillons de ces domaines réservés avec ses catégories privilégiées.
L’Église, elle-même, avait ses écoles haut standing, hors de portée du “vulgaire”. Et, jusque dans ses cantiques, affirmait une différence hautaine : "Parle, commande, règne !"... Jusqu’aux actuelles JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) qui ne sont pas sans prétentions ! Marie elle aussi qui se voulait “Mère” et “Servante”, finit par crouler sous les couronnes de “Reine”.
En plus, fleurissent actuellement, en paroles et en gestes, des groupes de piété dont les démonstrations frisent, quasiment le ridicule... Loin des drames qui se vivent.
Outre cela, pour dire que “Sakifo”, ousasa ? Il n’y en a pas ! C’est aux victimes à rappeler leur existence, leur situation et leur fierté ! Les chômeurs n’ont pas besoin de pitié, mais de justice, dans la reconnaissance avant tout, de leur dignité ! Devant le mépris affiché par l’actuel pouvoir politique, ils sauront réagir et peuvent compter sur notre solidarité active !

René Payet,
prêtre à Saint-Pierre


Se tuer au travail

On entend souvent dire, surtout depuis la mise en application de la loi Aubry sur la réduction du temps de travail et les tentatives réitérées du gouvernement de faire passer coûte que coûte sa réforme des retraites : "Les Français ne travaillent pas assez." Slogan repris par un certain nombre de gens, généralement bien placé, pour expliquer la crise économique que traverse la France. À chaque fois, cela me ramène au temps de mon enfance où l’expression qui revenait le plus souvent dans la bouche des privilégiés de mon île était : "Les Réunionnais sont des paresseux". À quoi je répondais : mais lesquels ? Car ce n’étaient certainement pas les dockers de ma bonne ville du Port, que je voyais travailler comme des forçats, courir sur les quais en plein soleil, courbés et écrasés sous leurs caisses ou sous leurs balles de marchandises, ni ces "planteurs" des hauts, à la tâche des journées entières, occupés à couper ou à charger les cannes, aussi ruisselants de sueur et aussi harassés sous le même soleil.
Aussi, en fouillant dans mes papiers, je retrouve un document qui m’apparaît aujourd’hui d’autant plus accablant, qu’il est passé jusqu’ici presque inaperçu. Qui se souvient en effet des chiffres terribles relevés dans ce rapport, publié il y a deux ans à peine, par l’Organisation internationale du travail (l’OIT) sur les accidents encourus dans le monde sur les lieux de travail ? Il révèle que chaque année, 270 millions de salariés sont victimes d’accidents du travail, 160 millions d’entre eux attrapent des maladies professionnelles et que plus de 2 millions trouvent la mort dans l’exercice de leur métier. Le travail tue ainsi au moins 5.000 personnes par jour ! Et encore, est-il souligné, ces chiffres sont bien au-dessous de la réalité.
Pour revenir en France, c’est la Caisse nationale d’assurance maladie (la CNAM) qui attire cette fois notre attention : chaque année 780 salariés sont tués au travail - soit plus de deux par jour ! - 1 million 350.000 sont victimes d’accidents du travail, soit 3.700 par jour, 8 par minute pour une journée de huit heures ! Et là encore, les chiffres sont en deçà de la réalité. Tel est le lourd tribut à payer au Dieu-profit, caché sous ses déguisements les plus honorables de la croissance et de la compétitivité.
Et voilà que deux informations, parmi tant d’autres, viennent confirmer ce triste bilan : la première, donnée ces jours-ci par les médias, évoque les accidents à répétition survenus dans les mines de charbon "les plus dangereuses au monde", où des ouvriers travaillent dans les pires conditions comme au temps de Zola, situées dans les provinces de Guandong et de Guizhou en Chine - oui en Chine communiste qui s’aligne sur les pays capitalistes pour la compétition et même déjà les dépasse, et où "la quête du profit l’emporte sur les mesures de sécurité", pour parler comme le journaliste de "Libération".
La seconde, que chacun a pu lire dans la presse locale : le compte-rendu d’un colloque tenu le 12 juillet dernier sur les risques professionnels et qui dénombre 3.800 accidents du travail à La Réunion en 2004, soit une augmentation de 6,7 % par rapport à 2003. "Situation inquiétante", souligne Alain Igliki, délégué régional de la Caisse générale de la sécurité sociale.
À cela, que faut-il ajouter que vous ne connaissez déjà ? Sinon les conditions de vie ou de survie de millions et de millions de travailleurs de par le monde qui meurent prématurément à cause du travail ou qui atteignent péniblement l’âge de la retraite tellement usés et tellement délabrés ! Sans parler de ceux et de celles qui n’ont pas de travail du tout et dont la vie n’est qu’une suite de morts ! Même dans des pays dits industrialisés comme la France, combien d’hommes et de femmes peuvent pleinement profiter de leur "troisième âge" ? Osez dire après cela qu’ils ne travaillent pas suffisamment pour faire tourner l’économie !

