Le courrier des lecteurs du 17 octobre 2005

18 octobre 2005

Un jour, nos pauvres demanderont...

Avec la zakât, le troisième pilier de l’islam, nous avons d’abord un problème de compréhension et subséquemment de définition. Le plus souvent on présente la zakât comme une “aumône” qui aurait cette particularité d’être une prescription (entendue au sens d’une obligation) dans la pratique de la musulmane et du musulman. Pour rapprocher ces deux dimensions quelque peu contradictoires (l’aumône est ordinairement un don libre), on a traduit le concept par des formules essayant de comprendre les deux idées : “aumône légale”, “aumône prescrite”, etc. (parfois les traducteurs préfèrent même ne pas traduire le mot).
Ces définitions ne sont pas satisfaisantes car elles ne permettent pas de comprendre les différents aspects de la zakât : parce qu’elle est obligatoire pour la conscience de tout musulman pratiquant, la zakât est une taxe (ou un impôt) à prélever (selon un décompte précis) sur ses biens. La nature de cette taxe est d’être “sociale”, car elle est premièrement destinée aux pauvres et aux nécessiteux de la société (ou aux œuvres de nature caritative et/ou publique). Enfin, elle a une dimension spirituelle majeure puisqu’elle purifie les biens des êtres humains comme ceux-ci purifient leur cœur quand ils prient et leurs corps quand ils jeûnent. La zakât englobe ces trois dimensions que nous pouvons rendre par la formule : taxe sociale purificatrice. Cette traduction n’est pas anodine en ce qu’elle tente de circonscrire une des dimensions fondamentales de l’enseignement islamique : la nature profondément spirituelle de la conscience sociale des individus.
C’est un premier enseignement essentiel et nos définitions ou nos traductions approximatives nous font parfois perdre le sens de ce pilier majeur de l’islam. Ce n’est pourtant pas tout, deux autres enseignements fondamentaux sont à méditer quant à l’application concrète du prélèvement et de la dépense de la zakât aujourd’hui dans les pays majoritairement musulmans ou en Occident.

La priorité de la proximité

Lorsque le Prophète de l’islam envoya un émissaire dans une tribu qui avait accepté l’islam, il lui demanda de les informer des obligations de la pratique en expliquant les cinq piliers de l’islam. En parlant de la zakât il lui dit de leur enseigner que celle-ci devait être prélevée sur l’argent des riches et distribuée à “leurs pauvres” (‘alâ fuqarâ’ihim). Les ulâma’ à travers les écoles et les âges ont, de ce fait, toujours insisté sur la nécessité de dépenser la zakât localement d’abord, pour les pauvres et les nécessiteux du lieu, de la localité ou de la société dans laquelle elle a été prélevée. Ce n’est que lorsque les besoins locaux sont satisfaits que la dépense de la zakât peut se faire à l’étranger ou alors dans une situation d’exception lors d’une catastrophe naturelle, d’une guerre, etc.
Non seulement la zakât façonne la conscience sociale du musulman mais elle l’oriente également vers son environnement immédiat afin qu’il construise cette même conscience en faisant face aux difficultés et aux dysfonctionnements de sa société, de ses pauvres, de ses laissés-pour-compte. La zakât, à la différence de l’aumône libre (sadaqa), est destinée d’abord aux musulmans et la fidélité à son enseignement nous impose d’observer ce qui se passe autour de nous, dans notre communauté spirituelle la plus proche. Cette priorité de la proximité est fondamentale : elle impose de connaître sa société, de se soucier de l’état des musulmans dans son quartier, dans sa ville, dans son pays.
Or nous sommes bien loin de cela aujourd’hui. Dans la majorité des sociétés occidentales, comme à La Réunion, on rencontre des femmes et des hommes qui donnent la zakât à des œuvres caritatives dans le Tiers-monde ou dans leur pays d’origine. Ils se soucient peu de l’état de celles et de ceux qui vivent à côté d’eux et sont persuadés d’être dans le juste puisque ceux de là-bas sont plus pauvres que ceux d’ici. L’erreur consiste dans le fait d’oublier que les pauvres d’ici ont des droits (haqun ma’lûm) sur les riches d’ici. Rien n’empêche ces derniers d’envoyer des dons libres (sadaqât) aux pauvres du monde entier ou dans leur pays d’origine mais ils ont une obligation établie envers les nécessiteux de leur pays et à laquelle ils ne peuvent pas échapper : encore une fois, c’est, devant Dieu, le droit de leurs pauvres. On ne peut qu’être triste, et parfois révolté, d’observer combien les musulmans se soucient peu des réalités locales : obsédés par les affaires internationales et la situation des “musulmans de là-bas”, ils ne voient plus la réalité du déficit d’éducation, du chômage, de la marginalisation sociale, de la drogue, de la violence, des prisons dans leur propre société.
La conscience, en soi positive, du malheur de “leurs frères” ailleurs a eu cette conséquence très négative de les rendre passifs, négligents et inconscients de la situation de “leurs frères” d’ici. Il s’agit là d’un drame, d’une faute et, au fond, d’une trahison de l’enseignement fondamental de la zakât. Les associations islamiques ont une grande part de responsabilité dans cette dérive tant elles peinent à proposer un programme et des priorités de distribution de la zakât au niveau local, dans les villes et les régions. Une bonne compréhension de cette dimension de la zakât devrait façonner la conscience spirituelle et citoyenne de l’individu comprenant qu’elle/il doit s’engager dans son environnement, le comprendre et trouver les moyens les plus justes et les plus cohérents de distribuer cette taxe sociale purificatrice dans sa société, en Grande Bretagne, en France, au Canada, aux Etats-Unis et partout ailleurs.

