Le courrier des lecteurs du 24 novembre 2005

24 novembre 2005

... D’un moustique, et d’un seul !

Tous ceux et toutes celles qui ont séjourné à l’Île Maurice ces dernières semaines ont pu le constater : ils n’ont trouvé aucune trace de chikungunya. Personne n’en parlait. Même pas la presse ! Alors qu’ici, à l’inverse, depuis des semaines et des mois, on ne cesse d’en parler. À ce point d’ailleurs, à faire le compte, il doit y avoir bien plus de lignes écrites - dans la presse, dans les échanges de courriers et ailleurs - sur cette maladie qu’il y a de moustiques.
Tout cela est bien curieux. D’autant que cette maladie et son fameux moustique nous seraient venus d’Afrique, via les Comores ou les Seychelles - donc de l’Ouest et du Nord - et seraient passés plus près de Maurice que de nous. Ajoutez à cela le fait qu’il arrive à Maurice bien plus d’avions en provenance de l’Afrique de l’Est : il en débarque des milliers de voyageurs chaque semaine à Plaisance. Alors qu’ici, c’est d’Europe - réputée saine - qu’il nous en arrive.
Ne parlons pas des moyens : La Réunion, "département français", "plate-forme avancée de l’Europe", dispose des moyens de la grande puissance qu’est la France et même de ceux de l’Europe tout entière. Alors que Maurice... En termes d’équipements sanitaires, de moyens humains et de sommités en la matière, il n’y a pas à dire, "il n’y a pas photo".
Et pourtant ! C’est ici que le moustique a trouvé refuge après avoir franchi sans encombres les barrages de la PAF et autres services officiels d’immigration et que, semble-t-il, immigré clandestin et sans papiers, il s’y soit installé durablement.

Ce qui était jusque-là incompréhensible est devenu depuis quelques jours d’une clarté aveuglante : ce n’est pas une question de moyens, c’est tout simplement une question de... compétences ; plus précisément de savoir qui fait quoi ! De savoir qui doit faire, qui ne doit pas faire !
Au fond, les moyens sont là ; le savoir, les personnes, les moyens techniques : tout y est. Même les moyens juridiques : on a bien su déterrer une vieille loi de circonstance pour proclamer l’état d’urgence ; on aurait pu, dans le même mouvement, décréter l’état d’urgence sanitaire en application d’une loi existant depuis la même époque. Non, on ne l’a pas fait. Parce que l’on ne savait pas qui devait le faire, du gouvernement et de son représentant à La Réunion, du Département, des communes...
Cette méconnaissance a donné lieu à des échanges épistolaires entre tout ce monde. On a même fait appel à Paris, semble-t-il, pour trancher ce nœud gordien du partage des compétences, voire en la circonstance, d’incompétences.
Et pendant ce temps, le moustique, lui, ne se posant aucun de ces problèmes, était à l’ouvrage, s’en donnant même à cœur joie.... On en connaît le résultat.

Voilà La Réunion du troisième millénaire : pour planter un clou dans une porte, il faut savoir qui est propriétaire de la porte, qui tient la porte, qui tient le clou, qui manie le marteau et qui, c’est le plus important, donne l’ordre d’enfoncer le clou ! Parfois même, on fait appel à des missions-bœing pour nous dire comment ouvrir la porte, en attendant une autre qui viendra nous dire comment la refermer.
Cela est si vrai qu’en même temps que le chikungunya, un débat de même nature opposait le maire de Saint-Paul et le sous-préfet, voire le Département, sur la question de savoir à qui revenait la tâche - pardon, la compétence - de déboucher l’embouchure de l’Étang Saint-Paul afin de dégager les cours inondées des riverains et transformées en frayères de... moustiques !
À Maurice, pays réputé pauvre, on ne s’est pas embarrassé de tout ça : dès la première alerte, il y a de cela 8 à 9 mois, le gouvernement, Premier-ministre en tête, s’est mobilisé et s’est saisi de l’affaire ; le nouveau gouvernement ne s’est pas posé de problème de compétences... On en connaît le résultat : jusqu’à nouvel ordre, le chikungunya est indésirable à l’Île Maurice.
À part ça, nous, "département", "plate-forme avancée", on est les meilleurs. Et même, les plus meilleurs !
Comment i dit encore ? "Tortie i voit pas son ké, cazou i voit pas son k...".

Georges-Marie Lépinay


L’intolérable est là...

Fréquenter une école privée est devenu aujourd’hui un privilège. Aussi, il est intéressant de prendre du temps pour observer quelques instants les cours de récréation. Le constat est parlant, on ne voit souvent qu’une population monochrome, à la différence de la population de notre île. Ces enfants mènent avec leur cartable tous les lieux communs qui fondent leur primo éducation. Un parent engagé dans l’association de parents d’élèves d’une de ces écoles me rapportait un incident incongru dans une école qui affiche son caractère catholique. L’institutrice de cet établissement oblige les enfants à s’aligner en rang, 2 par 2, et c’est en se donnant la main qu’ils rentrent dans leur classe et prennent leur place respective. Le hasard a fait qu’un élève blanc avait comme vis-à-vis un joli petit noir. Le petit blanc n’a jamais voulu donner la main à son jeune condisciple, en arguant avec beaucoup de dédain que "ses parents l’en empêchaient". "Je ne donne pas la main à un noir !". Faut-il s’en offusquer ? Crier au scandale ? Comment apporter une réponse pédagogique et éducative, pour que la fraternité aide à dépasser cette hétérophobie ? Un enfant n’est pas, ou ne peut pas être raciste ? L’éducation, celle qui va le construire, doit l’aider à dépasser cette peur de l’autre. Malheureusement, cette attitude reflète celle de la France qui oublie trop souvent qu’elle est plus grande que ses étroites frontières hexagonales. Qu’elle n’est pas blanche, qu’elle est aux multiples couleurs, qu’elle n’est pas seulement chrétienne, qu’elle est polyglotte. Madame Taubira Delanon nous le rappelait brillamment en quelques démonstrations, en expliquant que : "La France s’invite à la table des grandes nations aux nombres de kilomètres carrés de zones économiques exclusives, parce que ces nombreux TOM et DOM, dispersés de par le monde lui en donnent cette opportunité...". L’enseigne-t-elle ce privilège ?
"La France s’invite à la table des premiers pays à maîtriser le nucléaire autant civil que militaire, elle acquit cette maîtrise en menant ses expériences, en mettant en danger les îliens du Pacifique, à Mururoa...". En prend-elle conscience ? Partage-t-elle cela dans les manuels scolaires ? Comment peut-elle nous en remercier ?
"La France s’invite à la table des grandes nations lanceurs de satellites, parce qu’elle possède à Kourou, un lieu idéal pour ce type d’activité...". Comment nous exprimer cette gratitude ? La diffuser dans la conscience de son propre peuple ?

