Le courrier des lecteurs du 3 octobre 2005

3 octobre 2005

La force du modèle français !

Le modèle français, né d’une réflexion approfondie, menée par le Conseil national de la résistance, reste aujourd’hui d’une brûlante actualité. Il s’articulait sur un principe clé : “Déconnecter l’économie des féodalités financières”, qui avait collaboré avec l’occupant nazi.
Les secteurs décisifs, tels que l’énergie, les transports, Renault etc..., sont nationalisés... Ceci, afin que la quasi-totalité des gains de productivités, les profits réalisés par le travail de tous dans les entreprises, ne serve pas seulement à alimenter le patrimoine d’une minorité de rentiers, mais soit consacrée aux budgets de recherche et d’innovation, aux investissements productifs, aux salaires, pour permettre à chacun de vivre dignement...
C’est ainsi que 9 années plus tard, en 1954, la SNCF battait tous les records de vitesse au monde sur rail (240 km/h). En 1956, elle établissait un nouveau record (336 km/h). C’est grâce au travail des ingénieurs de la SNCF que le TGV a vu le jour. Idem dans l’aviation, la Société nationale de construction aéronautique (SNCASE) fabriquait le premier jet européen de transport de passagers “la Caravelle”, ses ingénieurs concevaient le Concorde, et sont à l’origine d’Air Bus... L’EDF, les Télécoms, montraient leur efficacité technologique... Aucun actionnaire privé n’aurait investi autant pour des résultats à trop long terme. Air France traversait toutes les turbulences, et le cortège des faillites dans le transport aérien, les queues d’usagers étaient rares à la poste ou dans les gares devant les guichets. De plus, toutes ces entreprises se permettaient d’assurer un haut niveau de vie à tous ses travailleurs de bas en haut de l’échelle, de l’ouvrier à l’ingénieur en passant par les secrétaires ou les pilotes...
De surcroît, de bons salaires alimentaient une réelle consommation en remplissant les caisses de solidarité sociale, tout en soutenant l’activité économique.
Chacun pourrait continuer longtemps à énumérer les performances d’un tel modèle, et imaginer son efficacité économique, non plus à l’échelle nationale, aujourd’hui trop réduite, mais à la dimension européenne. Imaginons par exemple que les entreprises européennes d’électricité, des Télécoms ou les compagnies aériennes mettent leurs moyens en synergie, sur un principe de coopération avec pour objectif de mieux servir les usagers, au lieu de se livrer une concurrence guerrière ...
Autre point fort, le modèle français par l’institution des comités d’entreprises, favorisait la concertation. Entrepreneurs et organisations de travailleurs étaient, avec l’État, les acteurs dominants de l’activité économique. À l’issue d’affrontements, souvent très durs pour le partage du produit national, on trouvait une zone de convergence, et des accords profitables à toutes les parties étaient scellés.
Malheureusement, 30 années de gestion libérale ont eu raison du modèle français... Pour quels résultats ?
Les tandems Reagan-Tacher et Barre-Delors ont remis en scène un personnage que l’on croyait disparu, “le rentier”. Le plan Barre inaugure la politique de privatisation qui transfère le pouvoir et les capitaux de l’État vers la sphère financière. Delors, en 1983, se vantera d’avoir réussi la "désindexation des salaires, sans provoquer de grandes manifestations".
Bilan : ces 20 dernières années, 10% du Produit intérieur brut sont passés de la poche des salariés vers celle du capital financier. Les prix augmentent, les loyers flambent et les salaires ne suivent pas, au point que les restos du cœur accueillent aujourd’hui une nouvelle catégorie de citoyens : “les travailleurs pauvres”...
Dans le même temps, les rentiers et les milieux d’affaire accumulent des fortunes inimaginables en s’accaparant la quasi-totalité des profits et les gains de productivité que génèrent les progrès technologiques. Ces richesses produites par tous, qui dans le modèle français permettaient de financer des services publics, de meilleure salaires, la recherche, fondent dans des comptes particuliers de la jet-set... Le déficit de l’État se creuse...
En fait, nous sommes passés dans une logique financière où il faut résoudre cette équation : enrichir les actionnaires de 20% chaque année avec une économie qui produit à peine 2% de croissance annuelle. Ainsi, pour résoudre cette équation impossible, il n’y en a jamais assez pour la rente des actionnaires et toujours trop pour les autres... René Passet, professeur d’économie chargé de recherche à L’Université Paris 1 Sorbonne, écrit : "Le discours dominant est celui du “trop”, trop pour les autres évidemment : trop de masse salariale, trop d’État, trop d’impôts, trop de services publics, trop d’aide internationale, et on a vu même des fonds de pension dénoncer des entreprises qui privilégiaient l’investissement productif par rapport à la distribution des dividendes aux actionnaires. La stratégie du capital financier est donc de capter la totalité des gains de productivité de la nation. Le cercle s’est fait vicieux".
C’est dans cette logique, chez Danone ou ailleurs, que des milliers de familles sont jetées à la rue avec les conséquences que l’on devine, non pas parce que leur entreprise à des difficultés, mais pour simplement augmenter sensiblement les rentes d’une poignée d’actionnaires qui sont déjà bien repus... Que dire aussi de Total qui détruit 18 milliards d’euros d’actions, de quoi combler plus de 2 fois le “déficit” annoncé de la Sécu. Milliards qui représentent aussi des milliers d’heures de travail...
Et cela juste pour relever le taux de rentabilité des actions Total... Et il faudrait travailler davantage, gagner moins, se priver de soins de qualité pour la bonne santé de quelques rentiers ?
Quand les citoyens se dresseront-ils contre cette tentative cynique de détournement de richesses entrepris avec la complicité du gouvernement, des chiens de garde du MEDEF et du tube cathodique ?