Vers l’autonomie

Le troisième enseignement de la zakât est non moins important. Le principe n’est pas de maintenir le bénéficiaire de cette taxe dans une dépendance qui en ferait un assisté de la communauté spirituelle en particulier et de la société en général. Il s’agit bien d’accompagner les pauvres dans un processus d’autonomisation : dès le 8ème siècle des savants comme Sufyân ath-Thawrî parlent du fait qu’il s’agit de permettre aux bénéficiaires de la zakât de pouvoir parvenir à une situation financière où ils pourront à leur tour payer la zakât (c’est-à-dire d’atteindre le nissab - le minimum requis - en matière de gain). Distribuer la zakât doit se faire avec le souci de permettre à des femmes et à des hommes d’atteindre une autonomie financière et il ne peut s’agir de les “aider” en les maintenant dans un éternel état d’assistance.
Or c’est malheureusement ce que l’on voit partout dans les communautés musulmanes. On distribue, on donne mais sans aucune vision sur les processus d’autonomisation financière des bénéficiaires. La distribution est ponctuelle, chaotique et ne répond à aucune philosophie de l’action sociale. Ici encore le manque de connaissance, de créativité (quant à de nouvelle façon d’utiliser la zakât), voire la paresse, l’emportent sur l’étude du terrain : l’enseignement de la zakât est trahi.
Une distribution cohérente, raisonnée et juste de la zakât imposerait de connaître la situation spécifique des individus, la législation du pays en matière sociale, les systèmes d’allocations du pays et ce que les pauvres, les femmes abandonnées et seules, les chômeurs sont en droit d’obtenir par exemple. La distribution de la zakât doit faire partie d’une stratégie globale prenant en compte tous les moyens qu’une société offre pour passer de l’assistance à l’autonomie. Il est ainsi nécessaire de réunir des ulamâ’ et des spécialistes (des législations et des institutions nationales), des travailleurs sociaux et des femmes et des hommes de terrain pour avoir une vision plus globale et plus claire des stratégies à adopter en fonction des différents contextes sociaux. C’est en effet en tenant compte de tout ce que la société offre en matière de politique, de taxe et de soutien sociaux que la distribution de la zakât prend tout son sens : ainsi la zakât peut se présenter comme un soutien vers un projet d’autonomisation financière. Pour certains individus, elle peut se présenter comme un appoint ponctuel dans une situation transitoire ; ou comme partie, ou tout, d’un capital destiné à lancer un projet économique local ; ou encore comme un don conditionné à la réalisation d’une activité déterminée ; etc. Les options sont multiples, mais exigent une bonne connaissance de l’islam (concernant l’utilisation possible de la zakât) des législations et des réalités sociales locales et nationales. Toutes ces options requièrent, de fait, une spécialisation et de la créativité. On ne voit rien de tout cela aujourd’hui et la zakât, dans l’esprit de la majorité des musulmans, est devenu une simple aumône pour assistés et non un outil exigeant au service d’une philosophie de l’action sociale. Non seulement la distorsion est grave mais il apparaît souvent que les usages actuels sont contre-productifs.

Une réflexion sur le troisième pilier de l’islam nous montre combien nous sommes souvent très loin des simples exigences d’une pratique profonde et intelligente. Nous respectons les formes... de moins en moins le fond. Reste qu’un jour, dans une Vie au-delà de cette vie, nos voisins, nos pauvres, nos marginalisés, nos chômeurs, nos femmes abandonnées et seules, nos drogués, nos délinquants poseront à l’Unique, l’unique question qui compte : au nom de quelle foi avons-nous été si plein d’émotions passives pour les oppressés de la planète et si vide d’intelligence et d’attention respectueuse et active pour eux, qui vivaient à nos côtés, et que nous ne voyions pas ? C’est en effet la seule question qui compte quand on se souvient que le Prophète de l’islam (PBSL) ne cessait de demander au Très-Rapproché de lui offrir “la richesse du cœur” et “l’amour des pauvres”. Il faut commencer par là : réapprendre à aimer, réapprendre à aimer les démunis. Alors chacun réalisera que cet amour et le juste traitement que les pauvres méritent sont très exigeants et pas si faciles... lorsque que ceux-ci vivent au seuil de nos portes. Cet amour et ce respect ne sont-ils pas le jihâd permanent du cœur, de l’esprit et de l’âme du musulman contemporain ?

