Le courrier des lecteurs du 13 septembre 2005

13 septembre 2005

Pour l’inauguration de sa rubrique Économie

“Témoignages” ressuscite le spectre du déficit de la balance commerciale

“Témoignages” a ouvert, le jeudi 1er septembre, une nouvelle rubrique consacrée à l’économie. L’entreprise est louable et mérite les encouragements. Ce que l’on peut regretter toutefois, c’est que notre journal, pour l’inauguration de cette rubrique, ait choisi de ressusciter un spectre qui hantait La Réunion politique des années quatre-vingt, le spectre du déficit de la balance commerciale.

Un déficit abyssal

En 2004, nous apprend-on, les exportations de La Réunion ont atteint un montant de 249 millions d’euros. Si en sens inverse, notre pays n’avait importé de l’extérieur que pour 249 millions de marchandises diverses, on aurait pu dire que sa balance commerciale était équilibrée.
Tel n’a pas été le cas : en 2004 la valeur de nos importations s’est élevée à la somme astronomique de 3 milliards 292 millions d’euros. Du coup, notre balance commerciale a été largement déficitaire, le montant du déficit atteignant (3.292 - 249) 3 milliards 43 millions d’euros. Un déficit abyssal : le calcul montre qu’en 2004, nos recettes d’exportation n’ont couvert que 7,56% de nos dépenses d’importation !
On notera cependant que la constatation ci-dessus n’est pas nouvelle. Il faut remonter loin dans notre passé colonial pour y trouver trace d’une balance commerciale équilibrée. Le déficit a fait son apparition dès le début des années cinquante - il y a donc quelque 55 ans - et n’a pas cessé de s’amplifier depuis. Le taux de couverture de nos importations par nos exportations, qui était encore de 72,4% en 1950, est passé à 70% en 1960, 31,2% en 1970, 14% en 1980, pour dégringoler enfin à 7,56% en 2004, ainsi que nous l’avons vu. Mais faut-il s’en émouvoir ?

Indice de crise ?

Dans les années quatre-vingt, la thèse dominante était que "la dégradation de la balance commerciale est un indice de l’extrême gravité de la crise dans notre pays" (“Témoignages” du 23-10-85). La crise en question étant censée "s’élargir, s’approfondir et s’accélérer", selon le slogan à la mode. Paul Vergès ne disait pas autre chose : "La mauvaise santé de notre économie peut se lire sur le thermomètre de notre balance commerciale" (conférence de presse du 20-1-87). Et je pourrais citer tous les élus locaux, les journalistes, les chefs de gouvernement, les ministres de l’Outre-mer qui exprimaient alors le même avis. Même l’INSEE en ce temps-là, attribuait le déficit de notre balance commerciale à une "faiblesse du secteur productif" !
Cette thèse a été de longue date démentie par les faits. Personne ne peut plus ignorer aujourd’hui que, depuis les années soixante, La Réunion a connu une croissance économique remarquablement soutenue. Et ce en dépit du déficit permanent et sans cesse croissant de notre balance commerciale.

Le rôle des transferts

Cependant, sur le plan théorique, il n’est pas dépourvu d’intérêt de se demander quelles sont les causes du déficit en question et de son augmentation d’année en année. Aussi bien, les études n’ont pas manqué à ce sujet. Elles montrent toutes indubitablement que le déficit commercial est à mettre en corrélation avec les transferts financiers qui nous viennent chaque année de la Métropole et de l’Europe.
À l’époque coloniale, La Réunion ne recevait pas de transport et sa balance commerciale était strictement équilibrée : notre pays ne pouvait pas se permettre d’acheter plus qu’il ne vendait. Avec la départementalisation, les premiers transferts ont fait leur apparition, avec parcimonie d’abord, et avec eux les premiers déficits commerciaux encore modérés. À partir des années soixante, en réponse à la revendication d’autonomie du PCR, les transferts ont augmenté brusquement et, tout aussi soudainement, le déficit commercial a explosé.

