Le courrier des lecteurs du 25 juillet 2005

25 juillet 2005

(page 10)

La maladie "honteuse"...

Enfin ! J’ai compris la raison de ce tohu-bohu à propos de l’émission de Georges Pernoud, “Thalassa”, consacrée à La Réunion : "si, dans votre famille, vous avez quelqu’un qui souffre d’une maladie honteuse, allez-vous le publier ?". (Un courrier de lecteur paru dans la presse).
Ben oui ! Il suffisait d’y penser : le syndrome de la maladie "honteuse" !! Ce qui renvoie à une expression réunionnaise bien connue : "minme si lé vrai, ça i dit pas !...".
Commençons par la futilité : les requins qui ont provoqué le courroux du CTR. Cela existe bien. Tout le monde le sait ici, car ce ne sont tout de même pas les macabits qui croquent les planches de surf, ni les capucins carêmes qui s’attaquent aux surfeurs et aux baigneurs jusqu’au bord des plages. Oui, mais, "minme si lé vrai, ça i dit pas !".
Et l’on ne peut que condamner ce journal qui a eu la malencontreuse idée de publier la photographie d’un requin se promenant sur le bord de la plage de Saint-Leu, juste à côté de l’endroit où des surfeurs s’adonnaient à leur sport favori. À moins bien-sûr qu’il l’ait pris pour une sardine voulant boucher le port de Saint-Leu !

Quant aux propos tenus par cette dame de Sainte-Marie (que je ne nommerai pas, par charité humaine, voire chrétienne) qui ne sont ni beaux, ni acceptables - hier comme aujourd’hui ou demain - tout le monde ici sait bien que cela existe ; qu’ils ne sont pas proférés par cette seule dame, ni même dans la seule commune de Sainte-Marie, ou qu’il s’agit encore moins de propos relevant d’un passé révolu. La preuve, ce sont des propos au même caractère raciste qui fusaient sur une radio et ce à l’encontre des originaires de Madagascar, au lendemain du 26 juin. Cela n’a pas dérangé outre mesure le "patron" de cette radio. Ou encore ce "mur de la honte" construit à Saint-Pierre, pour séparer les "uns" des "autres" (1).
Non, on ne peut tout de même pas oublier, ou faire semblant de ne pas savoir, que l’Histoire de La Réunion s’est constituée sur l’esclavagisme jusqu’au milieu du 19ème siècle, puis l’engagisme pratiquement jusqu’au milieu de 20ème, et depuis, sur ce qui n’est qu’un "transfert de population", appelé d’abord "migration" et plus récemment "mobilité". C’est cela notre histoire et qui constitue, même si certains veulent à tout prix le nier, notre patrimoine, génétique et culturel, à nous, Réunionnais, filles et fils, à la fois et à des degrés divers, d’esclaves, d’engagés, de maîtres et d’autres encore. Alors, croire, que d’un coup de baguette magique - la départementalisation et même, aujourd’hui, l’Europe, car nous sommes des Européens, cela va de soit - on peut effacer tous ces stigmates, c’est vouloir prendre des vessies pour des lanternes.
Cela est si vrai qu’il faudrait même parler du mépris, voire du racisme à l’égard des Réunionnais en général. Mais "minme si lé vrai, ça i dit pas !". D’autant qu’en la circonstance, on risquerait de se faire accuser de... racisme !

Alors, les "mésalliances" ? Bien-sûr que c’est une question qui existe à La Réunion, elle est le pendant de la reconnaissance ou non du métissage, voire de son degré..., car on a bien le "droit" et la "liberté" de choisir son degré, son mode et son type de métissage non ? Et ce n’est pas simplement et seulement une question de couleur, soit dit en passant.
Malgré tout, pour beaucoup, "minme si lé vrai, ça i dit pas !" !
Et dans tout ce tintamarre, on aurait tendance à oublier les propos de cette dame concernant les travailleurs, tant il est vrai qu’ils relèvent de lieux communs. Qui, par exemple, n’a pas dit, au moins une fois depuis le début de l’année, que l’on "ne trouve plus de travailleurs à La Réunion" ? Que les "gens" aujourd’hui "préfèrent rester au chômage" ou qu’ils "préfèrent le RMI" ? Le pire, c’est que même des salariés, qui triment à longueur de journée, disent de telles choses, oubliant qu’ils risquent eux-mêmes demain de se retrouver à la rue (2). Quant aux horaires de travail, le fait que cette dame regrette le temps passé, c’est que, probablement, cela n’a plus cours chez elle, et c’est tant mieux. Mais est-on vraiment sûr, qu’aujourd’hui, à l’ombre de "grandes" maisons, mais aussi de "petites", il n’y a plus de cuisinières, de "personnel de maison" soumis à ce traitement "lontan" ? Et sur des chantiers ou dans certaines entreprises ?
Au fond, cette dame n’a fait que dire ce que beaucoup disent aujourd’hui, presque tous les jours, à propos des travailleurs, à propos des chômeurs ou des allocataires du RMI. Elle n’a donc dit que des... "banalités" ! Oui, mais... "minme si lé vrai, ça i dit pas !".