Georges Benne,
Le Tampon


Hommage à Guy Agénor

Claire Bosse imagina la seconde devise de La Plaine : "Je brille sur les cimes".
Or, la poésie n’a pas d’âge, elle est immortelle, n’est-elle pas cette petite étoile brillante qui éclaire les sommets ?
En effet, que serait devenu le Petit Prince sans sa rose écarlate ? Et le Renard, s’il n’avait pas eu son désert pour qu’il s’y perde volontairement ? Afin de cacher par pudeur cet amour qui le reliait au ciel... dans lequel s’est perdu à son tour cet écrivain de génie que fut Antoine de Saint-Exupéry ?
Qu’ai-je dit... le ciel ? Et les papillons pourquoi s’y envolent-ils un jour...?
Que de questions jaillissent quand on ouvre le livre de la vie.
Aussi par transposition métaphorique, voila ce que pourrait nous dire aujourd’hui le livre de La Plaine.
Sans fanjans à contempler, sans palmistes à déguster, sans les doudouls fleuris, sans les azalées, sans les hortensias, les belles marguerites, ou les pétales de capucines qui s’exposent à notre regard.
Sans les succulents goyaviers rouge acidulés, mais aussi sucrés et gorgés de vitamines, que serait La Plaine des délices ?
Sans ce lait blanc, riche et généreux de la voix lactée...
Sans les remparts infranchissables, sans ta ravine sèche qui se gorge de torrent quand le cyclone nous aborde à la façon des forbans, sans les pitons qui culminent au-dessus de nos incessants brouillards...
Sans le songe avec sa croix glorieuse qui nous fait évader sur des nuages moelleux décorés d’arc en ciels... quand tombe la nuit du mystère.
Sans les feuilles de platanes, roussies par l’hiver qui se posent délicatement sur le bord de nos chemins de misère...
Sans les branles qui ondulent dans le vent de l’hiver, comment pourrions nous la concevoir La Plaine...?
Adieu République, c’est aujourd’hui le Royaume de la Poésie qui est au centre du sujet.
Celle d’une civilisation à venir sans brume et sans écueils.
Une civilisation libre, à ciel ouvert dans la transparence d’un air limpide...
qui, au petit matin, entend chanter l’oiseau siffleur.
Gœthe a écrit : "Au commencement était l’action".
Or, "l’Amour est action", écrit à son tour Guy Agénor.
Dès l’origine des temps, nous sommes marqués par l’Amour et pour l’Amour, par l’action et pour l’action.
"L’amour implique donc le travail", conclut-il...!
Quant à la loi, elle implique à son tour le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire, écrit Jean Jaurès avant d’avoir été lâchement assassiné par des fabricants de guerre.
La loi nous mène bien au courage de s’exprimer en toute clarté, nous dirait notre vieux Tangue, qui de là-haut nous observe.
Le courage de ces premiers pionniers des Plaines qui ont défriché, planté et fait fructifier la terre malgré les intempéries.
C’est donc tout à l’honneur de la commune et de ses descendants d’avoir édifié ce bâtiment (tout comme ils le firent pour la Croix glorieuse) dans une cité qui a pour devise "Labor lex mea est", "Le Travail est ma loi", dans laquelle le poète s’est indubitablement inspiré, haussant le champ de vision de notre avenir commun, que nous souhaitons tous, plus radieux et plus fraternel. Merci.

Christian Vittori


“Quand le propos est libre”

Dans “Témoignages” du 28 juillet dernier, j’avais fait part du grand plaisir que j’éprouve chaque matin à lire, dans ce même journal, l’excellente rubrique de Raymond Lauret.
Mardi dernier, 8 août, j’ai eu l’agréable surprise de recevoir dans ma boîte aux lettres, un superbe recueil, de ce dernier, regroupant l’ensemble de ses billets publiés dans “Témoignages” jusque-là, et intitulé "Quand le propos est libre", 324 pages et pas moins de 305 articles riches d’enseignement tant par la qualité des écrits que par la diversité des sujets traités que je ne manquerai pas de relire et conserver. Un geste très sympathique de sa part et que j’ai par ailleurs grandement apprécié.
Je n’ai pas le talent à rédiger de Raymond Lauret, mais je ne m’imagine pas, un seul instant, lui remercier autrement que par un petit billet. Ce petit billet dans “Témoignages”.
Merci encore Raymond Lauret.

Paul Dennemont
Saint-André.


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