Présence musulmane


Une question à Teddy Soret

Permettez à un responsable syndical, également représentant du personnel du lieu d’exercice de sa profession, et qui en principe devrait se garder de prendre part publique au débat politique, de vous poser une question, une simple question, dans le contexte des prochaines cantonales partielles de Saint-Paul, concernant la conscience que vous avez de votre mission d’élu, mission pour laquelle vous briguez à nouveau le suffrage des électeurs, et l’estime en laquelle vous tenez les obligations, jusqu’aux plus modestes, qui sont les vôtres. Alors que le Département est désormais en charge de l’Agriculture, pourquoi n’avez-vous jamais daigné siéger au Conseil d’Administration de l’Établissement public local d’Enseignement et de Formation Professionnelle Agricole de Saint-Paul, c’est-à-dire pourquoi, alors que le Conseil Général vous y mandatait, et après tout vous êtes indemnisé pour cela aussi..., n’avez-vous jamais cru bon devoir vous y rendre, en assurant ainsi l’absence regrettée du partenaire institutionnel et privilégié du monde agricole qui vous y déléguait ? Les personnels de cet établissement, les citoyens que nous pourrons toucher, seront bien sûr attentifs à votre réponse, que nous espérons publique, avant que ceux d’entre eux qui voteront le 30 octobre n’en prennent définitivement leur parti. Car, il vous faut le comprendre, sur cette attitude individuelle, c’est bien sûr, outre la vôtre bien sûr, la crédibilité du Conseil général qui se trouve aujourd’hui entachée, et par les temps qui courent, l’une comme l’autre devient un bien précieux.

Dominique Herrbach
Représentant du SNETAP-FSU au Conseil d’administration du LEGTA de Saint-Paul


“L’Enfance volée des Réunionnais de la Creuse”

Une histoire à reconquérir

“L’Enfance volée des Réunionnais de la Creuse” : le film de Gilles Amado, diffusé mercredi dernier sur Télé Réunion, a permis à beaucoup d’entre nous de prendre la véritable dimension du crime perpétré contre les enfants réunionnais et leurs familles dans les années 60 et 70 : celle d’un véritable crime d’État. Le fait que celui-ci refuse d’en assumer la responsabilité historique n’est qu’une manifestation de plus de ce “refoulé” colonial (et post-colonial) dont souffre jusqu’à aujourd’hui la société française (1).

Ce “refoulé” s’appuie, entre autres supports, sur des travaux d’historiens qui ne contribuent pas à clarifier le passé, visitant l’histoire avec des préjugés qu’ils masquent sous l’autorité de la recherche scientifique. Ainsi dans le film “L’Enfance volée...”, un historien n’hésite pas à soutenir que Michel Debré "parle des pupilles et des orphelins sans aucune attache familiale, (et) d’amener ces enfants en France métropolitaine de manière à leur donner une chance supplémentaire de réussir leur vie". "Sans aucune attache familiale" : les adultes d’aujourd’hui - “enfants de la Creuse” d’il y a trente à quarante ans -, qui souffriront toute leur vie d’avoir été arrachés à leur famille, doivent être révoltés par une version de leur histoire aussi monstrueusement fausse !

Une des forces de ce film est précisément de bien montrer, au travers des discordances entre les différents témoignages (2), que la vérité de ce sordide forfait d’État ne coule pas de source, mais qu’elle est à conquérir, contre les travestissements de l’histoire, les faux-fuyants, les cynismes... C’est le but ultime de celles et ceux qui se battent pour se réapproprier leur existence. Le chemin de lutte sera long, qui aboutira à la reconnaissance et à la réparation. Mais leur combat doit être celui de La Réunion entière, pour l’intégrité et la dignité de tous les Réunionnais, qu’ils soient ou non des “enfants de la Creuse”.

(1) Voir par exemple “Témoignages” du 5 avril 2005 (“Non à l’enseignement d’une histoire officielle coloniale”)
(2) C’est le directeur du Bumidom (de 1963 à 1982) qui déclare quant à lui que "les enfants qui étaient en danger moral étaient retirés de la famille".

Alain Dreneau,
Le Port


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