Le courrier des lecteurs du 24 decembre 2005 (suite)

24 décembre 2005

Noël à la salle Candin

Le drame de la salle Candin est bouleversant à plusieurs titres : Le meurtrier a choisi un moment hautement symbolique pour exprimer sa vengeance : Noël, la fête des enfants, les cadeaux devaient être remis aux enfants des employés de cette entreprise, fin de la joie, fin de la fête. Les meurtres (ou tentatives) des responsables de l’entreprise ont eu lieu en public, spectacle imposé auquel personne n’a voulu croire.
Enfin, le meurtrier a été abattu le soir même par les hommes du GIGN, on apprend qu’il a été licencié de la société en 2001.
Au-delà de l’atrocité des faits, ce drame doit interpeller la société toute entière. Comment cet homme a-t-il pu en arriver là ? On apprend par bribes qu’il a été licencié après 20 ans de carrière, qu’il était syndicaliste et a toujours défendu les autres dans son travail, qu’il était quelqu’un de secret et ne s’exprimait pas sur lui-même, sur ses problèmes, que jamais les gens qui le connaissaient n’auraient pu imaginer ça ! C’est bien cela le problème, on ne peut deviner ce qui se passe dans la tête des gens et d’ailleurs on ne veut surtout pas le savoir, par manque de temps, manque de compassion, peur de recevoir des ondes négatives, d’être “contaminé” par le mal être de l’autre, etc...
Tant que les gens souffrent en silence, la société se porte bien, mais entendre la souffrance des autres, c’est intolérable, on se bouche les yeux, le nez, les oreilles. Le sang qui a coulé dans un froid déchaînement de violence nous a hélas fait connaître l’existence d’un homme qui avait une histoire et qui était tombé dans l’oubli, l’anonymat. Son crime à l’encontre des responsables de l’entreprise ainsi que sa mort qui ressemble à un suicide, lui ont permis de retrouver une forme d’identité. Jean-Philippe Baptiste, l’homme discret est mort dans un chaos indescriptible. Qui n’a pas connu de licenciement ne peut comprendre le désespoir d’un chômeur. Tout licenciement est vécu comme un drame, une perte d’estime de soi, une perte de nombreux repères. Tout licenciement est lié à un sentiment d’injustice et un désir de vengeance, quelle qu’en soit la nature. Heureusement dans la plupart des cas, on se limite à jeter un sort, à souhaiter beaucoup de mal physiquement, moralement et financièrement au responsable de notre souffrance, mais parfois, les licenciements sont suivis d’actes violents. La société prend les hommes et les jette quand ça l’arrange. On est effaré quand on voit les violences, le déferlement de haine dans les banlieues. Malgré la répulsion et l’angoisse que ces spectacles inspirent, je dirais que ces violences sont encore un signe de vie et le signe qu’il faut agir en faveur du développement de la vie et non pas de la haine. Une société de moutons et de zombies, est-ce cela que nous voulons ? Une société de fauves fanatisés, est-ce cela que nous voulons ? Alors, pour éviter ces cas de figures qui pullulent et déboucheront sur un océan de sang et de néant, il est temps de s’occuper de ceux qui vont mal. S’occuper de ce qui se passe dans la tête des gens, les exclus ou en passe de le devenir. II faut des structures pour l’écoute, pour la parole, pour soigner les âmes blessées et aussi de nombreuses structures pour les remettre en selle, pour l’insertion ou la réinsertion sociale, car les minima sociaux ne sont qu’une pauvre béquille. Pour mieux comprendre le problème, plusieurs films excellents : “Ressources humaines” qu’on trouve à la médiathèque de Saint-Denis, “le Couperet”. Consultez aussi “actuchomage.org” sur le net. C’est édifiant. Pour qu’on en finissent avec de tels drames.

Une chômeuse


Attention catastrophe écologique : “Forêt de Petite France” en grand danger

Cela faisait bien des années que je n’étais pas allé arpenter la forêt de Petite France grâce au repérage pour le film court-métrage sur notre patrimoine.
J’ai pu constater les dégâts et les dangers que court la forêt de Petite France abandonnée à elle-même.
Durant toute la dernière moitié du 20ème siècle, l’artisan principal de la mise en valeur de cette forêt fut incontestablement Jacques Lougnon qui s’était lui-même dénommé le “Vieux Tangue”
Cet homme vénérable à l’image de sa forêt, qu’il choyait de ses soins attentifs et avec l’aide de ses fidèles ouvriers, avait reconstitué avec ses propres deniers (qui ne venaient pas de l’héritage mais de son salaire de professeur) un domaine forestier privé - modeste à l’échelle nationale mais impressionnant pour notre petite île - avoisinant les 600 hectares.
Après la guerre, personne ne voulait de la terre des hauts.
Il fit aussi travailler jusqu’à une bonne trentaine d’ouvriers, de colons, d’aides forestiers qui mirent en valeur le domaine.
Ce n’est pas avec le domaine qu’il vivait ou s’enrichissait, il tenait le coup grâce à sa retraite de fonctionnaire qu’il réinvestissait en fonds propres dans sa propriété.

La forêt de Petite France est un cœur divisé en 2 parties : la gauche et la droite.
Celle de gauche amenait au lieu-dit “Plateau Fougères bleues” (par l’Ilet Le Mar). Les fougères ayant une couleur resplendissante légèrement bleutée.
En ce lieu-dit enchanteur, des bardeautiers et autres ouvriers de forêt exploitaient le tamarin des hauts, les calumets et le charbon de bois... En effectuant ce travail, ils embellissaient la forêt, lui donnant une âme, celle du travail qui résonne. Oh non ! il ne s’agissait pas d’une exploitation forcenée, mais d’une exploitation mesurée et par rotation qui respectait les sites permettant la régénération des arbres et la protection des tamarins les plus vénérables.

