Le courrier des lecteurs du 30 juin 2005

30 juin 2005

(page 10)

Le Dieu des premiers Chrétiens

"Aucune trace de la Sainte Trinité dans les 27 livres du Nouveau Testament", écrit Daniel Lallemand en guise de réponse à mes "Réflexions sur la Trinité" (Témoignages, 30 et 20 mai). Dans ma réponse, intitulée : "Figure trinitaire du Dieu de Jésus", en date du 7 juin, j’ai relevé non seulement des dizaines de traces, mais des textes cohérents et convergents très forts qui expriment implicitement la vérité de cette conception trinitaire de Dieu, entre autres : Colossiens 1, 15-20 ; Philippiens 2, 6-11 ; Jean 5, 19 et 21-23 ; Jean 8, 58 et le Prologue ; 1 Jn, 5,20... Ces textes nous parlent du Christ en des termes incroyables : "image du Dieu invisible, premier-né de toute créature. Tout a été créé par lui et pour lui", "lui de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu", "Et le verbe s’est fait chair a demeuré parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire", "Nous sommes dans le Véritable, dans son fils Jésus-Christ. Celui-ci est le Dieu véritable...".

Au lieu de reconnaître son erreur, Daniel Lallemand préfère jeter le soupçon sur "l’authenticité" de ces textes. Reynolds Michel, dit-il, "m’oppose d’autres citations, dont il n’examine pas l’authenticité...". Dois-je comprendre que tous les textes cités plus haut ont été "introduits après coup, en contrebande" dans les lettres de Paul et les écrits de Jean, donc d’ajouts ultérieurs - émanant de faussaires - que Daniel Lallemand se donne pour tâche d’éliminer ? À l’exemple de Marcion*, Daniel Lallemand est-il en train de nous fabriquer son propre "canon" (liste officielle des écrits reconnus par les autorités religieuses comme inspirés et normatifs) ?

On peut le penser. Faisant allusion à la parole de Jésus : "Le Père et moi, nous sommes un" (Jn, 10,30), Daniel Lallemand s’interroge : "Il est clair que, si cette phrase figurait dans l’original de Jean, elle constituerait un sérieux argument en faveur, sinon de la Trinité, du moins de la dualité de Dieu" (sic). Ou encore : si mes citations "s’avéraient authentiques", elles "ne prouveraient qu’une chose : que la bible dit tout et son contraire". Nullement Monsieur Lallemand.
L’alternative n’est pas entre déclarer inauthentique certains textes, qui nous paraissent être des ajouts - en fonction de notre a priori - ou la disqualification des textes bibliques dans leur ensemble. Elle se trouve plutôt dans une meilleure interrogation sur le sens de ces textes et l’expérience de Dieu faite par les premiers chrétiens. Car le discours de Jésus sur Dieu ne nous a été transmis que par les témoignages des premiers Chrétiens.

Retour aux sources

Le Christianisme n’est pas une religion tombée du ciel toute faite, uniforme et définitive. Il s’est construit en se cherchant. C’est à travers une relecture de la vie et la mort de Jésus, à la lumière de Pâques, que ses premiers disciples et les premiers Chrétiens ont pris progressivement conscience que : "Dieu l’a fait Seigneur et Christ" (Actes 2, 32-36) ; "Dieu l’a exalté et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom..." (Philippiens 2,6-11) ; de "grand Dieu et Sauveur..." (Tite, 2,13) etc. Un processus est en marche qui aboutira à la proclamation de la divinité du Christ. Il a fallu de long cheminement aux premiers Chrétiens, situés dans des communautés très diversifiées, pour arriver à de telles formulations.
Jésus de Nazareth est devenu le Christ de la foi, tout en gardant un lien entre les deux. Autrement dit pour eux, comme pour les chrétiens d’aujourd’hui, le "Christ de la foi" n’est pas autre chose que "Jésus de l’histoire". Les textes du Nouveau Testament parlent de l’un et de l’autre. Ainsi, lorsque tel apôtre ou évangéliste envisage le Christ sous l’angle de son humanité, il soulignera sa dépendance du Fils à l’égard du Père : "Le Père est plus grand que moi" (Jn 14, 28 ; voir également les textes cités par Daniel Lallemand dans ce débat - Témoignages 30 mai et 17 juin).