L’avis du CESR et de l’ODR

Un rapport adopté en août 1990 par le Conseil économique et social de La Réunion expliquait le phénomène : "Aucun pays ne peut en principe acheter à l’extérieur plus que ses recettes d’exportation ne lui permettent de payer. Mais, à La Réunion, les transferts publics, s’ajoutant aux recettes d’exportation, permettent aux Réunions d’acheter au reste du monde plus qu’ils ne lui vendent. Plus les transferts sont importants, plus ils creusent l’écart entre nos importations et nos exportations. Le faible taux de couverture des premières par les secondes n’a pas d’autre explication."
Une autre étude, publiée en 1989 par l’Observatoire départemental de La Réunion (“La balance commerciale de La Réunion”, Philippe Narassiguin et René Squarzoni) va dans le même sens : "Cet apport financier (les transferts publics) se diffuse et devient presque intégralement une demande auprès du secteur commercial, qui y répond par une importation massive, assurant la transformation du transfert métropolitain en biens d’équipement, matières premières et biens de consommation." Le transfert financier, insistent les auteurs, "permet de financer l’excèdent massif d’importations, lui-même responsable de l’effondrement du taux de couverture."

Un remède simple

Dès lors, si l’on veut, comme le préconise “Témoignages”, "réduire durablement et significativement" le déficit de la balance commerciale réunionnaise, rien n’est plus facile. Il suffit de demander

- à l’État français de rétablir l’équilibre de ses dépenses, en supprimant par exemple d’une part l’indexation des traitements de la fonction publique, d’autre part l’abattement de 30% sur l’IRPP...

- à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ainsi qu’à l’UNEDIC, de ne plus combler le déficit structurel des caisses départementales et de l’Assedic.
L’effet de ces mesures serait immédiat : notre balance commerciale retrouverait automatiquement son équilibre d’antan.
Mais... Est-il besoin de préciser que je plaisante ?

Daniel Lallemand
Membre du Comité central du PCR


La Réunion exportatrice de produits “de pointe” ?

Un passage de l’article inaugural de la rubrique Économie ne manque pas d’intriguer. Il y est écrit : "Il y a actuellement à La Réunion un frémissement en matière de commerce extérieur, qui provient moins des secteurs traditionnels que d’activités apparues récemment sur l’île, telles le travail des métaux, mais aussi de secteurs “de pointe” tels l’informatique, la communication et les services".
Quoi ! La Réunion serait-elle en train d’emboîter le pas à la Chine, au Japon, à la Corée et autres économies émergentes d’Asie ? Notre pays fabriquerait-il des "produits de l’industrie automobile", des "appareils pour la téléphonie", des "instruments et appareils médicaux", etc... Comme pourrait le laisser penser une lecture rapide et superficielle du TER (tableau économique de La Réunion) publié par l’INSEE ?
La réponse est non, bien entendu. Mais l’INSEE, pour des raisons de comptabilité nationale, classe, parmi nos exportations, "les marchandises réexportées après admission temporaire".
Exemple : un cargo japonais, chargé de voitures, Toyota, se dirige vers l’océan Indien. Ces voitures sont, pour l’essentiel, destinées à La Réunion, mais quelques unités doivent aller à Madagascar ou à Mayotte. Le cargo va-t-il faire du porte à porte entre les trois îles ? Non, bien sûr, il décharge toute sa cargaison sur les quais du port de La Rivière des Galets, où le concessionnaire local de Toyota se chargera ensuite de réexpédier quelques véhicules sur Madagascar et Mayotte.
Ajoutons que rien n’empêche des Malgaches ou des Mahorais de se procurer des véhicules d’occasion à La Réunion.
Et voilà comment, si on n’y prend garde, on risque de présenter La Réunion comme un exportateur de "produits de l’industrie automobile" !