Jacques Lougnon avait réalisé un sentier historique en donnant un nom à chaque tamarin, celui des premiers habitants de l’île. Je me rappelle encore “d’Avril”... venant de Jerseyou plus cocasse du “Tamarin fesse”. Car si les Seychellois ont leur "coco fesse"... les Bourbonnais ont aussi leur particularité, disait-il dans cet humour qui caractérisait les vieux créoles.
La forêt était couvrante, le bijou était le bois touffu de calumets parsemé de petites clairières, lieu fréquenté par les Tec-tecs, où l’on se sentait comme dans un petit paradis.
Un peu plus haut, la forêt gérée par l’ONF était en comparaison mal entretenue (version macotte administratif).
Dans certains sous-bois (de couleurs) fleurissait des orchidées uniques au monde qui firent la joie des naturalistes lors d’une réunion qu’ils eurent, installés en rond, sur des rondeaux de bois - pour l’anecdote - un peu a la façon où nous fûmes assis à l’entrepôt lorsque nous reçûmes Pierre Dubois... Mais les rondeaux de l’entrepôt étaient plus maigres et Dubois mal assis.

Le côté droit de la forêt fut exploité plus tardivement, des esquisses de sentiers furent tracées, les fleurs en forme de clochettes étaient nombreuses et les bardeautiers faisaient leur cuisine dans la carcasse d’une ancienne voiture à traction... dans un cadre pittoresque profondément créole des hauts.
Les chemins étaient verts, bordés de fleurs, porteurs de ce charme indescriptible d’une forêt immaculée, vierge et réceptrice.
Au pied des grands tamarins, les travailleurs foulaient l’avoune ce trésor végétal haut de plusieurs mètres, cette peau protectrice de la forêt emplie d’humus qui s’est constitué sur des milliers voire des dizaines de milliers d’années. Un réservoir d’énergie vitale pour la pousse des tamarins.

Jacques Lougnon ayant préparé sa succession, vendit à bas prix son domaine côté cœur gauche et droite à des privés en espérant qu’ils prennent soin de cette succession. Lui qui incarnait par sa présence, son amour et son travail incessant.
L’âme pour l’embellissement et l’utilité de la forêt de Petite France.
Véhiculant par formation et conviction les vertus impulsées par les anciens Grecs dont il s’inspirait dans son cheminement de vie.
Mais, si comme le dit l’adage (à tort ?), "personne n’est indispensable", lorsque le maître des lieux disparu (il souhaitait être enterré comme Madame Desbassyns, mais sous la chapelle de Petite France, qu’il construisit de ses propres mains), l’entretien des chemins, des sentiers ne furent plus le même.

Dans cette dégradation du site, la partie droite au-dessus de l’ancien hôtel du Maïdo est en grand danger.
Sur les chemins forestiers qu’il traça, des “quads” par dizaine avec leurs grandes roues destructrices labourent, piétinent chaque jour les chemins qui deviennent poussière sur poussière.
Lorsque plusieurs quads sont en action, ils font penser à des frelons destructeurs, des cohortes de tronçonneuses dont le bruit dérange les amis de la forêt (voici le film pour enfant “Zak et Christa”).
Le plus grave, le plus tangible pour les rationalistes qui devraient comprendre, sont les dégâts collatéraux, écologiques et irrémédiables. Les chemins se ravinent, des lieux où l’avoune était maîtresse, ils ont été souillés, détruits, saccagés pour faire plaisir à l’industrie touristique à court terme, dévoreuse de sensations !
À moyen terme vecteur de mort pour la forêt, ces chikunguyas sur roues véhiculés par des 2 pieds sans conscience.
Toujours la sensation souvent stérile, jamais la réflexion fécondatrice, car les passages répétitifs des quads tuent l’écologie de la forêt, créent les béances fabriquant négativement en quelques années une érosion qui n’auraient pas dû se faire, sacrifiant la forêt dans ce qu’elle a de plus essentiel et ce n’est pas faute de l’avoir déjà dit.
Ainsi, ils sont arrivés en très peu de temps à détruire ce que la nature avait mis des dizaines de milliers d’années à construire, et le travail laborieux et constructif d’un siècle des forestiers créoles, sous l’impulsion de Jacques.

Et il s’agit là d’un risque de perte irrémédiable du patrimoine naturel de La Réunion ! À une époque de discours sur l’identité et l’utilité publique, il est important de réagir ! Car cela est scandaleux et personne ne bouge.
L’ONF (ce n’est pas son domaine... pour une fois, elle n’est pas responsable), le Parc des hauts (à quoi sert il ?), la Région, le Département, la commune, le CTR, les services de l’aménagement des hauts ?
Où sont les responsabilités ?
Les associations pour la protection de l’écologie, où sont-elles ?
En attendant, la vénérable forêt de la Petite France est attaquée, souillée au nom du plaisir et de la rentabilité (à court terme).
La forêt est un trésor pour ceux qui aiment la contempler et communier avec elle, une richesse pour l’exploitation des forestiers et des travailleurs qui la protégeaient...
L’Homme en a fait un lieu de plaisir éphémère et corrosif, sans identité profonde, et lorsque les cyclones reviendront sur l’île, ils emporteront tous les chemins forestiers que les quads et même les vélos tous terrains n’auraient jamais dû emprunter.
La forêt comme la beauté est fragile.
Aussi, j’en appelle à tous, hommes et femmes, les décideurs sincères et amoureux de leur île de tous bords à prendre les mesures de responsabilités et engagements qui s’imposent et suis prêt si nécessaire, à les accompagner “in situ”, pour leur montrer les preuves de tout ce qui a été écrit.

Christian Vittori


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus