Le courrier des lecteurs du 23 juillet 2005

23 juillet 2005

(page 10)

Une belle promenade dans notre mémoire historique

Avec un groupe d’amis portois, j’ai profité d’une matinée disponible ce 14 juillet non pas pour aller voir un défilé militaire (... pour célébrer l’anniversaire d’une révolution ? non merci...!), mais plutôt pour faire une balade à pied sur le chemin Crémont reliant La Possession à Saint-Denis par le plateau de La Montagne qui domine la Route du littoral.
Ce chemin porte également le nom usuel de “chemin des Anglais” ; une dénomination contestée par les historiens, d’autant plus que cette voie a seulement été empruntée par les troupes britanniques en 1810 lorsqu’elles ont mis la main sur l’île en empruntant le parcours entre La Grande Chaloupe et la Redoute à Saint-Denis.

Chacun de ces pavés...

Cela faisait déjà plusieurs années que je n’avais pas fait cette promenade, en particulier sur la portion comprise entre La Possession et la Grande Chaloupe, que j’ai déjà parcourue à plusieurs reprises. Mais c’est toujours avec la même émotion que je marche sur ce chemin, dont on sait qu’il a été tracé et pavé par des esclaves au début du 18ème siècle.
Il est difficile de marcher sur ce sentier sans penser au fait que chacune de ces roches et chacun de ces pavés ont été taillés, transportés et mis en place par des personnes, nos ancêtres, qui étaient considérées par la loi - le Code noir - et par les défenseurs de cette loi raciste non pas comme des êtres humains, mais comme des meubles.
À chaque pas, on pense à ces hommes, ces femmes, ces enfants qui ont trimé là comme des animaux, qui ont reçu des coups de chabouc et des insultes, qui sont morts d’épuisement. Cette randonnée est une plongée émouvante, touchante, au cœur de notre mémoire historique.

C’est magnifique

La première fois que j’ai fait ce parcours, c’était il y a une trentaine d’années. L’état du chemin était déplorable. C’était une étroite piste entre des arbustes et de hautes herbes, la plupart des pavés étaient descellés et éparpillés. Ce haut lieu de la mémoire historique réunionnaise était totalement délabré, abandonné en ruines, comme les lazarets de la Grande Chaloupe. Un vrai scandale, que “Témoignages” avait dénoncé à l’époque.
Depuis, un gros travail de réhabilitation a été réalisé sur ce chemin. Sur la totalité du parcours, entre La Possession et La Grande Chaloupe, il a retrouvé sa largeur initiale, de trois à quatre mètres. Il a été nettoyé et plusieurs portions du dallage ont même été totalement refaites, avec un pavage presque lisse comme celui des nouvelles rues piétonnes de nos centres-villes. C’est magnifique et on prend encore plus de plaisir à faire ce parcours en admirant le paysage environnant, avec notamment une vue sur la ville du Port au loin.

Des travaux à financer par l’État

Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire, en particulier sur la portion comprise entre la crête qui domine la vallée de la Grande Chaloupe et le fond de la vallée. Mais il faut saluer et remercier toutes les personnes qui ont déjà contribué à cette magnifique réhabilitation.
De même, on peut se féliciter du début de réhabilitation entrepris sur les lazarets de la Grande Chaloupe, un autre haut lieu de la mémoire réunionnaise, dont les ruines et l’envahissement par la végétation sont à la fois une injure à nos ancêtres et un témoin touchant de notre passé. Là aussi il reste beaucoup à faire pour redonner à ce lieu une apparence digne et respectueuse de nos ancêtres qui ont connu la terre réunionnaise en cet endroit.
Mais la question qui se pose à présent est de savoir comment vont se poursuivre ces chantiers pour réhabiliter entièrement le chemin Crémont et les lazarets. Sur le chantier de la restauration de l’infirmerie du premier lazaret, vingt personnes ont pu être embauchées par les différents partenaires de cette action. Mais on peut imaginer qu’il y a du travail pour des centaines de personnes sur la réfection du chemin Crémont et des lazarets, et du travail pour des milliers de personnes sur des chantiers de ce type dans toute l’île.
Seulement, si le gouvernement supprime les CEC et les CES, s’il rend plus difficile pour les associations et pour les collectivités l’embauche de personnes sur ces chantiers d’intérêt général, comment pourront être financés et se faire ces travaux qui apportent un plus au patrimoine naturel et historique réunionnais ?
Ces travaux sont à financer par l’État. Cela fait partie de la réparation du crime contre l’humanité que fut l’esclavage à La Réunion.

Laurent Sparton,
Le Port


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