D. L.


Lettre à Frédéric Tsang

Mon cher cousin,

Ainsi, tu as tiré ta révérence, avec cette élégance qui te caractérisait tant au physique qu’au moral. Dans le concert de sympathie qui s’est fait entendre pour ton départ, je voudrais ajouter ma petite note, moi que tu as connu alors que j’étais haute comme trois pommes, et à qui tu avais dit, il n’y a pas si longtemps, que tu avais bien de choses à raconter.
Vois-tu, en juillet dernier, je m’étais rendue dans la demeure des Tsène (Zeng) à Koktong, là où tu as passé ton enfance lorsque ton père t’envoya en Chine à l’âge de cinq ans, y recevoir une éducation chinoise. Construite par mon premier oncle Thien-Kin-Seing dans les années 30, elle avait pour vocation d’accueillir les descendants des trois frères qui avaient kwo hoï (sauter la mer dira-t-on en créole). C’est une grande maison en briques à étage bâtie face à un étang, non loin de Meizhou la capitale.
Par cet après-midi où régnait une chaleur caniculaire, je fus reçue par notre cousine Guizen et ses deux fils. Maison bien entretenue et pièce d’apparat à belle allure. En regardant mes cousins de Chine nous servir le thé dans les petites coupes chinoises avec des gestes vifs et précis, je disais à mon neveu que j’étais frappée de constater à quel point ils te ressemblaient : même forme de visage, même expression, mêmes intonations...
Sur les murs dédiés aux ancêtres s’alignaient, selon l’ordre confucéen, d’un côté les photos des femmes, dont celle de ta mère qui incarna à mes yeux la bonté même, et en face celles des hommes, entre autres l’image de ton père et de ton frère Maxime, tous ces disparus que j’ai connus et qui restent présents dans cette demeure où on vénère leurs mémoires.
Je ne sais plus pourquoi, j’ai pensé à ce moment à l’enfant que tu as été dans cette maison, où tu as grandi avec d’autres cousins. Tu as dû marcher sur ce "puits de ciel", cette ouverture à ciel ouvert caractéristique des maisons hakkas, tu as grimpé aux étages en jouant avec les belles ferronneries ouvragées par les artisans du cru, tu as couru dans la cour où l’on a abattu récemment un vieil arbre qui t’abrita jadis de son feuillage, tu as sans doute taquiné le poisson dans l’étang d’en face. Tu en es parti en 1949. Pour toujours.
Il y a quinze ans, quand j’étais venue pour la première fois dans cette demeure, y vivait encore Wong pakmê, une tante qui t’avait vu grandir, un petit bout de femme qui allait allègrement sur ses 80 ans, encore pleine de vivacité et de lucidité. Parlant à mon frère, elle avait eu ce geste implorant pour te faire transmettre ce message : "Dis à Amênê [ton prénom chinois] de revenir". Il y avait tant d’espoir pathétique dans cette attente !
Hélas ! Tu n’es jamais revenu dans la maison qui vit le matin de ta vie. Peut-être que certains aléas de ta vie te pesaient-ils trop et rendaient-ils ton retour difficile à vivre ? Pourtant, si tu avais su à quel point ce genre de choses n’avait plus d’importance à ses yeux ! Au crépuscule de sa vie, elle avait compris que l’essentiel résidait dans l’affection qu’elle te portait. Le reste n’était plus que fétu de paille. Et elle est partie sans t’avoir revu.
À présent, là où tu es, tu as retrouvé ton père, qui s’était toujours montré fier de son aîné, et ce groupe de femmes qui te chérissaient : ta mère, Wong pakmê, ta sœur, ma mère qui t’a précédé de si peu dans la mort, et notre grand-mère Tsène Por, dont tu étais le petit-fils bien-aimé, pour ne pas dire préféré. Tsène Por dort à présent dans la cour de la maison, nous sommes allés nous incliner devant sa tombe et brûler les rituels bâtonnets de santal. C’était dans l’incandescence de cet après-midi du mois de juillet, et nous ne savions pas qu’à l’autre bout du monde, la nuit descendait sur ta vie.
Sur l’autre rive où tu es allé enfin les rejoindre, dis leur que nous les aimons toujours autant qu’ils ont su t’aimer, dis leur que leur souvenir reste vivace en nous, comme une blessure dont on ne guérit jamais, et comme un parfum triste et doux de jasmin qui s’attarde dans la nuit, et dis leur aussi qu’à présent, nous avons compris que l’Amour est plus fort que la Mort.

Edith Wong Hee Kam
(alias Huang Suzhen, Wong Souzen)


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