Il convient de souligner un autre point d’importance majeure : dès ses débuts, le christianisme s’est diversifié au contact des traditions et des langages aussi riches que différents, donnant lieu à diverses écoles et théologies. L’exégèse des textes du Nouveau Testament permet de repérer l’extraordinaire créativité qu’on déployait ces premiers Chrétiens pour exprimer leurs convictions dans leurs langages et selon leurs modes de pensée, et, de surcroît, avec le vocabulaire et les représentations de chaque communauté locale - de Jérusalem à Antioche, d’Alexandrie à Rome.

C’est dire, que se livrer à une partie de ping-pong avec les textes bibliques, pris ici et là, n’a aucun sens. Il faut saisir la perspective propre de chaque écrit ; son genre littéraire et la pensée théologique qu’il véhicule. Nous avons affaire à des écrits autonomes, ayant en eux-mêmes leur propre cohérence.

La christologie johannique

Venons en à l’objection de Daniel Lallemand concernant la pensée de Jean. J’ai cité plusieurs textes du quatrième évangile : "Le verbe était Dieu..." (1, 1-18) ; "Tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement" (5, 19-30) ; "Je suis..." (8, 58) ; "Mon Père et moi..." (10, 30-33) ; "Fils unique..." (3, 16, 18), etc. Bref, tout un ensemble de textes pour mieux prendre en compte la pensée johannique, de sa christologie (l’étude de la personne et de la doctrine du Christ).

Mais, pour un meilleur respect du contexte, donc une meilleure compréhension de l’œuvre, il faut aller encore plus loin. Certes, il faut situer les textes dans l’ensemble de l’œuvre, mais c’est l’œuvre elle-même qui doit être interprétée en fonction du milieu historique, dans lequel elle a surgi. Autrement dit, en tenant compte de son milieu de production, de ses destinataires et des buts visés.

Brièvement et sommairement : pour l’essentiel, le quatrième évangile est l’œuvre d’un seul auteur, mais d’un auteur qui appartient à une école de pensée, entendue comme un lieu où la tradition chrétienne est transmise, interprétée et actualisée. L’originalité de l’œuvre éclate dans un langage entièrement nouveau et à structure dualiste : lumière et ténèbres, vie et mort, vérité et mensonge, l’en haut et l’en bas, Dieu et monde... La pensée émerge en imprégnation/confrontation à plusieurs courants de pensée : le judaïsme, la gnose* naissante... En outre, l’école johannique doit faire face au docétisme (hérésie qui considère que le Christ avait seulement une apparence humaine, et non une réelle existence charnelle).

D’où la polémique :
contre le judaïsme (cf. 5-12, 18-20) en soulignant la filiation divine du Christ et sa préexistence ;
contre le gnosticisme et le docétisme, en ouvrant son évangile par une christologie de l’Incarnation (Jn 1, 14) et en soulignant la radicale humanité du Christ (Jn 6, 42 sv ; 53sv), etc.

Le danger ne vient plus, à l’époque de la rédaction du quatrième évangile (85-95), de ceux qui nient la divinité du Christ - c’est chose acquise - mais de ceux qui nient l’humanité de Jésus. Il faut couper à tout docétisme en affirmant haut et fort la corporéité du crucifié (Jn 19, 34-35). Jésus n’est pas un "Dieu marchant sur la terre" (Kaesemann) : il est le Fils qui a affronté la mort dans sa chair.

Pour être compris correctement, l’évangile de Jean doit être interprété en tenant compte de ce contexte élargi. Daniel Lallemand semble ignorer ce contexte. D’autre part, je l’invite à relire Jean 5,19-30. Oui, dans ce texte, Jésus revendique une filiation unique et une égalité avec son Père, au triple plan de l’action dans le cosmos, de la seigneurie divine sur la vie et la mort et, enfin du Jugement eschatologique (qui a trait au destin ultime de l’humanité et de l’univers). Bien sûr, c’est une égalité qui s’exerce dans une dépendance filiale continuelle. Dépendance toute fonctionnelle évidemment !