La France moderne s’est constituée avec la force de travail de tous ceux là qui ont quitté leur pays, leurs cultures, ils sont venus affronter les rigueurs climatiques de l’hexagone, dans des emplois subalternes et souvent ingrats, jusqu’à ces ratés de l’économie où le chômage de masse a fait irruption sur la scène sociale. Aujourd’hui, des jeunes Français qui donnent valeur à l’échelle chromatique de la France n’en peuvent plus, de n’être pas reconnus, car demain n’est plus gros d’espoirs d’un mieux être. Alors la révolte gronde. De par leur histoire, leur couleur qu’ils portent en bandoulière, ils ne sont pas de plein pied avec la culture figée de cette France amnésique des espoirs qu’elle a fait naître dans les colonies qu’elle a laissées exsangues. Les bâtards d’hier revendiquent leur pleine filiation légitime. Que répond-elle ?
"Dans l’étrangeté de l’autre, on risque d’hésiter soi-même... Il faut qu’il ait tort, pour que mon ordre soit bon... Il faut que le sien soit soumis, puisque son anormalité met mes propres normes en péril... Le racisme se traite par une hygiène mentale, il faut que l’on donne une éthique du vivre ensemble et de l’ordre humain". (Albert Memi, “Le Racisme”).
Le philosophe va encore plus loin, il préconise : "Apprendre aux enfants à ne pas avoir peur des différences, mais à en jouir, c’est-à-dire à aimer autrui. Car aimer véritablement quelqu’un, ce n’est pas simplement ou seulement y rechercher sa propre image, ce qui serait s’aimer soi-même à travers lui, mais l’aimer dans ce qui n’appartient qu’à lui, c’est-à-dire dans ses traits différentiels... C’est au nom de la différence que l’on opprime, que l’on spolie et que l’on tue, que l’on justifie les guerres contre les étrangers et que l’on persécute à l’intérieur même. Il faut tout faire pour que les hommes cessent d’être armés les uns contre les autres". (Albert Memi, “Le racisme”)
Somin Gran bwa sa le long, ti pa, ti pa, na rivé.

Alex Maillot


Les Misses appâts

Les Misses ont des appâts, toujours mis en valeur par leurs apparitions en maillot de bain et apparemment elles devraient servir d’appâts pour faire venir des touristes dans notre île.
Il nous semblait que pour donner envie de visiter un pays, il était bon de vanter ses paysages, sa cuisine, ses monuments, sa culture. On va au Cambodge pour contempler les temples envahis par la jungle et bien-sûr pour Angkor, on visite Paris et la Tour Eiffel, à Londres il faut photographier Buckingham et les horses guards, les rizières en terrasses font le charme de Bali. La Réunion offre à ceux qui font le voyage un volcan et une Plaine des Sables uniques, des forêts primaires luxuriantes, des randonnées inoubliables et variées, de ravissantes cases créoles dans des jardins écrins, une cuisine savoureuse et colorée comme les habitants.
Il faut croire que ce n’est pas suffisant comme arguments, alors nous avons vu débarquer une quarantaine de poupées barbies qui ont barboté dans les rivières, arpenté les marchés et souri à tous les photographes mobilisés pour la circonstance. Où sont les atouts réunionnais là-dedans ? Les prochains visiteurs croiront-ils que sur le sable de Saint-Gilles, il y a en permanence 45 naïades qui prennent la pose ?
À l’UFR, nous avons déjà défini notre position vis-à-vis de ces concours de Misses basés uniquement sur le physique. Bien-sûr, les candidates sont majeures et ont fait le choix de se faire détailler de la tête aux pieds pour avoir l’honneur de mettre un diadème en toc sur leur chevelure. Il n’empêche que chaque élection ressemble plus à une exhibition qu’à un spectacle sophistiqué comme peut l’être un défilé de mode.
Quelles seront les séquences vedettes du film tourné sous nos cieux ? Les charmes des demoiselles ou les paysages les plus typiques ? À vérifier...
Enfin, associer constamment l’image d’une jolie fille au produit que l’on veut vendre est symptomatique d’un état d’esprit traditionaliste. La femme objet de désir met en valeur la voiture, le frigidaire, le yaourt, le gel douche et le Piton de la Fournaise.
Bonjour les stéréotypes et pleins pouvoirs à la démagogie de la publicité.
Vous nous direz que la plupart des gens ne raisonnent pas ainsi, qu’une Miss est plus agréable à regarder qu’un moustique porteur de chikungunya...
Nous, nous militons pour le respect dû aux femmes et contre les manipulations médiatiques qui continuent à en faire de séduisantes figurines sans revendications.

Pour l’UFR,
Marie-Hélène Berne


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