À plus forte raison à la télévision, dans une émission écoutée à travers le monde. Parce que parlant de "ce qu’il ne faut pas", comme ça, tous azimuts, cela fait craqueler notre vernis du "métissage exemplaire", de "bonne entente", de "tolérance", etc... Et cela nous renvoie à la figure, comme un miroir, des morceaux, peu ragoûtants, de nous-mêmes. Au fond, c’est bien là La Réunion qui veut se donner en exemple au monde ; celle dont "le tête lé bien peigné", mais qui connaît que son "dessous lé farfouillé". Alors, "minme si lé vrai, ça i dit pas !".
Le plus curieux dans toute cette lamentable histoire, c’est que le Réunionnais n’est pas seul atteint par ce syndrome de la "maladie honteuse" : les nouveaux arrivants ont été les premiers à monter en guêpes. Et parmi eux, un "originaire de l’île Maurice" qui, durant tout son séjour dans l’île sœur n’a pas dû quitter la zone sous douane de Plaisance, autrement, il se serait tu. Car c’est connu, le racisme, cela n’existe pas à l’île Maurice ; des spécimens comme cette dame, cela n’a jamais existé dans certains campements luxueux - et même moins luxueux - de l’île sœur ! Mais, là-bas aussi, "minme si lé vrai, ça i dit pas !".
Cela étant, pour revenir, tout de même, aux dites "maladies honteuses", c’est justement en les taisant qu’on finit par en mourir... et par contaminer les autres, jusqu’à provoquer, comme ce fut le cas pour certaines d’entre elles, une véritable pandémie.
Maintenant, si mes propos ont pu choquer, il n’y a pas de quoi fouetter un chat : je n’ai rien écrit et personne n’a lu quoi que ce soit, puisque, "minme si lé vrai, ça i dit pas !".

Georges-Marie Lépinay

(1) - Comme il y a encore une génération, à Saint-Gilles ou ailleurs, dans les bals, il y avait d’un côté celui "pour le monde" et de l’autre, le "bal la poussière", les deux bien séparés par des feuilles cocos tressées ou tout simplement par une corde. Et avec services séparés : rhum, bière, coca d’un côté et whisky et autres boissons fines et même les petits plats, avec tranches de rôti de l’autre.

(2) - RFO en a d’ailleurs diffusé un florilège vendredi à 18h.


Beaucoup de bruit pour rien ?

La tentative d’une offre publique d’achat du groupe d’Amérique du Nord, PepsiCo, sur le fleuron de l’industrie agroalimentaire française, Danone, aurait pu passer comme une lettre à la poste tant elle fait partie depuis belle lurette des mille et une pratiques parmi les plus courantes du marché international, s’il n’y avait à la clé le sort des 90.000 salariés répartis à travers la France et le monde.
Dans la foulée, si l’on peut dire, c’est la société française, Taittinger, spécialisée dans le champagne, l’hôtellerie et le luxe, qui passe sous pavillon américain, rachetée par le fonds d’investissement, Starwood Capital, sans susciter, il est vrai, la même émotion...
Hier encore, au mois de juillet 2003, se déroulait l’OPA de l’entreprise canadienne d’aluminium, Alcan, sur la compagnie française, Péchiney, qui a abouti, dixit "Le Monde", au "dépeçage" de cette dernière. Aussi y a-t-il quelque chose de tragi-comique à voir s’agiter aussi frénétiquement tous ces hommes politiques, de droite comme de gauche, depuis Patrick Ollier, UMP, président en exercice de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, suivi comme son ombre du président de la République, Jacques Chirac... jusqu’aux deux anciens ministres de l’Économie et des finances socialistes, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, pour protester contre la menace qui pèse sur l’économie française et l’emploi - surtout, dans le contexte actuel de la mondialisation qui bat son plein, alors qu’à notre connaissance, ils n’ont jamais levé le moindre petit doigt contre cette "logique industrielle" implacable dans laquelle s’inscrit tout naturellement cette opération.
Il est donc à craindre que cette mobilisation, qui a l’air de venir à contretemps, ne soit réellement efficace ; car, comme le dit crûment le ministre des petites et moyennes entreprises, Renaud Dutreil : "l’État n’a pas à s’immiscer dans les affaires des entreprises privées", emboîtant le pas à l’ex-Premier ministre, Lionel Jospin, qui laissait entendre ouvertement en son temps que l’État ne peut pas tout. Mais laissons le mot de la fin au journal “Le Monde” qui a trouvé pour la circonstance la formule la plus juste : "Juridiquement, le gouvernement ne peut pas grand chose. Politiquement, il peut jouer le psychodrame".

Georges Benne


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