Didier Le Strat


Remplacements dans les lycées et les collèges : un décret dangereux et inefficace

Le ministre de l’Éducation, Gilles De Robien, vient de fixer par décret les conditions dans lesquelles devraient s’opérer les remplacements de courte durée des professeurs absents dans les lycées et collèges.
Depuis fort longtemps, le SNES avait soulevé cette question qui ne semblait susciter qu’indifférence du Ministère. Comme toute catégorie professionnelle, il arrive aux enseignants de tomber malades, ni plus ni moins que d’autres, ou d’être appelés à différentes tâches (stages, réunions pédagogiques, examens...). Assurer leur remplacement est nécessaire. Pour cela, le SNES, au terme d’années de demandes, a obtenu la création d’un corps de titulaires remplaçants (dits TZR). Ces personnels ont pour mission de remplacer dans la même discipline tel ou tel collègue absent pour une longue ou courte période.
Un prof de maths dans un lycée est atteint par la chikungunya. Son médecin lui a délivré 10 jours d’arrêt de travail. Informé dans la journée, le rectorat puise dans sa réserve de TZR et affecte un remplaçant 48, voire 72h plus tard. Ce TZR prend le service de l’absent heure pour heure sans autre modification. Des complications médicales interviennent et le malade se voit prolonger de 10 jours supplémentaires. Le TZR prolonge d’autant son remplacement. Les élèves n’ont perdu que quelques heures sur les jours initiaux (3 ou 4 maxi). Durant ces 3 ou 4 heures, ils ont été pris en charge par les pions (MI SE) de la vie scolaire qui les ont encadrés par exemple au CDI (Centre de documentations et d’information).
Malheureusement, ce qui vient d’être décrit n’est pas la réalité. Si le prof de maths est absent, le rectorat répondra que 10 jours d’arrêt ce n’est pas suffisant pour justifier d’un remplacement, et que de toute façon, il n’y a plus de TZR disponible en maths parce qu’ils ont été à peu près tous affectés sur des postes à l’année (postes non pourvus). D’autre part, le corps des MI SE (pions) a été mis en extinction et les personnels précaires censés les remplacer n’ont toujours pas été affectés. Et au bout de 10 jours, au moment de la prolongation de l’arrêt maladie, le même argument (durée trop faible) sera invoqué pour ne pas remplacer. Quant à encadrer les élèves au CDI où il manque un documentaliste, inutile d’y songer.
La réalité des chiffres est cruelle : dans le 1er degré, 7 PE ou instits sur 100 sont affectés au remplacement. Dans le second degré, moitié moins.
Dans un débat à la radio avec 2 collègues (l’un du SNES, l’autre de l’UNSA), le recteur Bernard Boene ne contestait pas l’argument de l’insuffisance des postes, mais expliquait que le budget n’était pas extensible, qu’il n’y avait pas de marge... Autant dire que le Ministère ne veut pas financer un dispositif fiable de remplacement.