Pour terminer, rappelons les paroles du Ressuscité qui envoie ses disciples en mission par ces mots (Mt, 28, 18-30) : "Tout pouvoir m’a été donné... Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit". Ce texte fait partie de l’évangile de Matthieu et la tradition manuscrite la plus ancienne l’atteste unanimement, ainsi que les citations des Pères depuis l’origine, disent certains biblistes. Néanmoins, un examen attentif de ce texte, qui contient la formule trinitaire la plus élaborée de tout le Nouveau Testament, montre qu’il ne s’agit pas de paroles datant des années 30-35. D’ailleurs, dans les tout premiers débuts du christianisme, le baptême se donnait "au nom de Jésus" et la toute première communauté ne connaissait pas alors, un tel ordre de mission (cf. Ac 10, 44-48 ; 11, 15-18).

Alors, comment expliquer la naissance de cette parole dans la communauté de Matthieu, des années 80 à 90 ? Habituellement, lorsqu’un problème inédit se posait à la communauté, on relisait les paroles du Maître. Ainsi, venaient au jour des paroles actualisées du Ressuscité. D’où l’entrée de cette formule, qui relève de l’usage liturgique, dans cette communauté, en réponse à l’entrée massive des païens (Mt 4,25). Elle est en cohérence avec la pensée d’ensemble de Matthieu. Puisque Daniel Lallemand préfère parler de faussaire, là où l’on pourrait parler de l’action de l’Esprit à l’œuvre dans une communauté, qu’il nous donne donc le nom du faussaire et la date où cette expression trinitaire a fait son entrée dans l’évangile de Matthieu, avec preuves à l’appui bien évidemment.

R. Michel


* Marcion (approximativement 85-160), fondateur de communautés un moment très nombreuses, ne retient dans son "canon" que l’Évangile de Luc et les Epîtres de Paul. Daniel Lallemand a tort d’affirmer que “l’Evangélion” (textes retenus par Marion) est antérieur aux évangiles de Luc et de Matthieu (cf. “Témoignages”, 26/12/2001 ).

* Gnosticisme  : Doctrine proposant une "connaissance" (gnosis en grec) supérieure et ésotérique des mystères de dieu, de l’homme et du monde. Le rôle du Christ a été de révéler, dans ses actes et ses paroles, cette connaissance dont les hommes ont besoin pour accéder au salut.

* Docétisme : mot formé sur le verbe grec dokein, qui signifie "sembler, paraître". Il désigne un ensemble de courants apparus dans les premiers siècles du christianisme, selon lesquels l’incarnation du Fils de Dieu n’est qu’apparente.


Lettre envoyée à M. Pernoud, producteur de l’émission Thalassa

Monsieur,

Je tenais à vous remercier, ainsi que bon nombre de Réunionnais, pour l’image "extrêmement positive" que vous avez donné de La Réunion, dans votre émission Thalassa du 17 juin.
Vous aurez, à n’en pas douter, suscité le désir chez vos téléspectateurs, de venir surfer sur les vagues de notre bel océan, derrière lesquelles se cachent, c’est sûr, de vilains requins, prêts à dévorer tout ce qui bouge...
Le film “les dents de la mer” avait d’ailleurs été tourné à La Réunion et c’était en fait... un documentaire. Mais chut, ne le répétez pas...
En tout cas, vous avez bien fait, M. Perd-nous de dissuader les éventuels touristes de venir à La Réunion. Votre attitude paternaliste envers ces inconscients est toute à votre honneur. Songez un peu à toutes ces vies que vous venez d’épargner ! Vous méritez une médaille, c’est sûr !
Et puis, vous avez si bien su montrer au monde ce que La Réunion recèle en son sein, à savoir les stigmates rabougris d’un racisme indécrottable. Les époux Barau sont en effet le reflet objectif d’une île qui peine à intégrer son Histoire. Tous les habitants blancs de cette île sont des colonialistes en puissance et ne rêvent que d’un retour à l’esclavage, qui leur permettrait de vivre cette “Réunion lontan” qui leur manque tant.
M’enfin, M. Pernoud, pour qui travaillez-vous ?
Votre émission bâclée ne s’est attachée, de manière subjective, qu’à de menus détails, qui ne reflètent en rien la nature chaleureuse et forte de notre île et de ses habitants.
Ce traitement infligé au microcosme si particulier que représente La Réunion, en tant que véritable laboratoire d’un métissage plutôt réussi, est tout à fait immérité.
Ces méthodes de déstabilisation, à la Sarkozy, visant à diviser les communautés et à isoler notre île, qui a voté “non” à 60% au traité constitutionnel, pourraient bien ressembler à une sanction...
Pour qui travaillez-vous, M. Perd-nous ?

Association Imagine la Paix
[email protected]


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