Le Ministère ne veut pas, mais il veut tout de même faire croire le contraire aux parents d’élèves. Il renvoie donc le problème aux établissements, à charge pour les chefs d’établissements de gérer la pénurie.
Le décret De Robien prévoit de faire remplacer notre prof malade par les moyens de l’établissement... Le proviseur examine les emplois du temps des autres profs de maths du lycée, mais malheureusement aucun n’est compatible avec l’emploi du temps du malade. À moins de fractionner... bon, pour la Seconde, 2h avec M. X et 3h pour la TS avec Mme Y., après, ça coince... donc il va falloir compléter avec des profs des mêmes classes mais d’autres disciplines... le prof de lettres de la 1ère ES peut faire 2h, et 3h seront assurées par le prof d’histoire et puis pour la Terminale S, on prendra le prof de physique (2h), celui de philo (2h) et celle d’anglais (2h)...oui, ça fait 8h... oui mais le prof de physique a besoin d’une salle de TP et à ces heures là, tout est pris, et celle d’anglais, il lui faut une salle de langue. Bon, le prof de physique fera cours au tableau, et en anglais, les élèves n’auront qu’à lire le “Times”. Ah non ! Mme Z en anglais a déjà 3h sup et elle a ses enfants à aller chercher à l’école à 16h. Jamais elle ne va accepter.
Bref, on souhaite bien du plaisir au proviseur.
De fait, la demi douzaine de collègues (au moins) qui viendront assurer le remplacement de leur collègue absent feront de la garderie, et les élèves auront une perte sèche d’heures de maths... merci pour la Terminale S qui prépare le Bac.
Et puis, même si le système est peu efficace, il va coûter un peu d’argent : pour convaincre ces profs toujours récalcitrants, on leur propose des HS +25% (en fait +8,7%). Où trouver l’argent ? C’est tout simple : on supprime 100 équivalents temps pleins à La Réunion (6.000 nationalement) qui servent à rétribuer les contractuels. Conclusion, entre 100 et 200 personnels précaires de plus mis au chômage.
Il n’y a qu’une seule réponse possible : abroger ce décret imbécile et injuste. Il n’est pas sérieux de faire assumer par les établissements les insuffisances du Ministère, il n’est pas sérieux de “saucissonner” l’emploi du temps d’un prof absent entre une demi douzaine de collègues, il n’est pas sérieux de faire faire de la garderie aux profs pour donner l’illusion que tout fonctionne, il n’est pas sérieux de licencier des contractuels pour arrondir les fins de mois des titulaires.
Bref, ni de près, ni de loin, les enseignants convaincus de la valeur de leur métier ne mettront le doigt dans ce dispositif, ni ne participeront aux discussions qui doivent se tenir dans les établissements pour la rédaction de “protocoles de remplacements”.

Ph. Azema (lycée J. Hinglo Le Port),
Nouvelle École Réunionnaise, tendance syndicale de la FSU


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